Gary Conille ou Nesmy Manigat : lequel des deux est le véritable Premier ministre d’Haïti ?

— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —

Paru sur le site Rezonòdwès le 20 juin 2024, l’article « Haïti – Plus ça change, plus c’est pareil : les six faux pas de Garry Conille, selon Josué Mérilien » a particulièrement retenu notre attention. L’on observe que la section 6 de cet article, qui a pour titre « Choix controversé de Nesmy Manigat », renferme une critique à visière levée de la désignation de l’ancien ministre de facto de l’Éducation nationale, « au bilan désastreux », à titre de Directeur de cabinet du Premier ministre Gary Conille.

La section 6 de l’article se lit comme suit :

« Le choix de l’ancien ministre Nesmy Manigat comme directeur de cabinet du Premier ministre va à contre-courant des promesses d’écarter les membres de l’ancien gouvernement du Dr Ariel Henry. Le professeur Josué Mérilien critique sévèrement Nesmy Manigat, un ancien ministre au bilan désastreux à la tête du ministère de l’Éducation nationale ».

Premier rappel, pour mémoire — Enseignant de carrière, coordonnateur de l’Union nationale des normaliens haïtiens (UNNOH) et syndicaliste respecté, Josué Mérilien est l’auteur du livre « Haïti, éducation à la citoyenneté : enjeux et perspectives » (Les Engagés éditions, 2018). L’une de ses plus récentes prises de position reflète l’opinion d’un grand nombre d’enseignants haïtiens vent debout contre le dernier projet phare de Nesmy Manigat qui a tenté de parachuter dans le système éducatif national l’erratique LIV INIK AN KREYÒL curieusement baptisé « LIV INIK » mais élaboré par sept différents éditeurs et édité en sept versions différentes… Josué Mérilien en effet expose que «  Le projet de « Manuel unique scolaire en créole », mal engagé est une prime à l’indécence, à la valorisation de l’incompétence (…) » (voir l’article « Le pouvoir de facto planifie l’effondrement du système éducatif haïtien », par Hervé Noël, Rezonòdwès, 16 janvier 2023). Dans une dépêche d’AlterPresse datée du 18 mars 2023, « Haïti-Syndicalisme : 22 ans de lutte de l’UNNOH pour un syndicalisme indépendant dans l’éducation », Josué Mérilien rappelle plusieurs temps forts des luttes syndicales menées dans le secteur de l’éducation : « Durant ses « 22 ans de combat » l’UNNOH a produit des textes visant à contribuer à la compréhension et à la transformation de la réalité éducative haïtienne. (…) Les textes des forums, dont ceux de mars 2010 et de mai 2010 –placés respectivement sous les thèmes « Quelle éducation pour construire quel pays, quel État et quelle société » et « La question de la reconstruction d’Haïti »–, sont des lignes directrices également, croit Mona Bernadel du bureau exécutif de l’UNNOH. (…) Il importe [aussi] de mentionner [le document de réflexion] « S.O.S. pour l’école haïtienne en péril, les vingt priorités d’un ministre de l’Éducation »… L’on observe avec intérêt que le combat de l’UNNOH aux côtés des enseignants s’est éclairé de manière soutenue d’une réflexion citoyenne sur les enjeux de l’École haïtienne en lien avec les problèmes économiques, sociaux et politiques de notre pays. Le cri d’alarme de Josué Mérilien retentit dans le contexte où l’État haïtien abrite encore en son sein les deux plus vastes entreprises de corruption et de détournement des ressources financières du pays à travers le système éducatif national : le Fonds national de l’éducation et le PSUGO. 

Deuxième rappel, pour mémoire Le Fonds national de l’éducation et le PSUGO, créés par le PHTK, sont au sommet d’une vaste entreprise de corruption et de détournement des ressources financières de l’État dans le système éducatif national haïtien 

  1. Corruption et détournement de fonds au Fonds national de l’éducation (FNE)

De très nombreux enseignants et directeurs d’écoles gardent en mémoire que la mandature de Nesmy Manigat à la direction de l’Éducation nationale se caractérise (1) par l’improvisation intempestive et le culte immodéré de la mise en scène sur les réseaux sociaux, (2) par le cumul sans lendemain de « directives », de « mesures » et de « plans majeurs » sans liens entre eux et qui parfois se contredisent, (3) par une approche en zig-zag, erratique et essentiellement populiste de l’aménagement du créole dans l’École haïtienne, (4) par son incapacité intellectuelle, professionnelle et politique à doter le système éducatif haïtien de sa première Loi d’aménagement linguistique éducative.

