Jeudi 28 janvier 2016 à 20h. Tropiques-Atrium
« Fuck America » est l’histoire de Jakob Bronsky, un émigrant juif arrivé à New York quelques années après la fin de la seconde guerre mondiale, qui enchaîne les boulots précaires pour pouvoir écrire le livre de sa vie : « Le branleur », dont il compte bien faire un best seller !
« Le dialogue est la forme qui me va le mieux. La langue est simple mais pas la pensée », dit Edgar Hilsenrath à propos de Fuck America. Vincent Jaspard a adapté ce roman, d’emblée théâtral dans sa forme, avec le souci d’arriver à un texte épuré, délivré de tout artifice. Le texte de la pièce met en valeur l’humour caustique, décapant, de Hilsenrath qui fait de lui, une sorte de Woody Allen des bas-fonds, mâtiné d’un Bukowski espiègle.
Tribune Libre sur agoavox.fr :
Fuck America
par Orélien Péréol
mercredi 10 avril 2013
Voici un spectacle d’une simplicité biblique, si j’ose m’amuser d’entrée de jeu. Trois tabourets. Trois comédiens (deux hommes, une femme) et une multitude de personnages. Jacob Bronsky est fixe : c’est son histoire qu’on raconte. Fixe mais double, un comédien quand il est jeune, un autre quand il est vieux.
Dès le début, des lettres d’un cynisme impossible traitent d’une détresse des plus tragiques : un commerçant juif à qui les Allemands nazis ont pris le stock, brûlé les murs, violé la femme, écrasé les testicules demande de l’aide pour fuir le pays vers l’Amérique. Le Consul lui répond huit mois plus tard dans un langage cru que tous ces juifs qui veulent émigrer en Amérique « l’ennuient » profondément, avec d’autres mots que je n’oserais écrire.
Le ton est donné : du burlesque pour ce génocide terrifiant qu’est la shoah. Il n’y a pas de pitié, pas de victimes innocentes, ni de bourreaux parfaits, pas de peuple comme un seul homme mis à mort froidement. Il y a juste des humains sans grâce qui doivent vivre et survivre, coûte que coûte. Dans l’effort souffrant et la drôlerie de pantins. Une forme de respect paradoxal.
Jacob Bronsky gardera des USA un sentiment de rejet fort, sans doute suite à ce manque d’accueil. A moins que ce soit le contraire, que son dégoût pour l’Amérique lui ai fait écrire ces lettres odieuses. Il se retrouve néanmoins exilé à New-York où sa vie est une vie de misère, de petits boulots et de gros culots, au milieu des clodos, des putes et des maquereaux. Il répond souvent : « je ne sais pas, » ou « ça je le sais, »… avec un air de dire « pourquoi vous me parlez de ça ? »… Il n’entame pas souvent la rencontre. Il ne propose pas grand-chose ou alors une image de lui incroyable, si belle… délirante… Lui, en homme riche… Il ne craint rien ni personne, du côté de la forfanterie. Son manque sexuel est terrible. Sa technique de drague pas très au point. Pour séduire une pauvre fille pas très demandée, pour rester poli, il raconte qu’il gagne 500 dollars la semaine, qu’il a une Cadillac rose (il ne pourra pas l’emmener dedans car elle n’a pas voulu démarrer… pas de chance !). Rien ne marche et cependant la vie continue. Un grand black (Bernard Bloch fait le black) le met sur quelques pistes. Il se fait garçon de café, rate tout, mais justifie tout aussi. Il a commencé un roman et suit l’avis d’un compatriote : si c’est l’histoire d’un célibataire, il faut l’appeler « Le branleur ». Belle idée !
Tout cela est aussi l’histoire de l’auteur Edgar Hilsenrath, transposée sur le mode virtuose d’un burlesque ultra rapide et d’une crudité drue. Le roman dont la création est mise ainsi en scène s’appelle en vrai La nuit (Editions Attila). Il est retourné en Allemagne, où son roman, de par sa perspective excessive et burlesque a fait l’objet d’un gros scandale. « Je me suis beaucoup frotté à l’humour juif tel qu’il est pratiqué dans les shtetl roumains et qui n’est rien d’autre qu’une façon de se moquer de manière ironique de ses semblables. » déclare-t-il à la presse. L’humour juif poussé à son extrême, à la limite de son renversement.
Les acteurs jouent de la même façon, dans une relation simple et directe au texte, à la scène et au public ; dans cette complexité aussi, endossant de nombreux rôles et en changeant à toute vitesse. Un théâtre de texte et d’acteurs.
Fuck America / d’après le roman d’Edgar Hilsenrath / adaptation de Vincent Jaspart / mes et jeu de Corinne Fischer, Bernard Bloch, Vincent Jaspard et Thomas Carpentier (violon)