Flexibilité électrique : et si c’était ça, l’avenir de notre système énergétique ?

— Par Etienne Latimier (*) —

Les débats sur l’énergie en France voient monter en puissance, depuis quelques mois, la notion de flexibilité électrique. De plus en plus d’entreprises françaises développent des outils dédiés à mieux piloter la demande en électricité. Comprendre pourquoi cette notion, pourtant ancienne, prend aujourd’hui une ampleur nouvelle, implique d’observer les deux grandes tendances qui dessinent l’avenir du système énergétique français : la décarbonation et le déploiement des énergies renouvelables.

D’un côté, la France poursuit son effort de décarbonation de l’économie dans le but d’atteindre au plus vite ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. La Stratégie nationale bas carbone (SNBC) vise la neutralité carbone à l’horizon 2050. Cet enjeu requiert d’électrifier un maximum d’usages qui utilisaient des énergies thermiques.

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Une consommation en hausse, une production électrique à réinventer

En premier lieu la mobilité, en encourageant le passage des véhicules thermiques aux électriques, mais aussi l’industrie, qui s’appuie encore beaucoup sur les fossiles à des fins de production de chaleur, et enfin le chauffage, pour lequel le gaz concerne encore 15 millions de foyers en France. Malgré des mesures d’efficacité énergétique permises par la rénovation et des gains de rendement menés en parallèle, les nouveaux usages liés à la décarbonation commencent à engendrer une progression globale de la consommation électrique du pays.

De l’autre côté, pour répondre à ces besoins, la France incite au développement rapide des énergies renouvelables, avantageuses sur les plans économique et environnemental. La Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), actuellement en consultation, table sur une évolution de la part des énergies renouvelables dans le mix de production électrique française qui passerait de 25 % en 2022 à 45 % environ en 2050.

Piloter l’offre et la demande

Ces énergies se caractérisent par une production plus variable. En ce qui concerne le photovoltaïque et l’éolien, ils ne produisent d’électricité que lorsqu’il y a du soleil ou du vent. L’électricité étant difficile à stocker, la marge de manœuvre pour répondre à cette variabilité temporelle consiste à agir sur l’offre et la demande.

Jusqu’ici, c’est surtout par l’offre que le pilotage s’opérait, en s’appuyant le volume de production nucléaire et en réalisant simplement un petit ajustement à l’aide des tarifs heures pleines/heures creuses. Désormais, l’enjeu est de piloter l’offre différemment et d’actionner davantage le levier de la demande.

D’où l’utilité de la flexibilité électrique, par lequel le consommateur jouera un rôle plus important par ses pratiques de consommation.

Décaler nos usages pour davantage de flexibilité électrique

Comme évoqué précédemment, la seule alternative à la flexibilité électrique est le stockage de l’électricité. Or cette méthode est moins vertueuse. Elle présente un coût économique élevé même si le prix des batteries a diminué. En effet leur production engendre, par la pollution qu’elle génère, un coût environnemental peu cohérent avec la démarche de décarbonation menée en parallèle. Sans parler des risques à venir en matière d’approvisionnement, certains des métaux intégrés aux batteries étant considérés comme critiques.

Privilégier la flexibilité la majorité du temps – et garder la possibilité du stockage pour pallier les variations de production intersaisonnières – apparaît donc comme l’option la plus pertinente. L’idée est d’adapter la consommation à l’offre, en évitant de faire transiter l’électricité par des intermédiaires de stockage. Concrètement, cela consiste à viser, lors du suivi, un équilibre constant entre l’offre et la demande, en incitant les usagers à consommer davantage lorsque la production est importante. En particulier, dans le cas du solaire, en pleine journée.

Des heures creuses… en plein jour

La production solaire atteint aujourd’hui en France un niveau significatif en journée, même en hiver. Celle-ci est même supérieure à nos besoins au milieu de certaines journées d’été. Le surplus est, dans la mesure du possible, envoyé à l’étranger, mais cela ne suffit pas toujours pour l’utiliser dans sa totalité. Pour résoudre ce problème, la flexibilité électrique consiste à développer la logique des heures pleines heures creuses, en créant d’autres périodes tarifaires qui intègrent de nouvelles heures creuses en cœur de journée. C’est ce que la Commission de régulation de l’énergie commence à mettre en place.

Il s’agit par exemple d’inciter les consommateurs à décaler la recharge du million de véhicules électriques déjà en circulation en France – 18 millions attendus en 2035 – pendant les périodes de production solaire. Dans l’édition 2023 de son bilan prévisionnel, RTE estime que la consommation annuelle des véhicules électriques s’élèvera en 2035 à 35 TWH, contre 1,3 TWh en 2023. Il faudra donc éviter que toutes les voitures se retrouvent à charger en même temps au retour de la journée de travail.

Inciter le consommateur à décaler ses consommations

Encourager de tels comportements implique une incitation économique qui peut passer par des offres de fourniture électrique. Tout comme le tarif heures pleines/heures creuses qui existe déjà, mais dont les horaires vont être petit à petit modifiés.

D’autres offres plus dynamiques, proposant des plages horaires plus précises encore, différenciées au sein de la semaine, de la journée et de l’année, commencent aussi à émerger. L’offre EDF Tempo, par exemple, permet de payer plus cher son électricité pendant une période qui concerne les heures pleines de 20 journées rouges dans l’année, tandis que le reste du temps est plus avantageux financièrement.

La flexibilité électrique existe depuis les années 1980 mais elle peine encore à se développer. En effet, les citoyens sont davantage sensibles à la maîtrise de leur consommation. Les deux sont pourtant complémentaires : il s’agit non seulement de consommer moins mais aussi mieux. Pour cela, il est crucial de rendre ce type d’offres disponibles et surtout le plus lisibles possible pour les consommateurs en montrant leur facilité d’utilisation, même si certaines resteront orientées vers un public plus averti que d’autres.

Pour le consommateur cela implique de prendre certaines habitudes, mais ce décalage partiel de nos usages – lorsque c’est possible – ne concerne pas l’année entière. Surtout, il permet de contribuer à éviter le gaspillage d’électricité tout en réalisant des économies.

(*)À propos de l’auteur : Etienne Latimier. Ingénieur énergies renouvelables électriques et réseaux F/H, Ademe (Agence de la transition écologique).
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Source : WeDemain