« Vedette médiatique » du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste, Nesmy Manigat a été deux fois ministre de facto de l’Éducation nationale ces onze dernières années. Durant son « règne » politico-administratif, le système éducatif national a connu plusieurs scandales majeurs de corruption et de détournement de fonds, et nous invitons les lecteurs du présent article à lire ou à relire les études et articles qui attestent la véracité de ces faits historiques. En lisant ou en relisant attentivement les différents articles traitant de la corruption dans le secteur de l’éducation, le lecteur attentif pourra, de manière objective, prendre toute la mesure du fait que le ministre en titre de l’Éducation nationale est –légalement et statutairement–, responsable du « Fonds national de l’éducation ». En effet, il est utile de rappeler que selon l’article 2 de la  Loi du 17 août 2017 « Le Fonds national de l’éducation (FNE) est un organisme autonome de financement de l’éducation, placé sous la tutelle du ministère chargé de l’éducation nationale et de la formation professionnelle et créé par la Loi du août 2017 parue au Moniteur n° 30 du vendredi 22 septembre 2017. Le FNE jouit de l’autonomie financière et administrative. Il est doté de la personnalité juridique et sa durée est illimitée » (source : site officiel du Fonds national de l’éducation) [Le souligné en italiques et gras est de RBO]. Il est également précisé que « La présidence du conseil [d’administration du FNÉ] est assurée par le ministre de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle, la vice-présidence par celui de l’Économie et des finances » (source : site officiel du Fonds national de l’éducation) [Le souligné en italiques et gras est de RBO]. En toute rigueur, il ne faut pas perdre de vue que durant son « règne » politico-administratif à la direction du ministère de l’Éducation nationale, Nesmy Manigat a été le plus haut responsable du Fonds national de l’éducation et, à ce titre, il a des comptes à rendre à la Nation…

Mais Nesmy Manigat –pourtant nommé en 2016 à la Présidence du Comité de gouvernance, d’éthique, du risque et du financement–, ne s’embarrasse pas de cette obligation légale et morale. Ainsi, l’on observe que le site officiel du ministère de l’Éducation nationale, institution de tutelle du FNÉ, est totalement muet sur les états financiers du Fonds national de l’éducation et également sur l’inexistence d’audits comptables de ses états financiers par la Cour supérieure des comptes ou par un vérificateur externe pour la période 2017 à… 2024. L’absence d’audits comptables est hautement significative de l’opacité managériale instituée tant au Fonds national de l’éducation qu’au ministère de l’Éducation nationale. Pareille opacité managériale fait barrage aux prescrits de la Loi du 17 août 2017 et elle est l’une des caractéristiques majeures de la vaste entreprise de corruption et de détournement des ressources financières de l’État dans le système éducatif national haïtien. NOTE – La Loi du 17 août 2017 stipule au chapitre 2 (article 10.(o) de la Section I), que « Le Conseil d’administration [du Fonds national de l’éducation] a pour attributions « (…) d’examiner le rapport du vérificateur externe, faire le suivi des avis émis par ce dernier et faire publier le rapport d’audit dans les six mois suivant la clôture de l’exercice ». Gary Conille aurait-il « oublié » de mesurer la véritable portée du chapitre 2 (article 10.(o) de la Section I) de la Loi du 17 août 2017 en nommant Nesmy Manigat au poste de Directeur de cabinet ?

De surcroît, à notre connaissance, avant sa nomination à titre de Directeur de cabinet du Premier ministre Gary Conille avec rang de ministre, Nesmy Manigat n’a pas obtenu l’obligatoire « décharge » des autorités compétentes et le Premier ministre Gary Conille n’a pas évoqué publiquement un quelconque audit comptable de la gestion de Nesmy Manigat à la direction du ministère de l’Éducation et encore moins à la présidence du Fonds national de l’éducationCela confirme le fait que nous sommes toujours en présence du même dispositif d’invisibilisation de la corruption en Haïti puisque le Fonds national de l’éducation, vaste structure gangstérisée de « pompage » des ressources financières de l’État créé par la loi du 17 août 2017, n’a jamais été inscrit au Budget officiel de l’État haïtien. Il est donc une structure opérationnelle échappant à tout audit du Parlement haïtien, institution de contrôle de l’action du gouvernement et qui a été atrophiée et frappée de caducité par le PHTK (voir nos articles « Le Fonds national de l’éducation en Haïti, un système mafieux de corruption créé par le PHTK néo-duvaliériste », Rezonòdwès, 20 avril 2024 et « La corruption au Fonds national de l’éducation en Haïti : ce que nous enseignent l’absence d’états financiers et l’inexistence d’audits comptables entre 2017 et 2024 », Madinin’Art, 3 mai 2024). 

