— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue
Ces dernières années, les bonnes nouvelles n’ont pas cessé de pleuvoir d’abondance sur la toiture du ministère de l’Éducation nationale d’Haïti. À ce chapitre en effet, l’on a constaté que le Partenariat mondial pour l’éducation, la Banque mondiale, l’Union européenne, la Banque interaméricaine de développement et l’Agence française de développement continuent de se presser au chevet d’un système éducatif haïtien dont les tares et les maux sont diagnostiqués sous toutes les coutures depuis plusieurs décennies. En chœur ces puissantes institutions internationales trompettent, à coup de millions de dollars et d’euros, qu’elles œuvrent dans le but d’assurer, comme il est mentionné sur le site de la Banque mondiale, la « Promotion d’une éducation plus équitable, durable et plus sûre en Haïti ». Le champion toutes catégories de cet extraordinaire consensus international est assurément le Partenariat mondial pour l’éducation qui précise, sur son site, qu’il intervient « pour aider à faire avancer la réforme de l’éducation en Haïti » –ce qui laisse entendre aux incrédules et aux mécréants (dont nous sommes) qu’il y aurait actuellement en Haïti une présumée « réforme » éducative que les enseignants ne voient pourtant pas passer dans leurs écoles… D’ailleurs, dans leurs communiqués logés au sommet d’un exemplaire œcuménisme, les puissantes institutions internationales ne disent pas si elles oeuvrent à « faire avancer » la huitième ou la quinzième ou la trentième ou la cinquantième « réforme » de l’éducation en Haïti, ou si elles s’appliquent désormais à « réformer la réforme » du système éducatif haïtien… Qu’à cela ne tienne, la valse des millions de dollars et d’euros se poursuit, elle se danse nuit et jour dans les cabinets ministériels et dans l’antichambre des « experts » et des « consultants » nationaux et internationaux où trônent des diagnostics, des plans, des projets et des programmes qui se ressemblent d’une année à l’autre, la plupart du temps comme s’il s’agissait d’une prothèse miraculeuse aux innombrables vertus curatives. Et privé de boussole le Titanic haïtien –également connu sous l’appellation de ministère de l’Éducation nationale–, poursuit sa route sans savoir s’il se dirige vers la Rue des miracles ou vers la Rue des pas perdus…
La valse des millions de dollars et d’euros déversés depuis plusieurs décennies dans le système éducatif national a son vocabulaire, créole et français, qui témoigne de la permanence d’un phénomène qui figurera un jour prochain dans tous les manuels de sociologie politique et des sciences de l’éducation : l’« échec scolaire ». Échec non pas des élèves mais plutôt échec d’un système scolaire, qui enfante celui des élèves, échec de l’École haïtienne à tous les étages de l’édifice alors même que le système éducatif haïtien n’a pas cessé d’être amplement financé au fil des ans par les puissantes institutions internationales afin de colmater les mêmes failles, les mêmes maux pareillement diagnostiqués il y a dix, vingt, trente, quarante ans… Le ministère de l’Éducation nationale d’Haïti et les puissantes institutions internationales qualifiées de « partenaires » (ou de « partenaires techniques financiers », PTF) ont donc en commun le même vocabulaire, qui comprend de belles trouvailles lexicographiques : « réforme »/« refòm », « réformer »/« refòme », « réforme curriculaire »/« refòm kourikouloum », « gouvernance »/« gouvènans », « appui à la gouvernance », « éducation de qualité », « éducation équitable », « éducation durable », « appui budgétaire », « financement de l’éducation », etc.
La fonction référentielle du dispositif énonciatif des puissantes institutions internationales présentes dans le système éducatif haïtien –notamment le Partenariat mondial pour l’éducation, la Banque mondiale, l’Union européenne, la Banque interaméricaine de développement et l’Agence française de développement–, se résume à un simple mais efficace énoncé : « appuyer la réforme de l’éducation en Haïti ». C’est le sésame par excellence, le mot de passe totémique qui traverse le temps, qui s’accommode de tous les régimes politiques et qui garantit une toute œcuménique adhésion et du côté haïtien et du côté de l’International. Toutefois, les analystes du secteur de l’éducation sont unanimes : les institutions internationales « partenaires » d’Haïti, dans leur volonté de « réformer la réforme » du système éducatif national, détournent le regard des impertinents rapports de l’ULCC (l’Unité de lutte contre la corruption) sur le phénomène de la corruption systémique en Haïti. Au motif de l’urgence de voler au secours d’un système éducatif en constante chute libre, les institutions internationales « partenaires » d’Haïti s’interdisent de lire des diagnostics aussi « subversifs » que celui de Transparency International intitulé « La corruption dans le secteur éducatif / Document de travail » (avril 2007). Cette ample analyse-diagnostic de la prévalence, à l’échelle internationale, du phénomène de la corruption dans le secteur éducatif expose un éclairage sur « ses composantes à plusieurs niveaux : politique, administratif et au sein des écoles ».
C’est le lieu de poser certaines questions de fond en amont de l’examen du « Décret établissant le budget général de la République d’Haïti – Exercice 2023-2024 » (Le Moniteur, 29 septembre 2023) : les sommes introduites dans le système éducatif haïtien par le Partenariat mondial pour l’éducation, la Banque mondiale, l’Union européenne, la Banque interaméricaine de développement et l’Agence française de développement sont-elles à l’abri de la corruption qui gangrène l’ensemble de la société haïtienne ? Ou bien le financement international de l’éducation nationale participe-t-il de plain-pied de la corruption généralisée au pays ? En dépit d’une recherche documentaire approfondie, nous n’avons pas trouvé UN DOCUMENT-SYNTHÈSE ciblant spécifiquement la présumée corruption dans le système éducatif haïtien au cours des dix dernières années et qui aurait été collectivement élaboré par les 20 institutions internationales qui financent l’éducation dans un pays, Haïti, où l’État ne finance et ne gère que 20% des écoles et où « 62% des écoles sont situées en milieu rural » (voir la thèse de doctorat de Mardochée Pierre, « Démocratisation et inégalités scolaires dans les pays en voie de développement. Le cas d’Haïti », Université Paris-Saclay, 2021). Mais sur le registre d’une analyse objective, s’agit-il de corruption présumée ou de corruption identifiée et documentée dans le système éducatif national ? Est-il vraisemblable que la corruption qui s’est amplement généralisée et renforcée ces dernières années en Haïti ait miraculeusement épargné le système éducatif haïtien ?
