Frantz Fanon (1925-1961), psychiatre d’origine martiniquaise, bâtit en quelques livres une œuvre révolutionnaire dans laquelle il s’applique à décrire le système colonial et ses conséquences inévitables : le racisme et l’aliénation qu’il engendre. Mais il va aussi s’engager très concrètement, en Algérie. Rejetant toute forme d’obscurantisme, il entend défendre une Afrique libre, socialiste, démocratique et laïque. Son ambition ? Ni plus ni moins que forger un nouvel humanisme, assumant les traditions locales comme la boussole universaliste, récusant tout impérialisme et permettant à tous de s’épanouir librement.
Cinq questions à Kévin Boucaud-Victoire, auteur de « Frantz Fanon. L’antiracisme universaliste »
— Par —
Les écrits du psychiatre martiniquais Frantz Fanon ont marqué une intelligentsia révolutionnaire sur tous les continents, particulièrement aux États-Unis, aux Antilles et dans l’Hexagone. Dans son ouvrage « Frantz Fanon. L’antiracisme universaliste » (éditions Michalon), Kévin Boucaud-Victoire revient sur une pensée particulièrement dense et dynamique, dont les contours sont encore d’actualité.
Philippe Triay • Publié le 21 février 2023 à 14h23, mis à jour le 21 février 2023 à 15h39
De mère martiniquaise et de père guadeloupéen, Kévin Boucaud-Victoire est journaliste, rédacteur en chef de la rubrique Débats et Idées du magazine Marianne, et co-fondateur de la revue en ligne Le Comptoir. Il a écrit plusieurs ouvrages : Mystère Michéa, portrait d’un anarchiste conservateur (éditions l’Escargot), George Orwell, écrivain des gens ordinaires (éditions Première Partie, collection Vraiment Alternatifs), et La guerre des gauches (éditions du Cerf). Son livre sur Frantz Fanon retrace de manière critique et pédagogique l’itinéraire intellectuel de l’essayiste et révolutionnaire martiniquais. Interview.
Frantz Fanon a écrit principalement dans les années cinquante et soixante, qu’est-ce que son œuvre peut nous dire aujourd’hui ?
Kévin Boucaud-Victoire : Fanon écrit dans un contexte qui est très daté, qui est celui de l’après-guerre et de la décolonisation. Depuis cette dernière s’est achevée, la guerre froide également et le capitalisme règne un peu seul en maître même si une nouvelle géopolitique s’est mise en place avec d’autres pôles concurrents, dont le capitalisme autoritaire chinois. La question du racisme a aussi changé puisque de fait les structures qui soutenaient le capitalisme telles qu’elles existaient à l’époque de Fanon ont muté.
Malgré cela, je pense que dans la pensée de Fanon il reste plusieurs choses. Il y a cette analyse matérialiste du racisme, c’est-à-dire quelles sont les structures qui permettent de l’expliquer. Fanon va au-delà de l’idée qu’il s’agit juste d’un sentiment humain ou de quelque chose d’universel, mais il montre que c’est le produit d’une structure sociale donnée. Il montre que les conséquences du racisme ne sont pas que sociales, mais aussi culturelles : les cultures dominées par d’autres restent figées. Il montre aussi que ces conséquences, et c’est le premier à l’avoir vu, sont de l’ordre du psychique. C’est l’aliénation telle qu’elle a pu être entendue par Hegel puis par Marx que Fanon va étendre. Pour le colonisé et le colon, par un double jeu de miroir, celui qui est infériorisé a un rapport pathologique à lui-même puisqu’il aimerait être autre, et le colon de son côté, étant en situation de supériorité, a du mal à voir l’autre comme son égal.
Cette aliénation du colon vaut autant pour le raciste que pour le négrophile car comme dit Fanon celui qui aime le Nègre est aussi malade que celui qui le déteste. Ce sont des choses qui restent aujourd’hui dans des structures qui peuvent exister en France mais aussi aux Caraïbes, au Brésil, aux Etats-Unis, etc.
Pourrait-on dire que Frantz Fanon avait une analyse plus marxiste que tiers-mondiste, du moins relatif au tiers-mondisme tel qu’on le concevait à l’époque ?
Fanon avait une analyse assez marxiste même s’il n’avait jamais lu Le Capital, bien qu’il ait lu d’autres livres de Marx. Il adapte l’analyse et les outils du marxisme à d’autres formes de sociétés, où la révolution industrielle n’a pas eu lieu, où le prolétariat dont parle Marx ne s’est pas constitué ou bien est encore embryonnaire, et où la paysannerie est encore très importante. Donc la classe révolutionnaire en elle-même dans le Tiers-Monde ce ne sont pas les ouvriers mais les paysans qui sont totalement extérieurs au monde colonial car ils ne vivent pas en ville, et le lumpenprolétariat, qui lui vit en ville mais est l’ennemi de la classe ouvrière dans l’analyse marxiste. Pour Fanon, ce sous-prolétariat qui vit de la délinquance peut être important à une condition, c’est de le conscientiser et de le politiser. C’est ce qui sera repris par les Black Panthers aux Etats-Unis quand ils vont essayer de politiser les ghettos noirs. Fanon n’est pas plus marxiste que tiers-mondiste mais il adapte son marxisme au tiers-mondisme…
Les militants afro-américains ont repris beaucoup de thèmes de Fanon concernant sa perspective de la violence conçue comme libératrice et cathartique, mais d’après vous sa théorie a été quelque part dévoyée…
Elle est notamment dévoyée par…
CARACTÉRISTIQUES
Auteur
Kevin Boucaud-Victoire
Editeur
Michalon Eds
Date de parution
12/01/2023
Collection
Le bien commun
EAN
9782841869763
Format
11cm x 18cm
Poids
0,1200kg
ISBN
2841869768
Illustration
Pas d’illustrations
Nombre de pages
128