— Par Claire Devarrieux —
Indépendance de l’Algérie, révolution cubaine : l’éditeur et libraire engagé, devenu écrivain sur le tard, est mort samedi à 83 ans.
L’éditeur et écrivain François Maspero est mort à Paris le 11 avril. Son ami médecin, le rhumatologue Marcel-Francis Kahn, raconte dans quelles conditions sur le site de Mediapart, où il a annoncé le décès le soir même : «Alerté par une fuite d’eau, on l’a découvert dimanche mort dans sa baignoire. Il avait passé la journée du vendredi 10 avec moi, qui l’avais amené dans une clinique de banlieue où il a subi un examen radiologique demandé par le spécialiste qui le suivait. Il avait 83 ans. Hier, on honorait la libération de Buchenwald où est mort son père. Je connaissais François depuis près de quarante ans et, au fil des ans, il était devenu mon meilleur ami.» Tous ceux qu’il a édités entre 1959 et 1982, à l’enseigne des éditions Maspero, tous les militants qu’il a soutenus, tous les lecteurs de l’œuvre personnelle qu’il a entreprise à partir des années 80 : il y a beaucoup de monde dans la cohorte de ceux qui se souviennent de lui.
Cancre fugueur. Avant de devenir un des grands noms de l’édition des années 60 et 70, le patronyme de Maspero est rendu célèbre par le grand-père, Gaston Maspero, égyptologue, et par le père, Henri Maspero, sinologue : deux professeurs au Collège de France. Jean, le frère aîné de François Maspero, est un jeune homme brillant qui aurait dû s’inscrire dans cette lignée d’intellectuels s’il n’avait été tué en septembre 1944, à l’âge de 19 ans, alors qu’il avait rejoint un régiment américain. Membre des FTP (Francs-tireurs et partisans), Jean Maspero a abattu un officier allemand et a été dénoncé. En représailles, son père et sa mère sont déportés le 15 août 1944, l’un à Buchenwald, où il meurt, l’autre à Ravensbrück. Seule sa mère reviendra. François Maspero évoque ce legs de la guerre et de la Résistance dans ses mémoires, les Abeilles et la Guêpe (Seuil, 2002). C’est de là qu’il vient, de la bourgeoisie éclairée, d’une famille soudain brutalement dévastée mais qui lui a appris à être, quoi qu’il arrive, «du côté de la vie». Cependant, il écrit : «Tout en moi affirme que je suis né le 24 juillet 1944, à l’âge de douze ans et demi.» A cette date, qui est celle d’une «naissance à la mort», un agent de la Gestapo décide que l’enfant a la vie sauve.
François Maspero a derrière lui une carrière de jeune cancre fugueur, quand même vaguement intéressé par ses études d’ethnologie, lorsqu’il devient libraire, puis éditeur. Il acquiert sa première boutique en 1954. Il a 22 ans. Bientôt, il s’endette pour ouvrir La Joie de lire, rue Saint-Séverin, en pleine guerre d’Algérie. C’est l’époque où les librairies sont à la fois des centres culturels et des foyers d’idées séditieuses, ce qui revient au même. Rue Saint-Séverin, on vient lire sur place, éventuellement acheter des documents et des ouvrages qui racontent toutes les luttes possibles (l’usine, les prisons, la justice). On vient aussi se procurer les titres de la «petite collection maspero» (les lettres capitales disparaissent souvent de la typographie, en ce temps-là). Couvertures en papier avec rabats, couleurs avenantes : rien de plus sexy pour les lecteurs d’après-Mai 68 que le Pillage du tiers-monde, de Pierre Jalée (jaune), ou Pour l’école du peuple, de Célestin Freinet (orange). Le premier titre de «la petite collection» est Au pied du mont Kenya, de Jomo Kenyatta ; les n° 2, 3 et 4, les Ecrits de Mao Zedong. Puis c’est Planification et croissance accélérée, de Charles Bettelheim, et Aden Arabie, de Paul Nizan. Les noms de Che Guevara et de Fidel Castro (l’éditeur est allé à Cuba), Frantz Fanon, Louis Althusser, Régis Debray, Daniel Guérin, Emile Copfermann, dessinent un archipel d’engagements politiques…
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