La question de la corruption dans le système éducatif haïtien, qualifiée d’endémique par de nombreux analystes, a brutalement refait surface dans la presse haïtienne à la lumière des révélations sur le PSUGO, le Programme de scolarisation universelle gratuite et obligatoire mis en place par le PHTK. Une recherche documentaire approfondie nous a permis de retracer la dénonciation publique du PSUGO par l’actuel ministre de facto de l’Éducation nationale Nesmy Manigat (nous y reviendrons) ainsi que l’article de l’économiste et historien Leslie Péan, « Corruption et crise financière aux temps du choléra haïtien (2 de 3) » (site alainet.org, 18 juin 2015). Dans ce texte Leslie Péan expose que « Le pillage systématique des deniers publics a également touché le secteur de l’éducation avec le détournement des fonds estimés à 100 millions de dollars l’an, collectés à partir d’une taxe de 5 centimes (0.05 $) sur chaque appel téléphonique entrant et 1.50 $US sur chaque transfert monétaire. Dès la première année, 766 fausses écoles ont été créées et financées dans le cadre du prétendu Programme de scolarisation universelle gratuite et obligatoire (PSUGO). Ce programme a été totalement improvisé et il n’est pas muni des garde-fous nécessaires. Le ministère de l’Éducation nationale est souvent dans le rouge et n’arrive pas à payer les écoles participant au PSUGO. En 2015, pour justifier les retards enregistrés au niveau des paiements des écoles participant au PSUGO, le gouvernement pleurniche en prétendant qu’il n’a reçu que 44 millions de dollars des 100 millions qui avaient été prévus. Aucun audit indépendant n’est venu prouver cette assertion. (…) Selon un rapport réalisé en 2015 par l’Union des parents d’élèves progressistes haïtiens (UPEPH), « le PSUGO subventionne plus de 2 500 écoles fantômes. Ces dernières sont créées par des délégués départementaux, des députés du Bloc pour la stabilité et le progrès (PSP), des sénateurs pro-gouvernementaux et des partis du gouvernement. Le rapport indexe en des termes pour le moins cinglants Kenston Jean-Baptiste, député du Cap-Haitien, qui a pistonné 44 écoles du Nord, comptabilisant 812 bénéficiaires. Dans le Sud, poursuit le rapport, sur les 79 établissements privés subventionnés par le PSUGO, 73 sont référencés par des députés. « Il y a six départements du pays où les parlementaires sont beaucoup plus impliqués dans les cas de fraude du PSUGO : la Grande-Anse, le Sud, le Nord, l’Artibonite et le Nord-Ouest » indique le document ». [Le souligné en gras et italiques est de RBO]
Vaste opération de corruption et de détournement de fonds publics, le Programme de scolarisation universelle gratuite et obligatoire, le PSUGO, a été lancé en 2011 par le PHTK néo-duvaliériste. Il fut unanimement dénoncé par les enseignants et de nombreux secteurs de la société civile en Haïti. Les associations d’enseignants, les directeurs d’écoles et les regroupements de parents d’écoles ont en effet publiquement dénoncé les malversations systémiques qui ont lieu au PSUGO, comme en font foi plusieurs articles issus d’observations de terrain et parus dans la presse en Haïti : « Le Psugo, une menace à l’enseignement en Haïti ? (parties I, II et III) – Un processus d’affaiblissement du système éducatif », Ayiti kale je (Akj), AlterPresse, Port-au-Prince, 16 juillet 2014. Voir aussi sur AlterPresse la série d’articles « Le PSUGO, une catastrophe programmée » (parties I à IV), 4 août 2016. Voir également l’article fort bien documenté « Le Psugo, une des plus grandes arnaques de l’histoire de l’éducation en Haïti », par Charles Tardieu, Port-au-Prince, 30 juin 2016 ; voir aussi l’article « Le système éducatif haïtien à l’épreuve de malversations multiples au PSUGO » (par Robert Berrouët-Oriol, Le National, Port-au-Prince, 24 mars 2022).
La problématique de la corruption dans le système éducatif haïtien a été très occasionnellement abordée par l’UNESCO dans l’étude « Améliorer le financement de l’éducation : utilisation et utilité des subventions aux écoles » (source : UNESDOC, Bibliothèque numérique de l’UNESCO, document non daté). En voici un extrait : « Suite à une enquête initiée par l’Unité de lutte contre la corruption sur 208 établissements scolaires dans deux districts d’Haïti, le MENFP a décidé d’exclure 85 écoles de la liste du PSUGO (…) Le bureau du PSUGO ne nous a jamais fourni le montant correspondant au nombre d’élèves subventionnés au niveau de l’école. Pourtant, ce programme donne des montants exorbitants à des directeurs d’écoles fictives, qui n’existent nulle part dans le pays », affirme un directeur (Monographie #1, Synthèse nationale, Haïti, p. 25) ».