En Haïti la presse suit de près la scabreuse saga de la corruption et du détournement de fonds dans le système éducatif national, et il est peu vraisemblable que le Premier ministre Gary Conille ne soit régulièrement informé de cette métastase du corps social haïtien… Ainsi en est-il de l’article « L’Unité de lutte contre la corruption fait une descente des lieux au Fonds national de l’éducation, des archives confisquées, le Directeur général absent » (source : gazettehaiti.com, 4 juin 2024). Dans cet article il est précisé que « Les locaux du Fonds national de l’éducation (FNE) ont été le théâtre ce mardi 4 juin 2024 d’une descente des lieux de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC). Selon une source digne de foi, des agents de cette institution ont confisqué des téléphones et archives lors de cette opération survenue suite aux accusations de corruption pesant sur le FNE et son Directeur général, Jean Ronald Joseph ». (…) Cette descente survient dans un climat déjà tendu autour du FNE. Les premières allégations de corruption ont été soulevées par l’avocat Caleb Jean Baptiste, qui a dénoncé des « pratiques douteuses » au sein de l’institution. Selon lui, des fonds destinés à des projets éducatifs auraient été détournés, et des contrats auraient été attribués de manière irrégulière, favorisant des proches du Directeur général et ses amis ». Par ailleurs le site tandans7.org, dans son édition du 16 avril 2024, révèle l’existence toute récente d’une pétition initiée par le juriste Caleb Jean-Baptiste, « Corruption au FNE : une pétition lancée par Me Caleb Jean-Baptiste pour demander des comptes ». Nous ne savons pas encore si les objectifs de cette pétition citoyenne ont été atteints.

L’observation objective des faits atteste que le Premier ministre Gary Conille a procédé à la nomination de Nesmy Manigat, à titre de Directeur de son cabinet avec le statut de ministre, en dehors de la moindre « décharge » et en l’absence de tout audit comptable de son administration à l’Éducation nationale. Et la société civile haïtienne a bien enregistré que la nomination de Nesmy Manigat consacre l’arrivée en force du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste au plus haut niveau de l’actuel Exécutif, ce qui conforte la prévisible « consanguinité politique » entre les deux administrations, celle des caïds attitrés du PHTK (Claude Joseph, Joseph Jouthe, Jovenel Moïse, Ariel Henry) et celle conduite par Gary Conille. Nous reviendrons plus loin sur cette « consanguinité politique » entre les deux administrations.

NOTE — En quoi consiste la « décharge » selon les Lois haïtiennes ? La « décharge » consiste pour l’institution de contrôle des comptes publics à établir le constat qu’aucune irrégularité n’a été commise dans la gestion des deniers publics par un comptable public ou un ordonnateur et à tirer comme conséquence qu’aucune charge ne pèse sur l’intéressé. Il n’a aucun remboursement à faire au Trésor public ni amende à payer.  S’il y a irrégularité, il y a mise en débet de l’intéressé qui est tenu de rembourser le manquant de ses propres deniers et peut encourir des poursuites pénales s’il y a eu corruption. La Cour supérieure des comptes est compétente dans le cas des comptables publics (relevant du ministère des Finances) et des ordonnateurs non-ministres (directeurs généraux, maires, etc.). Le Parlement (les 2 chambres) est compétent pour donner décharge (ou mettre en débet) les ministres. Mais pour faire ce travail il bénéficie du support de la Cour des comptes qui prépare un rapport annuel pour le Parlement sur la manière dont les opérations budgétaires et comptables ont été exécutées. Si un ordonnateur, même ministre, s’est ingéré dans la fonction de comptable par le maniement direct des deniers publics, la Cour des comptes le déclare « comptable public de fait » alors la procédure relative à sa décharge ou à sa mise en débet relève de la Cour et non du Parlement. La Constitution et les textes électoraux font obligation à un ancien ordonnateur ou un ancien comptable d’avoir obtenu décharge de sa gestion pour pouvoir occuper certains postes électifs ou nominatifs (Premier ministre, ministre, Président de la République, maire, député, sénateur, etc.). Il est invraisemblable que Gary Conille –« vieux » routier de la haute Administration publique haïtienne–, « ignore » de tels prescrits légaux et constitutionnels. Il est tout aussi invraisemblable qu’au moment de nommer la « vedette médiatique » du PHTK néo-duvaliériste Nesmy Manigat au poste de Directeur de cabinet, Gary Conille ait « oublié » de tels prescrits légaux et constitutionnels.

