— Le n°258 de « Révolution Socialiste », journal du G.R.S. —
(I) L’Amérique du centre et du sud
Cette Amérique, « Notre Amérique », pour parler comme le grand cubain José Marti, que la majorité des gens continue de baptiser « latine » alors qu’elle est autant indigène et afro descendante, entre dans une nouvelle phase de son histoire politique.
Une description traditionnelle de cette évolution, la résume à un basculement « à gauche » de cette partie du monde. On ajoute que ce basculement se réalise au grand dam des U.S.A. On liste alors, les président-e-s « de gauche » nouvellement élu-e-s (AMLO, Xiomara Castro, Pedro Castillo, Luis Arce, Alberto Hernandez, Gabriel Boric, Gustavo Petro) et on souligne l’échec retentissant subi par Biden, au récent Sommet des Amériques ; de plus, le boycott du président mexicain – AMLO en abrégé – protestant contre l’exclusion de Cuba, du Venezuela, du Nicaragua a pris l’allure d’un camouflet pour lui, pour s’exclamer alléluia ! woulo bravo ! champagne !
Une version opposée, toute aussi sommaire, prétend qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil sud américain, des gouvernements bourgeois étant toujours aux commandes dans tous les pays considérés.
Sans prétendre entrer dans les détails, nous affirmons qu’une réflexion utile commande de prendre en compte dès le départ, une complexité évidemment plus grande que ces deux interprétations opposées.
Il est certain qu’à la fin de la deuxième décennie du 21ème siècle, une vague de gouvernements de droite et d’extrême–droite a mis fin au souffle progressiste antérieur et faisait craindre le pire.
Aujourd’hui, même si on ne doit pas vendre la peau de l’ours, l’éviction attendue de Bolsonaro devrait signer la fin de ce cycle très à droite. Cette relégation ouvrirait avec éclat un nouveau cycle progressiste dont on ne peut que se réjouir. Bien sûr, on garderait à l’esprit toutes les limites et contradictions, variables selon les situations nationales.
Un fait marquant des changements sud–américains rappelle d’autres situations dans le monde : les dernières victoires électorales traduisent plus un rejet massif des politiciens au pouvoir dans le cycle précédent qu’une véritable adhésion aux nouvelles équipes. Les politiques néolibérales acharnées, pimentées par la corruption à grande échelle et une répression antipopulaire féroce, ont provoqué la chute des laquais pro-impérialistes du Chili, du Mexique, du Pérou, d’Argentine, du Honduras, de Colombie, menacent ceux du Brésil et provoquent de véritables insurrections populaires comme en Équateur. Ces changements électoraux ont été souvent préparés par des luttes remarquables au Chili ou en Colombie, par une belle résistance au coup d’État réactionnaire en Bolivie.
On ne peut cependant attribuer à ces nouveaux gouvernements, les propos fort optimistes que la nouvelle vice-présidente de Colombie, la militante des mouvements sociaux, écologiste, féministe, afro–descendante, Francia Marquez, a employés le 19 juin dernier pour décrire son propre gouvernement : « Nous avons réussi à avoir un gouvernement du peuple, le gouvernement des gens aux mains calleuses, des gens qui vont à pieds, de ceux et celles qui ne sont rien ». Beau discours qui n’empêche pas de rappeler, que le président colombien lui–même affirme que sa stratégie sera de « consolider le capitalisme » en le rendant compatible avec la réforme agraire, la défense des plus pauvres, la réforme fiscale pour réduire les inégalités. On sait malheureusement, où conduisent ces tentatives de marier la mangouste capitaliste et la poule prolétarienne.
Par ailleurs, le qualificatif de « gauche » attribué à un certain nombre d’autres, comme le président argentin actuel, est totalement et radicalement démenti par la gauche ouvrière de leur propre pays. Au Pérou, le nouveau président, élu sous l’étiquette d’un parti (Nuevo Peru) se déclarant « marxiste-léniniste» a déjà été dénoncé par ledit parti comme passé à l’ennemi néolibéral. Même Gabriel Boric, jeune président chilien de 36 ans, issu des rangs du Parti Communiste, est en butte à d’assez vives critiques de gauche.
La tâche des anticapitalistes de tous ces pays, n’est pas simple et linéaire. Ces noyaux anticapitalistes s’appuient sur l’acquis des luttes sociales, féministes, indigènes, écologistes qui ont facilité la défaite des réactionnaires. Ils soutiennent tous les pas–en–avant faits par les nouveaux dirigeants, combattent les orientations néfastes, appellent à la vigilance et travaillent à l’organisation des masses. Un élément positif réside en effet dans le contenu des luttes qui ont acculé les anciens gouvernements : la lutte féministe, les combats écologistes, le refus de l’extractivisme (politique tendant à chercher la croissance dans l’extraction des mines et l’exportation des matières brutes), l’exigence démocratique, la défense des nationalités indigènes dans des États plurinationaux, le combat pour le « bien vivre » à la place de la hantise du profit capitaliste.