Dans un très rare moment de lucidité politique, la « superstar » médiatique du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste, le ministre de facto de l’Éducation nationale Nesmy Manigat, a publiquement dénoncé le PSUGO pourtant mis sur pied par ses mentors et parrains politiques Michel Martelly et Laurent Lamothe, les deux grands caïds en chef du PHTK. Par contre, dès son retour, en novembre 2022, à la direction du ministère de l’Éducation nationale, le même Nesmy Manigat a vite fait de reconduire le décrié PSUGO qu’il ne s’était pas privé auparavant et ponctuellement de dénoncer. La presse en avait alors fait état à travers divers articles. Ainsi, « Dans le cadre du Programme de scolarisation universelle gratuite et obligatoire (PSUGO) seules les écoles publiques sont autorisées (sauf dérogation formelle du MENFP) à accueillir la nouvelle cohorte en première année fondamentale 2014-2015. Les enfants déjà en cours de scolarisation à travers le PSUGO poursuivent normalement leur parcours d’études » (voir l’article « Nesmy Manigat reprend les rênes du ministère de l’Éducation nationale », Le Nouvelliste, 26 novembre 2021). Cette décision de reconduire le PSUGO doit être mise en perspective au creux des déclarations antérieures de l’allié de facto du cartel politico-mafieux du PHTK : « Le ministre de l’Éducation Nationale, Nesmy Manigat, affirme que les 85 directeurs d’écoles récemment épinglés pour corruption dans le cadre du PSUGO ne représentent qu’une infirme partie des détournements de fonds publics dans le secteur éducatif. » Et sans identifier les mécanismes institutionnels de ces détournements de fonds publics, il a précisé que « Plusieurs centaines d’écoles sont impliquées dans ces détournements, (…) rappelant que les directeurs corrompus ont des connexions au sein du ministère de l’Éducation » (voir l’article « Important réseau de corruption au sein du PSUGO », Radio Métropole, 13 juillet 2015). Les directeurs d’écoles épinglés et leurs zélés « correspondants » au sein du ministère de l’Éducation nationale n’ont pas été traduits en justice et ils ont bénéficié de l’obscure impunité qui gangrène le corps social haïtien ainsi que les institutions du pays.
En quoi le PSUGO est-il symptomatique et révélateur de la corruption systémique dans un pays mis en coupe réglée par le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste au pouvoir en Haïti depuis onze ans ?
L’implantation du PSUGO a bénéficié du support des ayants-droits de la manne financière d’État embusqués dans les officines du PHTK et elle a également des liens avec la problématique de l’aménagement du créole en Haïti : en quête permanente de légitimité, le PHTK s’est donc efforcé de trouver des alliés et des propagandistes parmi les intellectuels et parmi les enseignants. À cet égard, il est utile de rappeler qu’un très controversé Ayatollah du créole –linguiste de son état, fervent colporteur du négationnisme et du révisionnisme historiques et compulsif promoteur d’une obscure « fatwa » contre la langue française en Haïti, contre la francofolie et contre les francofous–, est objectivement et avec constance, depuis plusieurs années, un allié déclaré du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste à travers la promotion du PSUGO qu’il a instituée dans un long article paru en Suisse en 2017 et auparavant dans une vidéo propagandiste diffusée dès juin 2014 sur YouTube. Cet Ayatollah du créole, réputé expert en diatribes clivantes et conflictuelles et également familier bateleur du négationnisme et du révisionnisme historique, soutient frauduleusement, dans cette vidéo propagandiste pro PHTK, que 88 % des enfants [haïtiens] sont scolarisés grâce au PSUGO : « Gras a program Psugo a 88 pousan timoun yo ale lekòl »… Cette propagande pro PSUGO s’oppose frontalement à sa dénonciation en Haïti par les associations d’enseignants, les directeurs d’écoles et les regroupements de parents d’écoles.
En amont de la rédaction du présent article, nous avons mené une ample recherche documentaire pour savoir si la présumée corruption du système éducatif haïtien avait été diagnostiquée de manière spécifique par l’Unité de lutte contre la corruption dont la mission est inscrite dans l’intitulé même de son appellation. Ce travail de recherche documentaire nous a valu de consulter le mémoire de maîtrise de Sarto Samuel Thomas, « L’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) face à l’accaparement de l’appareil d’État et à la corruption en Haïti », Université du Québec en Outaouais, 2020. L’auteur précise en conclusion de son travail de recherche que « La création de l’Unité de lutte contre la corruption en 2004 a embelli le cadre juridique, démocratique et libéral du pays sans même effleurer le fond du « cancer ». Présidents, premiers ministres, ministres et autres haut-cadres de l’État, après leur passage à la tête des institutions publiques sont soupçonnés de se retrouver à la tête de fortunes indument acquises grâce à la corruption. Rapports officiels, déclarations, enquêtes journalistiques et articles de journal, manifestations de rue, recommandations de la communauté internationale atteignent à peine l’indécence révoltante avec laquelle les régimes puisent et minent les fonds publics. (…) le pays demeure gangréné par la corruption et la dilapidation des fonds publics par les dirigeants, en toute impunité. Le dernier grand scandale (Fonds petroCaribe) qui paralyse relativement le pays depuis le début de l’année 2019 prouve que l’ULCC a échoué à prévenir la malversation dans les fonds publics et à poursuivre les responsables présumés dont les noms figurent dans les rapports officiels ». Sarto Samuel Thomas a étudié des documents de première main mais aucun d’entre eux ne porte de manière spécifique sur la présumée corruption au sein du système éducatif haïtien (voir entre autres les documents suivants cités par Sarto Samuel Thomas : « État des lieux de la lutte contre la corruption 2004 – 2011 » daté de 2011 ; « Rapport du comité interinstitutionnel contre la contrebande, le blanchiment, la fraude fiscale et la corruption » daté de 2012 ; « Cadre opérationnel/ULCC 2010-2011, 2011- 2012, 2014-2015, 2015-2016 », n.d. [2016-2017 ?]. Il y a lieu toutefois de préciser que le travail de recherche de Sarto Samuel Thomas, qui s’inscrit dans le droit fil de la dénonciation publique du PSUGO par les enseignants, par leurs associations et par la presse haïtienne, expose des indicateurs qui confirment la réalité de la corruption dans le secteur de l’éducation. Il est donc invraisemblable que la corruption qui s’est amplement généralisée et renforcée ces dernières années en Haïti sous la houlette du PHTK néo-duvaliériste ait miraculeusement épargné le système éducatif haïtien.
