« F(l)ammes » de Ahmed Madani

  1. Samedi 18 février 2017 à 19h 30 à Tropiques-Atrium

Madani Compagnie
En 2013, une dizaine de jeunes hommes du Val Fourré interprétaient Illumination(s). C’est aujourd’hui la parole longtemps tue de jeunes femmes d’Île-de-France qui s’élève.

Lire  : « Illumination(s) », texte et mise en scène de Ahmed Madani : le meilleur du « Off » 2013  — par Roland Sabra —

Nées de parents immigrés, elles sont seules expertes de leur réalité, de leur féminité. Point aveugle de l’histoire de l’immigration en France, les moins visibles des minorités visibles s’explorent et s’expriment, chantent et dansent. Explorer leur moi intime, comprendre leurs doutes, leurs peurs, faire état des promesses dont elles sont porteuses, sont les moteurs de cette aventure artistique.

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Dix femmes sur scène. Après Illuminations, en 2013, un spectacle avec des hommes, vigiles originaires de banlieue, Ahmed Madani poursuit une aventure artistique intitulée «Face à leur destin» avec des jeunes habitants des quartiers populaires.

Lire :« Si vous saviez ce qu’il y a dans leur tête, vous les regarderiez différemment »

Les F(l)ammes ont toutes grandi dans des quartiers sensibles. Il y a Ludivine, de Boulogne-Billancourt («Les immeubles, le béton, le goudron,/Ne peuvent rien contre la forêt qui est en nous»), Anissa A., 28 ans, voilée, cinq enfants, qu’on obligeait à jouer le cheval à l’école primaire de riches, la guadeloupéenne Laurène («Les Antillais doivent toujours prouver qu’ils sont Français/Alors qu’ils sont Français depuis bien plus longtemps»)…Tour à tour défilent des tranches de vies de jeunes femmes enquête d’identité et de reconnaissance.De petites scènes cassent le risque de litanie. Les œuvres sur le grand écran du fond du vidéaste plasticien Nicolas Clauss infusent une respiration poétique. Tout n’est pas millimétré. Il n’y a pas de costume. Pas de décor, à part dix chaises. Les voix défaillent parfois.Mais une énergie solaire se dégage de F(l)ammes, de ces femmes dans la fleur de l’âge, rageuses, exaltées ou douces.A en rire parfois, en pleurer d’émotion aussi, devant cette danse de la vie et du doute.

Rencontre avec l’auteur et metteur en scène AhmedMadani, le jour de la première à la Maison des Métallos.

Comment avez-vous choisi vos comédiennes?

Pendant deux ans, j’ai organisé des ateliers d’écriture et de jeu dramatique dans toute la France –Mantes-la-Jolie, Paris,Amiens, Sevran, Créteil, Briançon, etc. J’ai rencontré des femmes de différentes conditions et de toutes origines. J’ai posé des critères pour les auditions : avoir des parents qui ont vécu l’exil, vivre dans un quartier péri-urbain, avoir entre 18 et 28 ans, être disponible pour plusieurs années et avoir une certaine autonomie. Aucune n’est une professionnelle, mon projet réclame de la fraîcheur et de la naïveté.

Comment s’écrit le texte?

Je leur dis: «Parlez-moi de vous et montrez-moi qui vous êtes.»D’où vient leur nom, comment vit-on avec un tel nom? Je ne sais rien à l’avance. Ce sont elles les expertes de leur jeunesse,de leur féminité,de leur vie de quartier. J’écoute et je leur renvoie des mots qui tiennent compte de leur pudeur et de leur

sensibilité. On parle, et j’écris des textes qui sont ensuite amendés ensemble.Le processus a une dimension de catharsis. Ces femmes se retrouvent prêtes à dire des choses qu’elles n’auraient pas dites avant. Je leur ai expliqué comment ne pas jouer au théâtre, comment être et ne pas faire.

Comment s’est déroulée la création à Sevran?

Sevran est une ville pauvre, sans théâtre,mais avec une association très active, la Poudrerie, qui travaille à ce que l’art théâtral rencontre le peuple. Tout se fait dans la salle des fêtes où viennent les différentes tranches de la société de Sevran. La friction avec ce public a été très forte, car il voit sur le plateau des gens qui leur ressemblent. C’était une salle vivante,qui commentait, qui riait… La diversité est un mot à la mode,pourtant le public traditionnel des théâtres est majoritairement féminin, et plus âgé que 50 ans. «Si tu veux parler de l’universel,parle de ton village»,disait Tolstoï.

On était très impatients de voir ce qui allait se passer dans un théâtre comme les Métallos.

Si le théâtre n’est pas le lieu de l’histoire contemporaine, ça sert à quoi?

Pourquoi avoir choisi cette aventure?

J’aurais pu continuer à diriger un Centre dramatique national, mais il me manquait le rapport au territoire, à des populations, à un public.J’ai décidé de revenir à ce pour quoi je fais ce métier. J’avais aussi le désir de questionner mon histoire de fils d’immigrés algériens, mais pas de manière frontale. Je souhaitais partager mon récit avec la jeunesse qui vit dans ces quartiers populaires, ces lieux d’exclusion qui pourraient évoquer les colonies.

C’est un positionnement entre la mémoire et la prospection.

Est-ce pratiquer une forme de démocratisation culturelle?