Le Premier ministre Gary Conille est donc en contravention flagrante avec la Loi et la Cour de cassation dispose de provisions légales pour invalider la nomination de Nesmy Manigat à titre de Directeur du cabinet de Gary Conille. Sous réserve d’un avis motivé de la Fédération des Barreaux d’Haïti, nous assumons qu’il est juridiquement fondé de poser que la Cour de cassation dispose de provisions légales pour invalider toutes les autres décisions politico-administratives prises par le Premier ministre Gary Conille… Le fait que l’actuelle gouvernance politique du pays ait été lourdement imposée à la population haïtienne par l’International à travers une structure de « poker menteur » –le « Conseil présidentiel de transition »–, ne saurait en aucun cas consacrer dans la durée et encore moins « légitimer » une transition politique parfaitement inconstitutionnelle et illégale… En l’espèce, nous sommes en présence d’une transition politique tout à fait illégale et inconstitutionnelle où chacune des « parties prenantes » s’efforce de faire croire qu’elle agit « exceptionnellement » mais de manière… légale : résoudre la crise politique haïtienne devrait donc nécessairement passer par des mesures « exceptionnellement » illégales et inconstitutionnelles… Il est aisé de constater qu’aucun des éternels « pays amis » d’Haïti, aucun des membres de la CARICOM n’a une seule fois fabriqué de toute pièce une structure de « poker menteur » –à l’instar du « Conseil présidentiel de transition »–, pour résoudre une crise politique majeure dans leurs pays respectifs… Les éternels « pays amis » d’Haïti et les membres de la CARICOM n’ont pourtant pas hésité à imposer une « solution miracle » à Haïti, une structure de « poker menteur » à géométrie variable –le « Conseil présidentiel de transition »–, qu’ils n’oseraient même pas imaginer pouvoir installer dans leurs pays respectifs…

