France-Allemagne : le grand écart des salaires des profs

— Par Gilles Fumey —
La longue crise du recrutement des enseignants en France peut-elle être mise en regard avec l’Allemagne ? Curieux qu’il n’y existe pas de crise. Les professeurs débutants sont rémunérés plus du double des stagiaires français : 24 580 € de ce côté-ci du Rhin, 50125€ de l’autre côté. Etonnant, mais il y a un biais géographique.

Partons d’abord de ce constat qu’un étudiant dont on exige un master 2, donc cinq ans d’études post-bac, a du mal à accepter un job avec un salaire à 135% du Smic en début de carrière pour 268% en Allemagne. Oui, le salaire est bien pour les jeunes professeurs (pas les vocations tardives) un repoussoir pour ce métier qui ne reconnaît pas les efforts des études longues et exigeantes.

En outre, l’Allemagne ne subit pas l’humiliation annuelle de l’enquête Pisa, publiée par l’Ocde, comparant le niveau de formation des collégiens. L’Allemagne était dans les mêmes clous que la France il y a vingt ans. Aujourd’hui, elle est très loin devant alors que la France après avoir reculé fait du surplace (26e rang sur soixante-dix pays). Comment l’Allemagne a-t-elle fait ? Elle a impliqué ses enseignants en les payant plus pour marquer la considération qu’elle leur porte.

L’école coûte, pourtant, plus cher en France qu’en Allemagne. L’argent de l’école ne va pas aux enseignants. Eurostat et l’Ocde ont chiffré un système éducatif français très éparpillé, dû à des densités de population plus faibles, nécessitant au moins 20 000 établissements supplémentaires qui explique, en partie, pourquoi la moitié des dépenses de l’éducation va à la gestion. En fin de carrière, un professeur allemand gagne 30 000 euros annuels de plus que son collègue français.

Une étude datant de 2013 montrait que le professeur français a une moyenne de 14,25 élèves (à cause des dédoublements, des disciplines à faible effectif comme les lettres classiques, etc.) contre 15,48 en Allemagne. A l’époque, on calculait que même en augmentant le nombre d’élèves par classe (on a fait l’inverse depuis !), on aurait pu gagner 56 000 postes, pour augmenter les salaires des professeurs. Avec une dépense par élève qui a pu atteindre jusqu’à 24% du PIB français contre 17% en Allemagne, il y a une marge qu’un ministre avait comparé à de la graisse de mammouth. En ayant une dépense administrative au niveau de celle de l’Allemagne, on aurait pu reverser 20 000 euros par an aux enseignants et rattraper en partie l’Allemagne. Un an avant les municipales, demander un regroupement d’établissements : explosif !

Le travail des enseignants peut-il se comparer ? Le professeur allemand dans le primaire plus qu’au collège et au lycée, est multitâche, donnant 27 cours hebdomadaires de quarante-cinq minutes, surveillant s’il le faut, remplaçant les collègues malades ou absents. Son lieu de vie, c’est l’école comme le bureau pour l’employé ou l’usine pour l’ouvrier. En arrivant le matin, il consulte le tableau des remplacements et apprend ce que sera sa journée qui a commencé à 7h30 et termine entre 13h et 15h.

Son enseignement est laissé à sa libre appréciation : vidéos, travaux pratiques, cours magistraux. Il doit s’adapter lorsqu’il entre dans une classe qu’il ne connaît pas. Mais les élèves aiment bien voir d’autres professeurs et s’amuser à les comparer… Ils sont rassurés de savoir que leurs enseignants peuvent être les premiers assistants sociaux, qui signalent à ce qui est l’équivalent de la DDASS tout comportement inapproprié tant chez les élèves que chez les parents.

Toutes les comparaisons pourront être à l’avantage de l’Allemagne. Mais reste la géographie. Nos 32 000 communes regroupées en communautés d’agglomération amorcent des regroupements. Se feront-ils au bénéfice d’une nouvelle génération de professeurs mieux reconnus ? Ce n’est pas sûr. Le dédoublement des classes dont on attend avec impatience les résultats contribue paradoxalement à la paupérisation du métier. Er ce ne sont pas 300 malheureux euros qui ramèneront de bons étudiants motivés au bercail de l’école…

Source : Liberation.fr