— Par Selim Lander —
Merci, monsieur Ahmed Madani pour cette démonstration enthousiasmante portée par dix jeunes femmes de toutes couleurs et de toutes conditions, comme on dit, mais plutôt typées immigrées, même s’il y a parmi elles une Guadeloupéenne qui a toutes les raisons de se revendiquer française d’ancienne lignée. Quoi qu’il en soit, si l’on dit qu’il n’y a pas de gens ordinaires, ces jeunes femmes en particulier, on ne veut pas insister sur leurs différences apparentes qui les distinguent des Françaises dites (horresco referens !) « de souche », la peau noire des unes, les cheveux frisés des autres (il n’y a pas d’Asiatiques parmi elles) : elles ne sont pas ordinaires comme l’est chacun d’entre nous, parce qu’elles ont chacune une histoire qui les rend uniques.
Nous sommes tous intéressants mais nous ne sommes pas tous capables de le montrer. Le grand mérite d’A. Madani est d’avoir su insuffler à chacune de ces dix jeunes femmes la force de s’exprimer avec une éloquence de bon aloi, sans gommer l’identité de chacune et surtout sans atténuer une émotion constamment palpable.
« Identité » : le grand mot est lâché. Chacun (chacune) d’entre nous a son « identité » qui le (la) rend unique, ce qui n’empêche pas qu’il (elle) puisse avoir simultanément un « problème identitaire » lorsque son identité particulière n’est pas suffisamment « identique » à celle de la population dominante. Mais, sauf cas pathologique, un problème identitaire n’empêche pas de vivre : l’humain est résilient et ces jeunes femmes le confirment en se donnant en spectacle devant nous.
« Spectacle » : un autre grand mot, lequel soulève immédiatement la question de la sincérité. Quelle est ici la part de l’authenticité et celle du … « spectacle ». C’est évidemment indécidable pour le … spectateur mais il y a tant de simplicité dans la manière dont ces jeunes femmes se présentent (qui les traiterait de comédiennes ?) que l’on est prêt à gager qu’il y a davantage de vérité que de mensonge dans leurs propos.
L’aspect témoignage est essentiel puisqu’il démontre qu’il n’y a aucune fatalité attachée aux « zones sensibles », que les choses sont évidemment plus complexes, que des parents analphabètes, ou presque, peuvent pousser leurs enfants dans les études et que, surtout, « l’équation personnelle » est aussi déterminante que les déterminismes sociologiques. Cela étant, F(l)ammes rappelle quelques cruelles vérités : à la sortie du collège, seulement dix élèves de la classe de la jeune femme qui a abordé cette question ont été orientés vers l’enseignement général, … dont un unique garçon !
Une seule de ces jeunes femmes était voilée, et l’on se demandait quelle lubie lui avait prise de s’accoutrer ainsi. Car ses propos d’où toute religion était absente ne collaient pas du tout avec cet … accoutrement (comment dire autrement ?) On aurait vraiment souhaité qu’elle nous expliquât les raisons de ce choix. Est-ce parce qu’elle est l’épouse d’un « barbu », comme elle l’a signalé en passant ? Est-ce parce qu’elle a réussi la combinaison improbable entre une foi sincère (aussi absurde soit-elle[i]) et la modernité ? Nous resterons là-dessus sur notre faim.
Les autres jeunes femmes soulèvent moins d’interrogations. On s’émerveille tout simplement de les voir aussi déterminées, aussi bien armées pour affronter une société qui ne manifeste guère de pitié, en général, pour les habitants des quartiers « défavorisés ». Elles sont passées summa cum laude à travers un système scolaire qu’on croirait conçu exprès pour faire échouer les « pauvres » et elles ont cultivé des talents parfois incongrus – quoique… – comme le karaté ( !) Pour « s’en sortir », elles ont dû parfois s’échapper de leurs familles. « Il faut beaucoup de courage pour s’enfuir lâchement » a dit l’une d’elle ! Comment ne pas l’approuver … et l’admirer ?
On croira peut-être, à lire ce que nous avons écrit jusqu’ici, que F(l)ammes est un spectacle méritant et ennuyeux, à l’instar de tout ce qui est « politiquement correct ». Erreur ! Cette pièce d’un genre particulier est non seulement un spectacle – comme déjà mentionné – mais encore un spectacle extraordinairement bien ficelé. Rien de plus plat, a priori, que de faire défiler dix jeunes femmes, racontant chacune leur vie ! En effet, mais F(l)ammes n’est pas du tout cela ! Si c’est ce que vous croyez (vous lecteurs qui n’avez pas décroché avant, le zapping sur internet étant ce qu’il est), vous êtes tout faux ! Bien sûr qu’elles se racontent mais elles ne disent d’elles que ce qu’elles veulent bien (la frustration est l’un des ressorts du théâtre !) et elles nous racontent encore bien d’autres choses, par exemple un résumé de l’histoire d’amour entre Ulysse et Pénélope (pas Pénélope Fillon, non !!!) comme on ne l’a jamais entendu.
Et puis elles sont dirigées, ce qui est le travail du metteur en scène – et celui-ci démontre ici qu’il n’a plus rien à prouver ! Prises de parole en solo, altercations, chants en solo, chants chorals, danse en solo, danse en groupe (il n’y a aucun crédit pour la chorégraphie, pourtant particulièrement remarquable ?) : tout est enthousiasmant.
F(l)ammes avec Anissa Aouragh, Ludivine Bah, Chirine Boussaha, Laurène Dulymbois, Dana Fiaque, Yasmina Ghemzi, Maurine Ilahiri, Anissa Kaki, Yidi N’Diaye, Inès Zahoré.
PS : Ahmed Madani a déjà monté un spectacle un peu similaire avec une dizaine de jeunes hommes du Val Fourré, intitulé Illuminations.
[i] Croire que Mahomet a reçu en direct d’Allah les sourates du Coran est aussi absurde en effet que croire que Jésus est le fils de Dieu le Père conçu par l’opération du Saint Esprit !