Ainsi, dans un article d’Emmanuel Thélusma paru dans Le Nouvelliste du 6 février 2018, « Le système éducatif haïtien produit des corrompus », il est précisé que « Le système éducatif haïtien est une fabrique de corrompus. La tricherie est systématique dans le secteur et acceptée par certains enseignants et directeurs d’écoles », a déclaré récemment Charles Tardieu, un ancien ministre de l’Éducation nationale. (…) Tout est en corrélation avec la réalité que nous observons actuellement dans le pays. Le phénomène de corruption, a-t-il précisé avant de plaider pour une refonte totale du système éducatif afin d’aboutir à une éducation de qualité pour la fondation d’un autre type d’homme et de femme. (…) « En faisant un tour d’horizon sur les cas de corruption enregistrés à tous les niveaux, dans le milieu scolaire actuellement, M. Charles Tardieu en a profité pour toucher du doigt les autres maux qui entravent l’éducation en Haïti. Selon lui, les tares sont légion : le problème de la langue, de formation des enseignants, du nombre d’écoles trop élevé, de la mauvaise qualité des matériels scolaires, de la désuétude des curricula ».
Dans tous les cas de figure, nous sommes en présence d’un apparent paradoxe récemment révélé par la presse et consigné dans l’article « Le MENFP et l’ULCC lancent des « clubs d’intégrité » dans les écoles » (haiti.loop.com, 21 novembre 2023). Le ministère de l’Éducation nationale et l’Unité de lutte contre la corruption confirment l’existence de la corruption dans le système éducatif national lorsqu’ils déclarent s’associer pour la combattre. Ainsi, « Le projet [des Clubs d’intégrité] dans sa conception ambitionne de créer dans chaque établissement scolaire du pays un pareil cercle capable de porter les jeunes à s’associer aux efforts de la lutte contre la corruption en plaçant ces derniers dans un processus d’auto-apprentissage et d’autocritique (…) ». Il y a lieu de constater cependant que lors de la présentation de cette initiative spécifique, les deux institutions n’ont présenté aucun document officiel CONJOINT qui consigne un diagnostic actualisé de la corruption dans le système éducatif national… Il faut toutefois rappeler que « Suite à une enquête initiée par l’Unité de lutte contre la corruption sur 208 établissements scolaires dans deux districts d’Haïti, le [ministère de l’Éducation nationale] a décidé d’exclure 85 écoles de la liste du PSUGO. (…) Le bureau du PSUGO ne nous a jamais fourni le montant correspondant au nombre d’élèves subventionnés au niveau de l’école. Pourtant, ce programme donne des montants exorbitants à des directeurs d’écoles fictives, qui n’existent nulle part dans le pays » (voir l’étude « Améliorer le financement de l’éducation : utilisation et utilité des subventions aux écoles » ; source : UNESDOC, Bibliothèque numérique de l’UNESCO, document non daté).
L’extraordinaire consensus observé en Haïti au sujet des interventions financières des puissantes institutions internationales dans le secteur de l’éducation nationale est ici illustré à l’aide de quelques annonces publiques. Au moment de la révision de la version finale de cet article, nous n’avions toujours pas trouvé UN DOCUMENT-SYNTHÈSE qui identifie avec précision la totalité des interventions des institutions internationales dans le système éducatif haïtien au cours des dix dernières années (nombre total, années, objectifs déclarés, montants effectivement décaissés, mécanismes de contrôle, audit). Voici donc quelques annonces d’interventions de l’International dans le système éducatif national :
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« Le Partenariat mondial pour l’éducation approuve un financement pour aider à faire avancer la réforme de l’éducation en Haïti ». « Le Partenariat mondial pour l’éducation (GPE) a approuvé le 22 juin 2021 un financement de 16,5 millions de dollars US pour aider à faire avancer la réforme de l’éducation en Haïti à travers le projet Promotion d’un système éducatif efficace en Haïti. » (Source : site du PME/GPE, 4 juillet 2021)
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« La Banque mondiale approuve un financement additionnel de 90 millions de dollars américains pour le secteur de l’éducation en Haïti ». (Source : site de la banque mondiale, 7 mars 2022)
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« Éducation sans délai » annonce une subvention à effet catalyseur de 11,8 millions de dollars É.-U. consacré à un programme pluriannuel de résilience en Haïti ». (Source : site de l’UNICEF, 3 octobre 2022 – « Éducation sans délai » / « Education Cannot Wait »).
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« Promoting a more Equitable, Sustainable and Safer Education » – « Objectif de développement » [« Promouvoir une éducation plus équitable, plus durable et plus sûre »]. Coût total du projet : 105.60 millions $ USD, approuvé le 25 juin 2021 ; montant engagé : 15.60 millions $US. (Source : site de la Banque mondiale)
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« L’UE [l’Union européenne] approuve un financement de 30 millions d’euros en appui au système d’éducation public ». (Source : Le Nouvelliste, 13 juillet 2023)
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« Le gouvernement Haïtien et l’UE signent une convention de financement du programme « Éducation pour vivre ensemble ». Montant : 18 millions d’Euros. (Source : Délégation de l’Union européenne en République d’Haïti, 13 décembre 2023).
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« Signature du projet Lekòl nou : l’Afd [Agence française de développement] renouvelle son engagement en faveur d’une éducation de qualité en Haïti » (site de l’Agence française de développement, 25 avril 2022) : « Le lancement du programme Avni nou, auquel sera étroitement associé le ministère de l’Éducation et de la formation professionnelle, signe l’engagement continu de la France en Haïti à travers l’AFD à soutenir les efforts des autorités publiques et de la société civile en faveur d’un système éducatif de qualité en Haïti. Le programme s’élève à 12 millions d’euros, dont 3 millions d’euros pour le projet Lekòl nou, porté par la FOKAL. Avec 37 millions d’euros d’engagements en faveur de l’éducation et de la formation professionnelle en Haïti, l’AFD est le principal bailleur de fonds bilatéral du secteur et confirme la priorité accordée à l’éducation par l’AFD et la France en Haïti ».
