Carnet de route 4
— par Roland Sabra —
Vu de Pékin cela n’a pas plus de valeur qu’une roupie de sansonnet. C’est dans la Chine éternelle que, sans état d’âme apparent, on fait table rase du passé en détruisant des pans entiers du patrimoine architectural pour en reconstruire une copie plus ou moins conforme en béton armé. Pour honorer la mémoire ? Pour le tourisme? Les chinois ont inventer un mot pour désigner la chose :«qianmenisation».
Cette passion pour le vrai-faux est aussi européenne. Le cœur de Berlin est aujourd’hui défiguré par un immense chantier : celui de la reconstruction du château des Hohenzollern, copie conforme du «joyau prussien» détruit par le régime communiste en 1950 ! Enfin pas tout à fait conforme puisque la restauration ne concernera que trois des quatre façades baroques qui masqueront un édifice moderne.
« The cavern » cet endroit mythique de Liverpool qui abrita les débuts des Beatles et qui est l’objet de nombreuses visites de touristes n’est pas le lieu où ils se produisaient, celui-ci ayant été détruit, par stupidité politicienne, au motif que l’immeuble était trop vétuste, avant que la municipalité ne réalise qu’il y avait une demande de la part des visiteurs. Il a donc été décidé de reconstruire, à quelques metres du lieu d’origine et au plus près de ce qu’elle fût, la célèbre cave. A Londres le seul bâtiment s’inscrivant dans cette logique du vrai-faux que j’ai pu voir, mais je ne prétends pas à l’observation exhaustive, est le fameux, l’illustre Théâtre du Globe, le théâtre de Shakespeare. Le théâtre, ce lieu qui abrite l’illusion est lui-même une illusion. Le vrai théâtre fut construit en 1599, sur Bankside, en bordure de la Tamise, à moins de deux cents mètres de l’emplacement actuel, pour la troupe de Shakespeare, les «Cahmberlain’s men». On y accède aujourd’hui à pieds, en voiture ou en bateau, après une jolie balade sur le fleuve, à partir d’Embarkment, un point de jonction avec les bus et le « tube ».
Tout à la fin du XVIIème siècle moins de quinze ans après son ouverture au public, qui s’y pressait nombreux, disent les chroniques de l’époque, il brûla complètement. En 1613 une manipulation pour le moins hasardeuse d’un canon au cours d’une représentation d’«Henri VIII » mit le feu aux poutres en bois et au toit de chaume. Il fût aussitôt reconstruit. Shakespeare mourut trois ans après l’incendie mais sa troupe continua d’y être hébergée jusqu’à 1642, date à la quelle tous les théâtres londoniens furent condamnés, comme lieux de péchés à la fermeture, par le très puritain Parlement anglais. N’ayant plus d’utilité il fût tout bonnement rasé en 1644, au cours de la première guerre civile anglaise, sans en avoir été la cause!.
Il fallut attendre plus de trois siècles pour qu’un acteur et réalisateur étasunien, Sam Wanamaker, s’intéresse à la reconstruction du Globe. Et c’est sans doute par cette œuvre qu’il restera dans l’histoire. Son honorable filmographie, tant comme comédien que comme réalisateur passant au second plan. L’argent gagné devant et derrière les caméras va être investi, à partir de 1970 dans « The Shakespeare Globe Trust » dont la mission sera de reconstruire le théâtre, avec un centre pédagogique et une exposition permanente. Sam Wanamaker, meurt en 1993, un peu moins de quatre ans avant l’achèvement du nouveau théâtre et de ses annexes.
