Par Selim Lander
Au théâtre, il y a des soirs avec et des soirs sans. On veut dire par là avec ou sans cette fascination que connaît le spectateur lorsque les trois conditions d’une pièce réussie se trouvent réunies : le bon texte, la bonne mise en scène et le(s) bon(s) comédien(s). Tout commence par le texte (sauf pour le mime ou un certain théâtre d’objets, évidemment). Fuck America est un roman qui, d’après ce que l’on en sait, est fortement inspiré par l’expérience personnelle de l’auteur, Edgar Hilsenrath, plus particulièrement ses années de « galère » en Amérique (États-Unis). Connaissant l’humour juif new-yorkais, on imagine aisément qu’un bon écrivain puisse tirer d’une telle expérience un roman à succès (et l’on nous dit que, en l’occurrence, le succès fut bien au rendez-vous). Le théâtre, néanmoins, semblable d’ailleurs à cet égard au cinéma, est obligé d’opérer des coupes sombres dans le texte romanesque. L’adaptation est un exercice difficile, pas toujours réussi. C’est malheureusement le cas dans cette pièce (adaptée par l’un des trois comédiens) où l’on enfile les lieux communs, par exemple les stéréotypes racistes. A quoi cela sert-il par exemple de proférer que les noirs n’ont pas le sens de la famille ou que si les juifs ne consomment pas de cochon, c’est parce qu’ils sont eux-mêmes des cochons ? On comprend bien que l’auteur – lui-même juif – entend dénoncer le racisme, cependant, énoncé comme ça l’est dans la pièce, c’est tout simplement de la provocation de mauvais goût. Ce n’est qu’un exemple, mais que dire de la mise en scène ! Dans un cabaret théâtre, on comprendrait que celle-ci soit réduite à la plus simple expression. Ça l’est moins quand on dispose d’une vraie scène dans un vrai théâtre ; les élèves des options « théâtre » des lycées feraient mieux que ce à quoi nous avons assisté. Soit trois tabourets identiques pour trois comédiens assis dessus ou debout devant, munis quelquefois d’un micro. Entre chaque scénette les comédiens et éventuellement les tabourets se déplacent, un signal pour réveiller notre attention : un autre épisode est sur le point de démarrer… Quoi qu’il en soit, en dehors des déplacements liés au passage d’une scénette à l’autre, les comédiens demeurent – sauf exception ; il y a toujours des exceptions – remarquablement statiques. On l’a dit et redit ou au moins laissé entendre dans ces chroniques : le théâtre « politique », qui serait capable de faire advenir un monde meilleur, n’existe probablement pas. Mais au moins le théâtre peut-il nous troubler, nous inciter à nous remettre en question, ou, à défaut, nous détendre, nous faire rire, en tout état de cause nous émouvoir. Les meilleurs moments de Fuck America (on appréciera, en passant, la finesse du titre… qui excusera le nôtre) sont ceux qui cherchent à nous faire rire. De fait, certaines scénettes, certains sketchs, à défaut d’être originales ou originaux sont assez drôles, ce qui les place nettement au dessus d’autres qui sont simplement vulgaires ou d’autres encore qui évoquent sur un ton mi-figue mi-raisin le drame – bien réel – des juifs d’Europe centrale avant et pendant la deuxième Guerre mondiale. Cela étant, les comédiens ne déméritent pas, dans la limite de ce qu’ils se sont demandé (puisqu’ils se sont dirigés eux-mêmes) et pas davantage le violoniste installé avec eux sur la scène.
Le manque d’un regard extérieur ressort clairement au vu de cette pièce.
En tournée à Tropiques Atrium le 28 janvier 2016.