La démocratisation culturelle passe pour un gros mot aujourd’hui. Le théâtre populaire est souvent vu comme un théâtre populiste, à la différence d’un théâtre d’art. La notion de démocratisation n’est en effet pas aussi limpide qu’autrefois, du temps de Malraux. Le territoire a été irrigué par des artistes, qui ont été nommés à la tête d’établissements. Une intelligentsia s’est mise en place avec une perversion de ce système.Pourquoi la culture n’est elle plus un enjeu politique? Pourquoi le public est-il vieillissant? Pourquoi un désengagement artistique dans le système scolaire?

Quelle est la solution?

Aujourd’hui, la culture a un rapport avec l’économie.Or, le théâtre n’est pas une industrie. L’implication de l’État est très importante, mais il se désengage progressivement du territoire. Il délègue à des barons locaux, parfois sans réflexion sur la culture. Comment voulez-vous continuer si vous possédez une magnifique bibliothèque mais pas de livres dedans? Si on n’investit pas, les notes seront très salées.

La presse en parle :

Télérama :
Après avoir embrasé les planches avec Illumination(s), une pièce jouée en 2013 par des jeunes hommes du Val Fourré, l’auteur et metteur en scène Ahmed Madani présente F(l)ammes, second volet d’une trilogie.
Place, cette fois, à une troupe exclusivement féminine. Soit dix étincelles issues des cités sensibles, qui n’avaient pas ou pratiquement pas tâté de la scène. Ahmed Madani leur a d’abord demandé de se confier, mâtinant ce recueil intime de sa propre histoire familiale. « C’est une création partagée. Je suis le poète à leur disposition. J’écris à partir d’elles. Ces récits les incluent et les dépassent en même temps. » Un spectacle fort en gueule et riche en émotions, qui culbute les identités. On pleure parfois, on rit beaucoup aux jeux admirables de Dana, qui, par exemple, enfant se prenait pour un alien « en confondant l’extraterrestre E.T. et Haïti, d’où viennent mes parents ». Ou de Laurène, « différente de sa différence ». Ou encore de Ludivine, à qui un professeur de français avait « donné comme viatique pour le voyage de [sa] vie, cette phrase inoubliable : n’aie jamais honte d’où tu viens. »Ahmed Madani dit avoir choisi de « mettre le “l” entre parenthèses pour les désigner “elles” et leurs “ailes”. Car F(l)ammes, dit-il, c’est le feu de la vie ».

La Terrasse:
Ahmed Madani poursuit son exploration des quartiers populaires. Fruit de deux ans d’ateliers dans différentes villes de région parisienne, F(l)ammes est le pendant féminin de Illumination(s), succès du Festival d’Avignon Off en 2013. Pour Ludivine Bah, la cité est une forêt. Soit un espace ambivalent, dont les obstacles développent les facultés d’adaptation du marcheur. La jeune femme se qualifie d’ailleurs de caméléon : capable de citer Claude-Lévy Strauss comme de refaire le monde avec les amis du « quartier », elle donne le ton de F(l)ammes. Créée début novembre au Théâtre de la Poudrerie à Sevran (93), la dernière création de Ahmed Madani met en scène dix jeunes femmes rencontrées dans plusieurs villes de banlieue parisienne. Dix non professionnelles, qui se livrent avec talent à un récit polyphonique composé de bribes de vies complexes, loin des stéréotypes. Le dispositif est simple. Devant un écran où sont projetées des vidéos oniriques réalisées par Nicolas Clauss, dix chaises accueillent les interprètes. Malgré un long travail d’écriture à partir des témoignages recueillis, Ahmed Madani parvient à donner à F(l)ammes la simplicité de la parole spontanée. Tâche délicate, les récits de Ludivine et des autres touchant pour la plupart à l’intime. Alors que les neuf garçons de la Cité du Val-Fourré disaient dans Illumination(s) leur rapport à l’Histoire – à la guerre d’Algérie notamment – et leur vision du politique, les dix filles de ce nouveau spectacle n’hésitent pas en effet à livrer des bribes de leur histoire personnelle. Agrémentées sans doute d’une part de fiction.
Autofictions afropéennes On pense à Afropéennes d’Eva Doumbia, adaptation de textes de Léonora Miano où des jeunes femmes nées de parents africains et caribéens racontent leurs amours, leurs rêves et leur sentiment d’entre-deux. F(l)ammes contribue avec élégance à l’émergence récente d’une parole afropéenne féminine sur les scènes françaises. Très performatifs, entrecoupés de quelques moments de danse collective, les monologues qui se succèdent ont beau avoir chacun leur singularité, ils sont traversés par une même urgence à sortir de l’ombre. Par une énergie et un humour d’autant plus touchants qu’ils ne visent jamais à la séduction mais à la recherche d’une place au sein de la société française. Chose hélas beaucoup moins naturelle qu’elle devrait l’être. Chacune a pour cela sa stratégie : l’une s’habille en lolita japonaise, une autre pratique le karaté à haut niveau, une troisième choisit de porter le voile… Toujours dans une conscience aiguë des enjeux de chaque geste. Si certains fragments s’agencent bizarrement – en fin de spectacle, un témoignage sur l’excision donne par exemple lieu à une étrange parenthèse –, l’ensemble est d’une belle finesse. Militante,
mais avant tout humaine.

Charlie :

L’Humanité