Dans une dépêche intitulée « De la retraite gouvernementale : Garry Conille fixe les règles du jeu » datée du 22 juin 2024, le site Gazettehaiti expose que « Le Premier ministre Garry Conille a clôturé ce samedi 22 juin 2024 la retraite gouvernementale, deux journées qui lui ont permis de fixer les règles du jeu pour son gouvernement. Dans son discours de clôture, Conille s’est félicité des résultats obtenus ». (…) Le site Gazettehaiti révèle que « Le premier ministre a demandé la suspension des collectes de fonds non fiscalisées au sein des différents Ministères et a insisté pour que ceux-ci travaillent en étroite collaboration avec le ministère de l’Économie et des finances ». Le site Gazettehaiti ne précise toutefois pas si, en formulant cette « demande », le Premier ministre Gary Conille aurait (1) ordonné, par l’émission d’un décret d’application immédiate, « la suspension immédiate des collectes de fonds non fiscalisées au sein des différents Ministères » —source de corruption et de détournements massifs des ressources financières de l’État, et (2) si le Premier ministre aurait « oublié » que « La présidence du conseil [d’administration du Fonds national de l’éducation] est assurée par le ministre de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle, la vice-présidence par celui de l’Économie et des finances » (source : site officiel du Fonds national de l’éducation) : ces deux ministres sont pourtant comptables et imputables des deniers publics aux termes de la Loi du août 2017 portant création du Fonds national de l’éducation. Mais il est peu vraisemblable que cette donnée majeure de la gestion administrative et financière de l’État –consignée dans la Loi du août 2017 portant création du Fonds national de l’éducation–, ait échappé à Gary Conille puisqu’il est familier des arcanes de la gouvernance aux sommets olympiens de la haute administration d’organisations internationales… Une question demeure toutefois ouverte à laquelle devront répondre les juristes haïtiens, les constitutionnalistes et la Fédération des Barreaux haïtiens : un Premier ministre par intérim dispose-t-il de provisions légales l’autorisant à émettre un décret d’application immédiate ordonnant « la suspension immédiate des collectes de fonds non fiscalisées au sein des différents Ministères » ? En clair, Gary Conille a-t-il le droit sinon l’obligation, selon les Lois haïtiennes, d’ordonner à la CONATEL et à la Banque de la République d’Haïti de suspendre tout transfert de fonds en direction du Fonds national de l’éducation et du PSUGO et de placer les sommes visées dans un compte « gelé », en fidéicommis, en attendant un rapport d’audit comptable exhaustif de la gestion financière du Fonds national de l’éducation et du PSUGO ? En toute rigueur et de manière plus essentielle, l’on doit prendre toute la mesure que Gary Conille n’a pas émis un quelconque décret d’application immédiate ordonnant à la Banque de la République d’Haïti –qui dispose de toutes les statistiques spécifiques relatives à toutes les recettes de l’État–, de révéler (1) le montant total des sommes collectées pour le Fonds national de l’éducation entre 2017 et 2024, et (2) le montant total des dépenses effectuées à partir de ces fonds. Au moment où nous écrivons cet article, l’on ne sait toujours pas le montant total des sommes collectées pour le Fonds national de l’éducation entre 2017 et 2024 ni par qui ces sommes ont été dépensées et/ou détournées… Et de manière liée, Gary Conille, depuis son arrivée à la Primature, n’a pas non plus émis un quelconque décret d’application immédiate ordonnant de geler les dépenses non fiscalisées de toutes les sociétés d’État qui engrangent habituellement de très fortes recettes non fiscalisées –entre autres l’Autorité portuaire nationale (APN), l’Électricité d’Haïti (ED’H), la TÉLÉCO/NATCOM, l’Administration générale des douanes, etc. L’on observe que la dictature de François Duvalier avait « légalement » institué un modèle de corruption et de pillage des recettes de l’État à travers la Régie du tabac et des allumettes, structure kleptocratique non inscrite au Budget de l’État comme c’est le cas avec le Fonds national de l’éducation… Gary Conille, champion autoproclamé de la transparence et de la lutte contre la corruption aujourd’hui en Haïti, a certainement dans son « ADN politique » le kleptocratique « modèle » duvaliérien de la Régie du tabac et des allumettes. Sur ce registre, l’on observe que le différend entre Gary Conille et Michel Martelly, qui a provoqué le départ du Premier ministre Gary Conille, n’avait pas grand-chose à voir en réalité avec le fond de l’affaire, la corruption : l’enjeu était plutôt d’institutionnaliser une « parade » destinée à accréditer auprès de l’International l’idée qu’Haïti, durant l’administration « Tèt kale / PHTK, était résolument engagée dans la lutte contre la corruption… Gary Conille s’est volontiers prêté à ce jeu de dupes, donnant ainsi à voir en quoi consiste sa vision de la transparence au plus haut sommet de l’État.

  1. Corruption et détournements de fonds au PSUGO

Le PSUGO, l’une des deux plus vastes entreprises de corruption dans le système éducatif haïtien, est un programme phare de l’administration Martelly/Lamothe / Martelly/Paul ardemment défendu par Nesmy Manigat. Publiquement dénoncé par Nesmy Manigat durant son premier mandat à la direction du ministère de l’Éducation nationale, puis reconduit par ce même Nesmy Manigat –en dehors du moindre audit comptable connu et crédible–, il continue d’être ausculté par des analystes, par des associations d’enseignants et de parents et par la presse haïtienne. Ainsi il est attesté que le PSUGO est encore régulièrement et publiquement dénoncé par des associations d’enseignants ou de parents haïtiens.

La question de la corruption dans le système éducatif haïtien, qualifiée d’endémique par de nombreux analystes, est régulièrement évoquée dans la presse haïtienne à la lumière des révélations sur le PSUGO, le Programme de scolarisation universelle gratuite et obligatoire mis en place par le PHTK. Une recherche documentaire approfondie nous a permis de retracer l’article de l’économiste et historien Leslie Péan, « Corruption et crise financière aux temps du choléra haïtien (2 de 3) » paru sur site alainet.org 18 juin 2015. Dans ce texte Leslie Péan expose que « Le pillage systématique des deniers publics a également touché le secteur de l’éducation avec le détournement des fonds estimés à 100 millions de dollars l’an, collectés à partir d’une taxe de 5 centimes (0.05 $) sur chaque appel téléphonique entrant et 1.50 $US sur chaque transfert monétaire. Dès la première année, 766 fausses écoles ont été créées et financées dans le cadre du Programme de scolarisation universelle gratuite et obligatoire (PSUGO) ». Selon un rapport élaboré en 2015 par l’Union des parents d’élèves progressistes haïtiens (UPEPH), « le PSUGO subventionne plus de 2 500 écoles fantômes ».