Ce sont ces idéaux qui conduisent de plus en plus, à une démarcation à l’égard de l’ancien héros sandiniste, Daniel Ortega, devenu un suppôt du libéralisme capitaliste qu’il impose, avec à ses côtés sa compagne Murillo, par une répression féroce de la population contestataire. Une caravane, organisée en « mission internationale » à l’initiative du M.S.T. (mouvement socialiste des travailleurs) d’Argentine, s’est vue refuser l’entrée au Nicaragua. Elle venait enquêter sur le sort des centaines de prisonniers politiques dans des prisons où règne, dit on, la torture la plus abjecte.
Cette solidarité internationaliste est légitime, cette volonté de regrouper les exploité-e-s et les opprimé-e-s du sous-continent et de la planète est légitime.
C’est la meilleure réponse que l’on puisse porter à l’extrême-droite qui en Amérique du centre et du sud est aussi en embuscade avec des scores hélas importants au Chili, au Brésil, des soutiens mafieux importants en Colombie.
C’est aussi la meilleure arme contre les dérives, les trahisons ou les inconséquences de gouvernements de gauche non ancrés dans les masses prolétariennes urbaines ou rurales de notre Amérique.
C’est une contribution précieuse à une tâche dont nous ne cessons de répéter l’urgence : sauver l’humanité de la guerre, de la misère et de la destruction environnementale.
Salaires, Prix, Profits (suite numéro 3)
Dans leurs attaques continuelles pour contenir les salaires et augmenter leurs profits, les capitalistes ont compris depuis belle lurette que l’État à leur service doit être actif et utiliser la ruse.
Le « véglaj » est un art dans lequel l’État-Macron excelle. Sur la hausse des prix, par un procédé plutôt grossier, il maquille en permanence ses motivations. Aujourd’hui, « la guerre en Ukraine » est mise à toutes les sauces, mais vu que la ficelle est un peu grosse, l’État fait mine de chercher des compensations. En réalité, il met en place des tactiques pour modifier le rapport global entre les salaires et les profits en faveur de ces derniers. Il trifouille habilement tant sur le salaire indirect que sur le temps de travail. Lorsqu’il remplace l’augmentation des salaires par l’attribution de primes théoriquement faramineuses, il fait d’une pierre plusieurs coups :
1. Il agite un leurre devant les travailleurs/ses, puisque l’attribution desdites primes dépend du bon vouloir des patrons.
2. Il met aux mains des salarié-e-s, une carotte pour les pousser à se montrer les plus dociles possibles « pour mériter la prime ».
3. Il permet aux patrons de diminuer le salaire indirect puisque les primes sont hors cotisations sociales
4. Il soude les petits patrons aux gros puisqu’il donne aux premiers, un argument en béton : les gros peuvent donner des primes, pas nous. (La revendication de faire payer la hausse des salaires dans les petites entreprises par les profits dans les grosses répond à cet argument mais n’est pas encore assez popularisée).
À cette manœuvre sur les salaires, Macron ajoute maintenant le truandage sur le temps de travail. La bourgeoisie anglaise a inventé l’adage devenu universel : le temps c’est de l’argent. Elle ne l’oublie jamais, mais ne veut pas que les classes laborieuses le comprennent quand il s’agit d’elles–mêmes et de leurs propres intérêts.
Historiquement, ce truandage n’a pas trop marché puisque la lutte pour la diminution du temps de travail a commencé très tôt et continue ! Mais l’État tente un détournement : il fait semblant de ne voir dans la lutte sur le temps de travail qu’un combat pour plus de repos. Cet aspect est évidemment légitime et fondamental mais il est lié à un autre que les exploiteurs veulent masquer. On veut travailler moins, dans un monde où la technologie fait exploser la productivité, mais avec un salaire décent.
Or depuis Sarkozy, une formule magique fait florès : « travailler plus pour gagner plus ». Vous êtes « libre » de ne pas travailler plus, mais laissez ceux qui veulent gagner plus, travailler plus. Et le tour est joué ! On comprime les salaires, et donc on oblige à travailler plus pour un salaire à peine décent et trois cerises sur le gâteaux : on fait croire qu’on ne touche pas aux 35 heures, alors qu’en réalité on les transforme en synonyme de misère. Ensuite on fait passer les récalcitrants pour des feignants qui refusent eux-mêmes de gagner plus en travaillant plus.
Enfin, en permettant au patronat d’enlever les cotisations sociales sur les journées de RTT achetées, au lieu d’être prises, on diminue discrètement le salaire indirect des gens forcés au « travailler plus pour gagner plus ». La classe dominante est passée maîtresse dans le maniement de la dialectique des salaires, prix et profits. À nous de mettre les bouchées doubles dans le travail de démystification.