— Par Madinin’Art —
Dans un monde où l’injustice règne en maître, Christiane Taubira fait surgir un genre théâtral novateur avec sa pièce « Frivolités » que le metteur en scène Eric Delor, de la compagnie RéZiLYaNS, a tenté de mettre en forme lors d’une lecture théatrale a L’habitation La Favorite, au Lamentin ce lundi 13 novembre 2023, en s’appuyant sur les talents de Laura Grandfils, Rita Ravier, Aïda Sabino, et Miya Venance. Lecture théâtrale qui n’est peut-être que les prémisses d’une mise-en scène future. C’est à souhaiter.
Il existe des formes de théâtre qui se basent principalement sur des déclarations, des discours ou des monologues, et qui peuvent être dépourvus d’une intrigue linéaire traditionnelle. Ces formes théâtrales mettent souvent l’accent sur la communication directe avec le public et sur l’exploration de thèmes, idées ou questions philosophiques plutôt que sur le développement d’une histoire narrative.
Un exemple de ce type de théâtre est le « théâtre épique » ou « théâtre de déclaration ». Cette approche théâtrale, développée par le metteur en scène allemand Bertolt Brecht, vise à créer une distance critique entre le public et l’action sur scène. Au lieu de s’immerger émotionnellement dans une intrigue, le public est invité à analyser et à réfléchir aux idées présentées.
Dans le théâtre épique, les acteurs peuvent interrompre l’action pour adresser directement le public, exprimer des idées politiques, sociales ou philosophiques, et utiliser des techniques de distanciation pour éviter une identification émotionnelle trop forte. L’objectif est souvent de stimuler la réflexion intellectuelle plutôt que de susciter une empathie immédiate envers les personnages.
Les performances de spoken word, de slam poésie ou de monologues peuvent également s’inscrire dans cette catégorie, mettant en avant des déclarations puissantes, des réflexions profondes, sans nécessairement suivre une trame narrative traditionnelle.
Bien que l’absence d’intrigue puisse être moins courante dans le théâtre conventionnel, des formes alternatives de théâtre axées sur des déclarations directes, des discours ou des monologues existent et cherchent à engager le public de manière intellectuelle plutôt que narrative.
Et c’est le cas de « Frivolités », dont le titre souffre sans doute d’une absence de point d’interrogation! Cette œuvre étincelante s’élève contre les travers de notre société à travers treize femmes, représentant les cinq continents, réunies pour dénoncer les maux et les errements du monde contemporain.
L’histoire, dépeinte avec une écriture flamboyante et une variété de styles allant du théâtre classique à la poésie, tourne autour de ces femmes qui, dans un bureau des plaintes à ciel ouvert, expriment leur ressentiment envers les injustices commises par les hommes, les Blancs, et l’Occident en général. Chacune porte une tenue permettant de l’identifier plus facilement, symbolisant ainsi son origine ethnique.
Les discussions passionnées de ces femmes traversent les thématiques sociétales et politiques, de la précarité à la pédophilie, du féminisme au racisme. La pièce établit un dialogue vif où les opinions divergent, mais où la quête de justice et d’empathie demeure constante.
Christiane Taubira ne se contente pas de créer un simple monologue. Elle introduit des éléments musicaux et dansants, avec un quatuor, une chanteuse et des choristes en permanence près de la scène, élargissant ainsi les frontières du théâtre traditionnel. Sa pièce éveille les sens et incite à la réflexion, utilisant la colère comme un feu d’artifice qui illumine le chemin vers une compréhension plus profonde de notre rapport au monde.
Dans cet entrelacement complexe d’idées, Christiane Taubira explore l’altérité sous ses multiples facettes : féminine, raciale, sociale, culturelle. La pièce se transforme en une charte de l’altérité, invitant le public à remettre en question sa vision du monde et des autres.
Cependant, « Frivolités » suscite des réactions mitigées. Certains voient en cette œuvre une Lilian-Thuramisation tranquille, pointant du doigt une détestation de l’Occident et de son histoire. Les personnages, sautant à pieds joints dans la caricature, expriment un ressentiment palpable qui pourrait diviser le public entre ceux qui applaudissent la révolte et ceux qui remettent en question la pertinence des critiques formulées.
Que l’on soit séduit par cette révolte en monologue ou sceptique face à ses diatribes, « Frivolités » s’impose comme un témoignage audacieux, une tentative de créer un nouveau genre théâtral qui bouscule les normes et secoue les consciences. La scène devient ainsi le lieu de l’expression libératrice, où l’intrigue cède la place à la force brute des paroles et des émotions.