Il faut prendre toute la mesure que le PSUGO, « station de pompage financier dilapidateur », a été fortement dénoncé et constamment combattu par les enseignants et leurs associations professionnelles. Nous avons fourni un ample et fort bien documenté éclairage là-dessus dans notre article « Le système éducatif haïtien à l’épreuve de malversations multiples au PSUGO » paru en Haïti dans le journal Le National daté du 24 mars 2022. Dans cet article nous avons donné accès aux plus rigoureux documents critiques traitant du PSUGO, notamment ceux élaborés à partir d’enquêtes de terrain menées en Haïti : « Le Psugo, une menace à l’enseignement en Haïti ? (parties I, II et III) – Un processus d’affaiblissement du système éducatif », Ayiti kale je (Akj), AlterPress, 16 juillet 2014 ; « Le PSUGO, une catastrophe programmée » (parties I à IV), 4 août 2016, ainsi que l’article fort bien documenté « Le Psugo, une des plus grandes arnaques de l’histoire de l’éducation en Haïti », par Charles Tardieu, Port-au-Prince, 30 juin 2016. Il est peu vraisemblable que des documents publics aussi importants aient échappé à la vigilance de Gary Conille puisqu’il a été ministre « Tèt kale » du caïd et « bandit légal » Michel Martelly téléporté à la présidence d’Haïti par le Département d’État américain de 2011 à 2016.

Tel que nous l’avons précédemment noté, dans une dépêche intitulée « Clôture de la retraite gouvernementale : Garry Conille fixe les règles du jeu » datée du 22 juin 2024, le site Gazettehaiti expose que « Le Premier ministre Garry Conille a clôturé ce samedi 22 juin 2024 la retraite gouvernementale, deux journées qui lui ont permis de fixer les règles du jeu pour son gouvernement ». L’information accessible sur le site Gazettehaiti et ailleurs ne permet pas de savoir, au moment de la rédaction du présent article, si la « feuille de route » remise par Gary Conille à ses ministres comprend des mesures d’application immédiate de lutte contre la corruption dans l’Administration publique haïtienne –en particulier au ministère de l’Éducation nationale… Dans ses déclarations publiques au sortir de la « Retraite gouvernementale », Gary Conille n’aborde à aucun moment une quelconque requête officielle qu’il aurait formulée auprès de la Cour supérieure des comptes ou auprès de l’ULCC ou auprès de l’UCREF pour demander à ces institutions de contrôle et d’audit de passer au crible et de produire un rapport exhaustif de la gestion financière et administrative du Fonds national de l’éducation et du PSUGO

Plusieurs analystes de la situation politique d’Haïti soutiennent que Gary Conille, « coincé » entre l’agenda de l’International et l’arrivée en force du PHTK au sein du nouvel Exécutif, s’est vu imposer un « Premier ministre bis » en la personne de Nesmy Manigat nommé Directeur de cabinet du Premier ministre avec rang de ministre. Un tel « choix contraint » serait également le résultat des fortes magouilles du caïd Michel Martelly destinées à obtenir du nouvel Exécutif l’immunité pour les chefs de gangs liés au PHTK néo-duvaliériste. Ce « choix contraint » a partie liée avec « consanguinité politique naturelle » entre les précédentes administrations « Tèt kale » et celle qui a été inaugurée avec l’installation de Gary Conille comme Premier ministre d’une transition sous contrôle de l’International. Sur le registre de la « consanguinité politique naturelle », il s’agit de bien comprendre que l’un des plus prolixes propagandistes du duvaliérisme ces quarante dernières années, le tonton-macoute Rony Gilot, a été Directeur de cabinet de… Gary Conille auquel il a dédié l’un de ses livres flagorneurs sous le titre « Garry Conille, ou le passage d’un météore », publié en 2012 aux Éditions des Antilles S.A. Garry Conille a été nommé Premier ministre d’Haïti une première fois en octobre 2011 durant la présidence de Michel Martelly. Mais son passage à la tête du gouvernement n’a duré que six mois.  Rony Gilot, duvaliériste et tonton-macoute multitâches à géométrie variable, a été élu à trois reprises, entre 1973 et 1986, député inamovible de la circonscription Thiotte–Grand-Gosier et Anse-à-Pitre. Également ancien ministre de la Coordination et de l’information entre 1978 et 1979 durant la présidence de Jean-Claude Duvalier, il fut Directeur de cabinet des présidents de la Chambre des députés pour la période allant de 2006 à 2011. Il a aussi servi comme membre du cabinet du président du Sénat (2012-2014), secrétaire général adjoint de la Présidence pendant un an en 2016.

