Carnet de route 2
—Par Roland Sabra —
Ils ont un accent : par exemple le ‘tea’ se prononce à la française « té ». Cet accent leur a donné un nom les Scousers. Scouse est aussi le nom d’un ragoût de viande salée, de pomme de terre et d’oignon. Un goût des mélanges qu’ils ont gardé. Ils habitent une ville où se côtoient, s’entremêlent sans se fondre les populations les plus diverses. Ils sont environ 450 000 dans la ville proprement dite soit un peu plus de la moitié de la population de leur district métropolitain, le Meeyserside. Un demi siècle auparavant ils étaient rattachés au célèbre Lancashire « Ils » ce sont les Liverpuldiens. Les habitants de Liverpool ; la quatrième ville du royaume. Elle a été fondée il y a 800 ans mais ce n’est qu’un demi millénaire plus tard que débuteront ses heures de prospérité avec la traite négrière. En effet la sainte année 1699, bénie par l’Église anglicane voit partir le Liverpool Merchant son premier bateau vers l’Afrique. Cent ans plus tard le port recensait 185 bateaux négriers transportant chaque année plus de 45 000 esclaves. Ils ramenaient des Antilles rhum, sucre et tabac. La richesse accumulée au cours des 18 et 19ème siècle par le commerce triangulaire ne s’est pas traduite par des audaces architecturales. Loin s’en faut ! Beaucoup d’imitation du style Renaissance, des colonnes corinthiennes, des copies de temples grecs, beaucoup d’églises, cent cinquante environ, sans style vraiment remarquable. Le déclin de la ville est le reflet du déclin industriel de la Grande Bretagne au cours du 20ème siècle que le succès interplanétaire dans les années 1960 de quatre gamins du pays ne pourra contrarier. Comme chacun sait les Beatles sont liverpuldiens. Sans doute pour çà si ne n’ai jamais été un « beatlesmaniaque ». Je profite de ce moment pour quitter le navire de ce qui précède et qui semble être au mieux une resucée, au pire le remugle d’un cours de géographie économique comme j’ai dû en infliger à tant d’élèves. Je disais dons à propos des Beatles que je n’ai jamais cru à leur façade trop lisse, trop, clean pour être honnêtes. Je préférais « The Animals », le groupe d’Eric Burdon, ou plus encore le côté voyou et revendiqué des « Stones ». Le monde est comme ça, souvent partagé par excès simplificateur, en deux camps irréconciliables. En France par exemple il y a ceux qui passent leurs vacances en Bretagne et ceux qui les passent sur la Côte d’Azur, ceux qui ne jurent que par le Bordeaux, et ceux qui n’ont d’autres horizons que le Bourgogne etc. Un dernier exemple : il y a les partisans d’une privatisation des transports en commun et ceux favorables au maintien, voie au développement d’un service public. Et bien à Liverpool, par la grâce d’une certaine Margarett Tatcher ce sont les premiers qui ont gagné. Des sociétés privées se partagent les lignes de bus. Mon abonnement hebdomadaire de 15£ (20€) n’est valable que sur les lignes de cette compagnie. Si je dois faire un changement de bus à un arrêt et donc prendre une autre compagnie il me faut un autre abonnement hebdomadaire, 13 £ (17,30€) en l’occurrence. Ce n’est pas le même prix puisque chaque entreprise dans la logique libre du marché libre fixe librement son prix. Vive la concurrence ! Sauf que là en réalité il n’y a pas concurrence puisque chaque entreprise à le monopole de la ligne qui lui a été attribuée! Je n’ose imaginer une privatisation dans ces conditions du métro parisien ! Des fois, pas toujours mais quand même assez souvent je me dis qu’il y a des libéraux, qui nous prennent vraiment pour des cons. Et il y a des gens qui votent pour eux ! Si, si ! Et ce n’est semble-t-il qu’un début ! Bon Sabra, abrège ! Ok j’en viens à ce qui explique le titre de ce papier faute de pouvoir peut-être le justifier.
Le Black Friday. Il vient des États-Unis. Au lendemain de Thanksgiving des soldes très agressifs sont pratiqués un vendredi fin novembre ou début décembre. Les réductions peuvent aller jusqu’à 85% du prix initial. La phénomène a vu le jour dans les années soixante-dix et tend à se répandre en Europe. Le 28 novembre de cette année, en Angleterre, j’ai assisté à une scène d’émeute tout à fait hallucinante. Le soir j’apprendrai que cette scène s’est déroulée quasiment à l’identique et pour le même type d’objets à Londres, Manchester, Liverpool, Newcastle etc. Devant un supermarché de la chaîne Tesco, une foule en transe attend l’ouverture. Je ne comprends pas pourquoi. Chacun se surveille, joue des coudes pour garder sa place dans ce qui n’est plus depuis longtemps une file mais un tas. A l’heure pile les portes s’ouvrent. C’est la ruée. Pas de quartier. Une femme tombe. Elle entraine dans sa chute un homme. Ils sont tous deux à terre. On leur marche dessus, On les écrase. La presse avait été prévenue. Elle est à l’intérieur du magasin. Une demi-douzaine de caméras filment, cherchent le meilleur plan. Les deux personnes à terre obstruent le passage. Il faut les escalader. Des bottes écrasent les visages. Un vigile attrapent la main de la femme à terre, l’extirpe de la meute qui la piétine. L’homme rampe et parvient à s’extraire de la mêlée. Tous deux se relèvent et se précipitent pour rejoindre la foule vers les palettes où sont entassés des téléviseurs grand écran soldés à 139£ (185€) au lieu des 550£ (732€) du prix initial. Ce qui, au passage, en dit long sur le taux de marge des grandes surfaces ! Plusieurs mains se saisissent du même carton. On se le dispute. La bave aux lèvres on s’insulte. On tire à soi l’objet convoité. Le plus costaud l’emporte. D’autres se glissent entre les jambes des combattants pour atteindre le Graal. On échange des coups. Les caméras filment. La presse est ravie. « Y’a du spectacle ! C’est bon pour l’audience, Coco ! » J’ai la nausée. Puis la haine. Non pas pour les acheteurs qui se battent mais pour ceux qui organisent ces jeux du cirque au cours desquels les pauvres se donnent en spectacle, s’humilient aux yeux de tous, pour s’acheter ce véhicule d’abêtissement et d’aliénation programmés qu’est devenu un téléviseur. Je ne vais pas disserter sur la qualité des programmes de télé ! L’uniformisation des pensées est une valeur mondiale. Les Anglais doivent avoir leur Zemmour : ils ont déjà une presse de caniveau ! La police ? Elle est dans nos têtes ! La dignité ?
Mais de quoi tu parles Sabra ? Au fait tu ne parlais pas, dans un précédent papier d’acheter un nouvel ordinateur ces temps-ci ? Pour remplacer celui qui était resté en rade le jour de ton départ pour Liverpool ? Ça tombe bien le Black Friday est maintenant suivi, deux jours après et dans les mêmes conditions, du Cyber Monday…
Liverpool le 29/11/2014
R.S.