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« Projet d’appui au plan et à la réforme de l’éducation en Haïti (APREH). Montant : 24,250,000.00 USD ; date d’entrée en vigueur : 5 mars 2015 ; durée : 4 ans ; bailleur : Banque interaméricaine de développement (BID).
Cet échantillon d’annonces, qui n’a qu’une valeur illustrative, totalise la somme de 345,15 millions là où, selon des observateurs familiers de la coopération bi/multilatérale, les sommes consenties à Haïti dans le domaine de l’éducation seraient beaucoup plus élevées et se chiffreraient en plusieurs centaines de millions de dollars rien que pour la dernière décennie… À la lecture des huit formidables annonces des agences internationales que nous venons de citer –elles administrent et répartissent, selon leurs propres critères, d’énormes ressources financières–, l’on pourrait être tenté de croire que le système éducatif haïtien, amplement financé au fil des ans, serait enfin parvenu à l’étape tant attendue de sa modernisation et de son efficacité : les 3 millions d’élèves du pays seraient donc désormais scolarisés dans des écoles électrifiées et bien pourvues de bibliothèques, de sanitaires, de cantines scolaires et d’espaces sportifs ; les enseignants seraient maintenant bien formés grâce aux programmes mis en œuvre ou appuyés par le ministère de l’Éducation et ils recevraient enfin leur maigre salaire sur une base régulière ; les élèves disposeraient de manuels scolaires divers et de grande qualité rédigés dans les deux langues officielles du pays ; le taux élevé de réussite aux examens officiels battrait tous les records d’année en année ; la généralisation de l’accès à l’Internet haute vitesse serait assurée dans toutes les écoles du pays… Et le système éducatif national –44 ans après l’inaboutie réforme Bernard de 1979 et 36 ans après la co-officialisation du créole et du français dans la Constitution de 1987–, disposerait enfin de sa première « Loi d’aménagement des deux langues officielles dans l’École haïtienne » découlant du premier « Énoncé de politique linguistique éducative d’Haïti ».
Mais dès lors que l’on est à l’écoute des enseignants et des directeurs d’écoles, dès lors que l’on observe de près ce qui se passe réellement dans un système éducatif national fortement inégalitaire où 80% des écoles haïtiennes sont financées et administrées par le secteur privé national et international, le regard analytique se fait plus exigeant et, surtout, plus critique. L’extraordinaire consensus qui accompagne l’action des puissantes institutions internationales activement présentes dans le secteur de l’éducation en Haïti ne semble pas résister à ce que les analystes appellent, dans différents champs d’activités, « l’épreuve du réel »…
Ainsi, en dépit de l’impressionnante « symphonie œcuménique » jouée en grande fanfare tant par le ministère de l’Éducation que par les grandes institutions internationales, il est de notoriété publique que le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste au pouvoir depuis onze ans en Haïti –avec l’appui non dissimulé des « puissances tutrices » qui lui dictent sa « stratégie » de survie–, n’a pas de véritable projet éducatif pour le pays. Nous verrons plus loin dans cet article quel est le montant réel que l’actuel Exécutif prévoit investir dans le système éducatif national en 2024 et il sera intéressant de comparer les montants alloués par l’État haïtien avec ceux consentis par d’autres pays. Illégitime, inconstitutionnel et dépourvu d’assise populaire, l’actuel Exécutif dirigé par le « commis de service » du PHTK Ariel Henry est maintenu au pouvoir par une coalition politico-mafieuse d’intérêts où grenouillent et magouillent divers secteurs : la bourgeoisie compradore traditionnelle, les ayants-droits de la manne financière d’État embusqués dans les officines du PHTK, les gangs armés qui contrôlent de larges périmètres du territoire national et qui sont plus ou moins liés au pouvoir d’État, etc., et il serait illusoire de poser que cette coalition politico-mafieuse aurait un quelconque projet éducatif pour le pays.
Quelles sont les institutions de l’International qui contribuent au financement de l’éducation en Haïti ? Nous avons pu les répertorier à partir du « Rapport d’audit sur le bureau de l’UNESCO à Port-au-Prince (Haïti) » Référence Cour des comptes : UNESCO-2017-9. Document 204 EX/21.INF.4 –Le secteur de l’éducation, page 24 : « L’UNESCO est le chef de file du Groupe sectoriel de l’éducation (GSE), structure de concertation qui rassemble les bailleurs de fonds multilatéraux et bilatéraux et les directions compétentes du ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle (MENFP). Le GSE se réunit tous les mois. (…) Il a (…) élaboré, en octobre 2015, une « cartographie des interventions des partenaires techniques et financiers dans le secteur éducatif en Haïti ». (…) Cette cartographie expose (…) que 20 partenaires techniques et financiers interviennent dans le domaine de l’éducation en Haïti. [Ce sont :] L’AECID [l’Agence espagnole pour la coopération internationale au développement], l’Agence française de développement (AFD), les ambassades de France, du Japon, de Suisse, l’Agence universitaire de la francophonie, la Banque caribéenne de développement, la Banque interaméricaine de développement, la Banque mondiale, la coopération belge, le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP), l’Agence japonaise de coopération internationale (JICA), le ministère des Affaires étrangères, du commerce et du développement du Canada (MAECD), le Mexique, l’Organisation internationale de la francophonie, le Programme alimentaire mondial (PAM), l’Union européenne, l’UNESCO, l’UNICEF et l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID). » [Le souligné en gras est de RBO]