La nomination d’un « Premier ministre bis » en la personne de Nesmy Manigat au poste de Directeur de cabinet du Premier ministre avec rang de ministre est donc incontestablement une clause de continuité politique donnant-donnant entre différentes factions néo-duvaliéristes encore actives sur le terrain et à l’échelle du pays tout entier. Sanglé dans ses neufs habits de vertueux et efficace fonctionnaire international, Gary Conille s’est attelé à rendre crédible une transition politique dont les modalités d’exécution ont été décidées par l’International à travers la pieuse et œcuménique médiation d’un impuissant et mutique cartel régional dénommé la CARICOM… Mais l’International, grand expert en stratégies transnationales, a placé aux côtés de Gary Conille, donc au sommet du nouvel Exécutif et avec l’assentiment du noyau dur du PHTK, son propre « expert » en gestion des affaires politiques de l’État : Nesmy Manigat, brillant et vertueux ex-fonctionnaire du Partenariat mondial pour l’éducation (voir l’article du 21 février 2016, « Nesmy Manigat nommé à la présidence du Comité de gouvernance du Partenariat mondial pour l’éducation » où il est relaté que l’ancien ministre de facto de l’Éducation nationale a été « nommé à la Présidence du Comité de gouvernance, d’éthique, du risque et du financement au Partenariat mondial pour l’éducation » (source : site du Partenariat mondial pour l’éducation).

La « consanguinité politique naturelle » entre les précédentes administrations « Tèt kale » du PHTK et celle qui a été inaugurée avec l’installation de Gary Conille comme Premier ministre d’une transition sous contrôle de l’International s’éclaire partiellement d’un article du journaliste Roberson Alphonse paru dans Le Nouvelliste du 24 mai 2024 et sobrement intitulé « L’itinéraire de Garry Conille ». Cet article relate les différentes étapes du différend qui a surgi entre le Président-caïd-Michel Martelly et le Premier ministre Gary Conille dans ce qui allait devenir l’« Affaire Petrocaribe », un système de corruption à grande échelle mis sur pied par le cartel politico-mafieux du PHTK. L’article du Nouvelliste nous remet en mémoire qu’« En décembre 2023, Dr Garry Conille avait refait les manchettes de l’actualité. L’ancien Premier ministre a été confronté à des allégations de corruption lorsqu’une photographie d’une ordonnance datée du 22 décembre 2023, signée par le juge d’instruction Al Duniel Dimanche, a circulé sur les réseaux sociaux. Ladite ordonnance convoquait le Dr Conille ainsi que plus d’une trentaine d’anciens hauts fonctionnaires de l’État, à comparaître devant la chambre d’instruction criminelle dans un délai d’un jour franc à compter de la signification au parquet près le tribunal de première instance de Port-au-Prince, dans l’affaire de détournement des biens du Centre national d’équipements (CNE) par d’anciens parlementaires ». Cette saga politico-mafieuse opposant un Gary Conille preux chevalier de la transparence politique et croisant le fer avec ses alliés naturels au sein du PHTK semble avoir été enterrée au moyen d’un alléchant « kase fèy kouvri sa » où chacun a trouvé son compte impunitaire…

L’article du Nouvelliste apporte d’autres éclairages sur la « consanguinité politique naturelle » entre les précédentes administrations « Tèt kale » du PHTK et celle qui a été inaugurée avec l’installation de Gary Conille comme Premier ministre d’une transition sous contrôle de l’International. En effet, à la section de l’article titrée « Garry Conille sous la plume de Rony Gilot et la recension de Pierre Raymond Dumas », Roberson Alphonse note que « L’une des figures politiques des quinze dernières années, Gary Conille a eu droit à l’attention du Dr Rony Gilot. [Le livre de Rony Gilot] « Au gré de la mémoire. Garry Conille ou le passage d’un météore » (Imp. Éditions des Antilles) a été rendu au public. Pierre Raymond Dumas, critique littéraire et chroniqueur politique a livré sa lecture de cet ouvrage. « Les thèmes et dossiers abordés par Dr Rony Gilot –l’affaire Bélizaire, le séisme des contrats du tremblement de terre, l’affaire des passeports, le dossier de la remobilisation des FAD’H– sont déjà à eux seuls tout un séisme : démentis, faux – vrai complot, soupçons, jeux de pouvoir, graffitis sur les murs, mensonges, scandales, coups bas, coups de langue, marchandage, manipulations médiatiques, paniques, fuite en avant, ambitions dérisoires, rivalités de clans ». « (…) L’expérience dramatique du Dr Garry Conille, c’est aussi pour le Dr Rony Gilot un piteux échec (…) [y compris] sur le terrain mouvant du militantisme duvaliéro-jean-claudiste ».