Le résultat est surprenant. Un théâtre reconstruit selon les méthodes et les techniques du début du XVIIème siècle. Le théâtre est en chêne «vert», les enduits de chaux sont mélangés selon les recettes de la même époque, le toit de chaume, a bénéficié d’une dérogation, puisque le grand incendie de Londres en 1666 en avait depuis interdit la fabrication. La scène fidèle à l’originale occupe une grande cour circulaire entourée par trois rangées de gradins très inclinées. A l’époque de Shakespeare la fosse, aujourd’hui dans nos théâtres, nommée le parterre, accueillait environ mille personnes debout qui par temps chaud et humide héritaient du nom de « penny stinkards ». Le penny était le prix du ticket d’entrée le plus bas. Pour occuper les premiers gradins il fallait débourser un penny supplémentaire et un autre penny pour chaque gradin supérieur. Le prix à payer pour s’éloigner des odeurs de la « populace » ! Les places les plus chères étant celles qui sont ‘aujourd’hui situées dans ce qu’on appelle le poulailler, c’est à dire les plus hautes, les plus éloignées de la scène. Le monde (le globe?) à l’envers! Coté cour et coté jardin en fond de scène deux loges, étaient réservées aux Lords et Laddies, plus soucieux d’être vus que de voir la pièce. Ceux-là sont toujours d’époque. Il en est à l’Atrium et au T.A.C.
Entre ces deux « Lords’ Rooms » au dessus de la partie centrale du plateau, la galerie des musiciens qui pouvait à l’occasion servir d’espace de jeu pour le balcon de Roméo et juliette, pour les remparts d’un chateau. Les loges de coté, les plus proches de la scène étaient les plus prisées et les plus chères, environ six fois le ticket d’entrée de base en contrepartie pouvait s’y assoir confortablement. La loge des comédiens, il n’y en avait qu’une, aujourdhui, concession à la modernité il y en a quatre, se situait en coulisse en fond de scène.Elle était étroite et ne servait qu’aux cahngement de costumes. Au beau milieu du plancher une trappe mène à un espace sous la scène d’où toutes sortes de diables, de sorcières, de fantômes peuvent surgir. Une autre trappe, située, elle dans le toit, permettait aux acteurs jouant un rôle de dieux, d’anges, d’archanges etc. de descendre du ciel. Le plafond était, est décoré, (Jésus! Marie! protégez-les!) des signes du zodiaque. L’auvent et le plafond sont supportés par deux énormes piliers d’Hercule en chêne peints façon faux marbre.
Le théâtre peut aujourd’hui accueillir 1600 personnes, dont 700 « groundlings » debout dans la fosse où il est interdit de s’assoir contre 3000 spectateurs à l’époque de Shakespeare. Il est ouvert de mai à octobre. Je n’ai donc pu assister à une représentation. Je ne sais toujours pas si c’était une bonne idée cette reconstitution. Le neuf perce sous l’apparence de l’ancien. La patine vient à manquer.
Alors est-ce un bien? un moindre mal? Déjà à propos des « Shambles de York » j’avais émis quelques réticences. et bien avant, à propos de la reconstruction du lycée Shoelcher, j’étais opposé au projet passéiste de refaire les bâtiments dans le style moderniste original comme le souhaitaient une partie du PPM. Pas de « dysneyland » architectural disais-je! Alors s’agit-il d’une position de principe, d’un entêtement doctrinaire? Loin s’en faut. Dans une société où règne la loi des apparences, dans une économie plus productrice de signes que de richesses matérielles, dans un pays où le sens du paraitre l’emporte sur l’avoir et plus encore sur l’être il est des faussetés, des faux semblants, des trompe-l’œil, un peu plus dérangeants. Le Théâtre du globe que j’ai visité n’est pas le Théâtre du Globe de que fréquentaient Shakespeare et les «Cahmberlain’s men» , il est néanmoins et compte tenu de nos savoirs actuels en la matière la reproduction la plus fidèle de ce que pouvait être un théâtre élisabéthain. Est-ce condamnable? N’ai-je pas moi-même suggéré à Patrick Chamoiseau, qui s’y était montré opposé, la reconstruction des abords et de la façade du théâtre de Saint-Pierre selon ces méthodes?
Je me fais une raison en pensant que ce New Globe est un lieu de plus pour le théâtre et qu’il reçoit chaque année environ 250 000 spectateurs ravis de baigner dans l’illusion théâtrale shakespearienne jusques et y compris dans les conditions d’inconfort de l’époque.
Juste à côté, à deux pas, le jouxtant à moins d’un jet de pierre se dresse le Tate Modern où l’on passe des journées entières à flâner, à reconnaître, à découvrir quelques merveilles. Une autre histoire…
Londres, le 1′ décembre 2014,
R.S.