Il faut toutefois savoir que cette « cartographie des interventions des partenaires techniques et financiers dans le secteur éducatif en Haïti » élaborée par l’UNESCO en 2015 ne fournit pas un tableau de bord détaillé comprenant, pour le secteur de l’éducation, le montant total du financement (subventions, dons, prêts) accordé par l’« International » au système éducatif haïtien. Au cours de la recherche documentaire préalable à la rédaction du présent article, nous avons pu consulter le mémoire de maîtrise de Levasseur Joseph, « Une analyse de la coopération americaine et européene en matière d’aide publique au développement à Haiti : 2000-2015 » (Université du Québec à Montréal, 2019). Ce travail de recherche consigne notamment une « Analyse de la coopération d’aide américaine à Haïti » (chapitre 2.1.) dans laquelle il explore « Les chiffres de l’aide américaine à Haïti (2000-2015) et les « Modalités de financement de l’aide américaine à Haïti ». L’auteur effectue également une « Analyse de la coopération d’aide européenne à Haïti » et expose les « Modalités de financement de l’aide européenne à Haïti ». En fin de parcours analytique Levasseur Joseph exerce au chapitre 3.2 un regard critique sur « L’APD de l’UE et des É-U à Haïti : un trompe l’oeil de l’alignement ». (L’APD est le sigle de l’Aide publique au développement.) « Pour la période allant de 2010 à 2015, l’aide [américaine] est répartie de cette manière : 504,738 [millions de] dollars en 2010 ; 380,261 [millions de] dollars en 2011 ; 351,829 [millions de] dollars en 2012 ; 332,540 [millions de] dollars en 2013 ; 300,796 [millions de] dollars en 2014 ; et 274,313 [millions de] dollars en 2015. » Levasseur Joseph précise par ailleurs qu’« À travers les protocoles financiers signés, entre 2000-2010, Haïti a reçu environ 500 millions d’euros d’aide au développement de l’Union européenne. (…) En mars 2010, lors de la conférence sur la reconstruction d’Haïti à New York, l’UE s’est engagée à accorder une somme de 1,2 milliard d’euros. (…) et l’auteur note que « la participation propre de la Commission européenne est évaluée au montant de 522 millions d’euros ». À la page 81 de son mémoire, Levasseur Joseph présente un tableau qui expose « la ventilation de l’APD de l’UE à Haïti » : le montant qui y est consigné s’élève à 753 MM€. En fin de parcours il importe de souligner que, par-delà les données analytiques chiffrées fournies par Levasseur Joseph, son mémoire ne comprend pas un descriptif illustrant le montant total du financement (subventions, dons, prêts) accordé au secteur de l’éducation par les États-Unis et l’Union européenne (ce n’était d’ailleurs pas l’objet spécifique de sa recherche).
Au regard de l’inépuisable manne financière que déversent, depuis des décennies, les puissantes institutions internationales dans le système éducatif national –dans le but de le « réformer », de « mettre à niveau » et de « moderniser » sa gouvernance–, plusieurs questions de fond doivent être examinées : (1) ces dix dernières années, quel est le montant total de l’« aide » financière (subventions, dons, prêts) accordée par l’« International » au système éducatif haïtien ? (2) À combien s’est chiffré le montant total du budget de l’État au chapitre du financement de l’éducation en Haïti ces dix dernières années ? (3) Existe-il un document d’audit public des sommes déversées par l’« International » ces dix dernières années dans le système éducatif haïtien ? (4) Comment expliquer que les institutions internationales et le ministère de l’Éducation nationale n’aient toujours pas fourni UN DOCUMENT-SYNTHÈSE CONJOINT présentant, par secteurs d’activités, le montant global des sommes investies ces dix dernières années dans le système éducatif national par l’« International » ? (5) Comment expliquer que le système éducatif national, amplement financé ces quarante dernières années par l’« International », soit encore un système qui reproduit les mêmes inégalités dans l’accès à l’offre scolaire, un système aussi pauvre en matériel didactique de qualité en créole et en français, un système dans lequel un grand nombre d’enseignants est toujours sous-qualifié ? Au sujet de la qualification des enseignants, voir le document intitulé « Education for All in Haiti Over the Last 20 Years / Assessment and Perspectives » (Office of the UNESCO Representative in the Caribbean, Jamaique, 2000). L’auteur, Bernard Hadjadj, autrefois Représentant-résident de l’UNESCO en Haïti, estime que « 11,3 % des enseignants du primaire étaient titulaires d’un diplôme professionnel (diplômés des écoles normales et titulaires de diplômes d’enseignement) en 1980/81, contre 15 % en 1996/97 ; 1,5 % d’entre eux avaient atteint le niveau académique de la Philo (dernière année de l’enseignement secondaire) au début de la période, contre 11 % en 1996/97 ». [Dans l’ensemble] « (…) 74% des enseignants n’ont ni les qualifications académiques ni la formation pédagogique requises. Quant à l’ancienneté, sur l’ensemble de la période, environ 50% des enseignants ont moins de 5 ans d’ancienneté professionnelle ». [Traduction : RBO] La consultation de sites divers, y compris le site officiel du ministère de l’Éducation, ne fournit aucune donnée relative à une hypothétique amélioration de la sous-qualification du corps enseignant entre 2000 et 2023. Sur le plan historique, les analystes du système éducatif haïtien sont unanimes à situer le début de la sous-qualification du corps enseignant durant la décennie 1960-1970 lorsque, fuyant la violente répression instituée par la dictature duvaliériste, des milliers de professeurs et de cadres de l’Éducation nationale en grande partie recrutés par l’UNESCO ont émigré vers l’Afrique francophone, le Canada et les États-Unis. (Sur la migration des Haïtiens vers le Congo, voir Camille Kuyu, « Les Haïtiens au Congo », Éditions L’Harmattan, 2006.)