Les premiers pas d’un « Premier ministre bis » : tentative ouverte de main-basse sur la nouvelle direction du ministère de l’Éducation nationale

C’est sans doute se sachant invariablement et durablement investi de son vaste pouvoir de « Premier ministre bis » –alors même qu’il est dépourvu de la moindre « décharge » officielle quant à sa mandature à l’Éducation nationale–, que Nesmy Manigat vient d’infliger une arrogante et menaçante « feuille de route » au nouveau ministre de l’Éducation nationale, l’enseignant de carrière Augustin ANTOINE, dans le « twet » qu’il a publié sur « X » (anciennement « Twitter ») le 12 juin 2024 : « Mwen swete pwòf Antoine Augustin anpil siksè. Mèsi tout pèsonèl @MENFP_Education pou kolaborasyon nou. Rete anpil travay pou ankadre direktè ak pwofesè nou yo, men mwen p ap lage batay la antanke Prezidan Komite finans Patenarya mondyal edikasyon. Nan liv bilan m « 10 pi gwo konba m pou transfòme lekòl Ayiti », mwen pral eksplike nouvo kourikoulòm 2024 la kote kreyòl obligatwa, anglè ap komanse aprann pi bonè, edikasyon sivik nan egzamen ofisyèl apati 2024, LIV INIK pou paran pa oblije achte dizèn liv ki pa nesesè, manje lokal ki dwe baz nan kantin e latriye  #LekòlPaKaTann »…

Cet extraordinaire « tweet » du « Premier ministre bis » ne fait pas mention d’un quelconque accord conclu avec le Premier ministre Gary Conille avant son émission. Ce « tweet » a vraisemblablement été trafiqué dans le dos de Gary Conille et il est révélateur de plusieurs choses. La plus importante, sans doute, est que Nesmy Manigat a publiquement signifié au nouveau ministre de l’Éducation nationale Augustin ANTOINE que c’est lui, le « Premier ministre bis », qui est et demeure le véritable « patron » de l’Éducation nationale et que l’action du nouveau ministre Augustin ANTOINE devra obligatoirement emprunter le lumineux et « successful » chemin tracé par le « Premier ministre bis », y compris celui de l’immunité invisibilisée accordée aux acteurs pourtant connus de la corruption et de la dilapidation des finances publiques au sein du Fonds national de l’éducation et au PSUGO. Le « Premier ministre bis », Nesmy Manigat, entend également signifier au Premier ministre Gary Conille que les vertueuses déclarations qu’il a émises le 20 juin 2024 en conférence de presse –durant laquelle Gary Conille soutient vouloir lutter contre la corruption dans l’Administration publique haïtienne–, ne devront pas dépasser la « ligne rouge » de ses bonnes intentions sans lendemain…

L’alerte citoyenne lancée par l’enseignant et syndicaliste Josué Mérilien prend tout son sens et consigne son incontournable pertinence lorsqu’il s’est insurgé contre la nomination d’« un ancien ministre, au bilan désastreux à la tête du ministère de l’Éducation nationale », à titre de Directeur de cabinet du Premier ministre Gary Conille. L’avenir nous dira si l’arrogante et menaçante « feuille de route » infligée au nouveau ministre de l’Éducation nationale par Nesmy Manigat, « Premier ministre bis », en tenant à l’écart le Premier ministre Gary Conille, fera date dans les Annales du PHTK néo-duvaliériste… L’avenir dira également si le nouveau ministre de l’Éducation nationale aura les coudées franches, loin de toute inféodation au « Premier ministre bis », pour traduire dans des programmes consensuels et rassembleurs sa vision citoyenne de la refondation du système éducatif haïtien.

Montréal, le 23 juin 2024