Sur le site officiel du ministère de l’Éducation, nous avons en vain cherché des réponses documentées aux cinq questions ci-haut mentionnées. La rubrique « Banque de documents » de ce site comprend plusieurs catégories : « Documents officiels », « Circulaires et arrêtés », « Programmes et curriculum », « Résultats enquêtes »… Mais aucune de ces catégories ne fournit un quelconque document permettant d’être renseigné (1) sur le montant total de l’« aide » financière (subventions, dons, prêts) accordée par l’« International », (2) sur le montant total du budget de l’État dans le financement de l’éducation en Haïti ces dix dernières années et (3) sur un éventuel document d’audit public des sommes déversées par l’« International » dans le système éducatif haïtien… Un constat s’impose dès lors en amont : la présumée « modernisation » de la gouvernance du système éducatif national, en dépit du fait qu’elle a reçu son lot de financement ciblé, n’a toujours pas donné lieu à la mise sur pied d’un dispositif transparent d’information du public. L’actuel ministre de facto de l’Éducation nationale s’agite sur la grisante scène figurative des réseaux sociaux, mais il ne communique pas de manière analytique et documentée sur le bilan des sommes déversées par l’« International » dans le système éducatif haïtien… Un constat objectif doit dès lors être mis en lumière : de son premier passage à la direction du ministère de l’Éducation nationale jusqu’à sa seconde nomination en novembre 2022, l’actuel ministre de facto n’a fourni aucun bilan public comprenant des réponses documentées aux questions majeures que nous venons d’évoquer. Et puisque le cartel politico-mafieux du PHTK a démantibulé les institutions de l’État et que le Parlement a été atrophié et rendu caduc faute d’élections, l’actuel ministre de facto de l’Éducation, Nesmy Manigat, n’aurait de compte à rendre qu’à… lui-même, en toute impunité. En lien avec les incontournables questions que nous avons soulevées, ce qui s’apparente à un déni d’imputabilité de l’actuel ministre de l’Éducation nationale pourrait surprendre puisque celui-ci est familier des procédures administratives des grandes institutions internationales, y compris les audits comptables réalisés à la suite du décaissement des sommes annoncées. L’on a bien noté l’annonce datée du 21 février 2016 confirmant que « Le ministre de l’Éducation d’Haïti Nesmy Manigat vient d’être nommé à la présidence du Comité de gouvernance, d’éthique, du risque et du financement (GERF, du sigle anglais) au Partenariat mondial pour l’éducation » (source : site du Partenariat mondial pour l’éducation). Les protocoles de contrôle des financements décaissés seraient-ils « ignorés » ou « oubliés » dans le cas d’Haïti alors même que tout financement attribué au pays par l’International, en principe, doit faire l’objet d’un audit de contrôle de sa gestion financière ?
Nous n’avons retracé aucun document de cette nature sur les sites des institutions internationales qui financent le système éducatif haïtien. LA NON-PUBLICATION D’UN DOCUMENT-SYNTHÈSE D’AUDIT DE CONTRÔLE DE LA GESTION FINANCIÈRE DES PROJETS ET PROGRAMMES FINANCÉS PAR L’INTERNATIONAL DANS LE SECTEUR DE L’ÉDUCATION EN HAÏTI ouvre la voie à l’hypothèse qu’il y aurait éventuellement, en ce qui concerne Haïti, une sorte de « sous culture de l’omertà » qui ne peut être véritablement investiguée que par la consultation autorisée des documents administratifs internes des institutions internationales partenaires d’Haïti… Cette hypothèse en induit une autre, elle aussi d’une ample acuité : la « sous culture de l’omertà » (« je pa wè, bouch pa pale ») serait-elle au fondement de la participation directe et/ou indirecte, camouflée et systémique, des institutions internationales à la corruption endémique du système éducatif national ? Jeu de mots ou enjeu de mots ? Dans un pays où « la culture de la corruption » a profondément imprégné le corps social et l’imaginaire collectif, il y a lieu de s’interroger sur « l’amnésie entretenue » (terme employé par la romancière Yanick Lahens dans la « Préface » au livre de Jean-Claude Bruffaerts et Jean-Marie Théodat, « Après Vertières. Haïti, épopée d’une nation » (Langres, Hémisphères et Maisonneuve Larose, 2023). La « sous culture de l’omertà » (« je pa wè, bouch pa pale ») à laquelle participent les institutions internationales partenaires d’Haïti dans le domaine de l’éducation serait donc de l’ordre de « l’amnésie entretenue », qui consiste à détourner le regard de la corruption endémique du système éducatif national au motif de soutenir la « réforme » de l’éducation en Haïti…
Le terme « omertà » est défini comme suit dans le dictionnaire Le Larousse : « En Italie, notamment en Sicile, dans les milieux soumis à la mafia, loi du silence ; refus de répondre à toute personne étrangère à une mafia, par crainte de représailles ». Par extension, « Silence qui s’impose dans toute communauté d’intérêts ». De nombreuses études et divers articles de presse ainsi que des livres ont exploré les « liens consanguins » entre la mafia et le capitalisme. Jean-François Gayraud a consacré un livre entier à ce sujet aussi sensible que complexe, « Le nouveau capitalisme criminel » / Crises financières, narcobanques, trading de haute fréquence » préfacé par Paul Jorion (Éditions Odile Jacob, 2014). Le lecteur curieux pourra s’y référer pour approfondir la problématique des « liens consanguins » entre la mafia et le capitalisme et voir de quelle façon ils peuvent se retrouver dans les pratiques gestionnaires des grandes institutions internationales. Le lecteur curieux est également invité à consulter le livre de Jacques Saint Victor, « Un pouvoir invisible. Les mafias et la société démocratique aux XIXe – XXIe siècle » (Éditions Gallimard, 2012). Il y a lieu aussi de signaler l’excellente livraison de la Revue Illusio, no 6/7, « Mafia et comportements mafieux », qui consigne entre autres les articles « L’institutionnalisation du crime ou la sauvage victoire du capitalisme », par Nicolas Oblin et Patrick Vassort ; « Le CIO, la FIFA, le capitalisme et leur monde de gangsters », par Andrew Jennings, et « Le sport : un crime institutionnalisé », par Patrick Vassort.
Il faut prendre toute la mesure que la pertinence du questionnement de la « sous culture de l’omertà » est fondée sur les données factuelles suivantes : (1) la vaste opération gangstérisée de détournement de fonds publics –le « système PSUGO »–, dont il a été question dans le déroulé du présent article ; (2) le fait attesté que le FNÉ (Fonds national de l’éducation), vaste structure gangstérisée de « pompage » financier créée par la loi du 17 août 2017, n’a jamais été inscrit au Budget officiel de l’État haïtien et est donc une structure opérationnelle échappant à tout audit du Parlement haïtien, institution de contrôle de l’action du gouvernement qui a été atrophiée et frappée de caducité par le PHTK) ; (3) le fait également attesté que le FNÉ n’a fait l’objet d’aucun audit comptable diligenté par l’ULCC dans le contexte où la corruption endémique est un sujet majeur de société aussi bien en Haïti qu’à l’échelle internationale comme en témoigne Transparency International dans son étude intitulée « La corruption dans le secteur éducatif / Document de travail » (avril 2007).
Mis sur pied par le PHTK néo-duvaliériste en 2017, « Le Fonds national de l’éducation est un organisme autonome de financement de l’éducation placé sous la tutelle du ministère chargé de l’éducation nationale (…). [Il a été] créé par la loi du 17 août 2017 (…). Le Fonds national de l’éducation a pour mission de participer à l’effort de l’éducation pour tous et de gérer les fonds destinés au financement de l’éducation. (…) [Le FNÉ] intervient dans plusieurs domaines, notamment la construction d’infrastructures, la rénovation des bâtiments scolaires, l’appui au Programme de cantines scolaires, le paiement des frais de scolarité, le paiement des frais pour les enseignants, la dotation d’équipements scolaires, le financement de projets éducatifs, l’appui aux études supérieures. (…) La présidence du conseil [d’administration du FNÉ] est assurée par le ministre de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle, la vice-présidence par celui de l’Économie et des finances » (source : site officiel du Fonds national de l’éducation). [Le souligné en gras et italiques est de RBO]
L’apparition du Fonds national pour l’éducation au creux de la structuration de la corruption dans le système éducatif haïtien est un sujet majeur de société et comme tel ce « Fonds » a fait l’objet de diverses analyses. Il y a lieu de mentionner l’éclairage de Jesse Jean consigné dans son « Étude de l’aide internationale pour la réalisation de l’éducation pour tous en Haïti » – Thèse de doctorat, Université Paris-Est Créteil Val de Marne, 13 janvier 2017 : « Le Projet de loi portant création, organisation et fonctionnement du Fonds national pour l’éducation (FNÉ) n’a jamais été ratifié par le Parlement haïtien. Ainsi, l’utilisation du FNÉ n’est toujours pas légale et les taxes sont prélevés tous les jours par l’État haïtien. Bref, en 2013, soit deux ans après la création du Fonds national pour l’éducation, les montants collectés par exemple sur les appels téléphoniques étaient évalués, d’après les chiffres indiqués par le Conseil national des télécommunications (CONATEL) à 58, 066, 400, 63 dollars américains. Et les taxes prélevées sur les transferts d’argent entrants et sortants s’élevaient à plus de 45, 238, 095 dollars US » (op. cit. page 132). NOTE / Sur le site officiel du Fonds national de l’éducation, il est précisé que ce « Fonds » a été créé par la loi du 17 août 2017 ; dans la thèse de doctorat de Jesse Jean, il est mentionné à la page 132 que le FNÉ aurait été créé en 2011… Il semble y avoir des divergences quant à la « date de naissance » du Fonds national pour l’éducation. Ainsi, dans l’article « Haïti : l’UNESCO salue la création d’un fonds national pour l’éducation », il est dit que « La Directrice générale de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), Irina Bokova, s’est félicitée mardi de la création d’un Fonds national pour l’éducation (FNE), lancé par le Président d’Haïti récemment élu Michel Martelly. L’objectif de ce fonds, dont la création a été annoncée le 26 mai [2011], est de mobiliser les ressources financières afin de scolariser les enfants les plus défavorisés. Doté de 360 millions de dollars sur une période de cinq ans, ce fonds est le plus important jamais créé pour les enfants non scolarisés. Le FNE est un consortium multisectoriel qui réunit le gouvernement haïtien, le secteur privé, les institutions financières internationales et les organisations non gouvernementales (ONG). Il est financé majoritairement par le prélèvement de 0,05 dollar sur les appels internationaux entrants et de 1,5 dollar prélevé sur chaque transfert international de fonds. » (Source : ONU Info, 14 juin 2011 ; les italiques et gras sont de RBO). À ce chapitre, il ne faut pas perdre de vue que le FNE, consortium multisectoriel regroupant notamment les institutions financières internationales, n’est pas inscrit au budget de la République d’Haïti et n’est pas de ce fait soumis au contrôle du Parlement : il ne rend compte qu’au pouvoir politique détenu frauduleusement et inconstitutionnellement depuis onze ans par le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste…
Vaste structure de « pompage » et d’escroquerie des ressources financières de l’État haïtien, le Fonds national de l’éducation a été l’objet de nombreuses dénonciations citoyennes. Ainsi, « Depuis sa création, le Fonds national de l’éducation a (…) fait l’objet de vives critiques notamment pour sa gestion occulte. En effet, personne ne sait avec précision combien d’argent a déjà été collecté au nom de cet organisme par la Banque centrale et le CONATEL (Conseil national des télécommunications). L’absence de transparence dans la gestion du FNÉ a même suscité l’inquiétude de certains secteurs de la société civile. À ce propos, voici ce que le dirigeant de l’initiative de la société civile (ISC) Rosny Desroches eut à déclarer le 7 aout 2012 : « L’orientation que prend ce Fonds nous inquiète en tant que citoyen, car elle va dans le sens de la concentration des pouvoirs aux mains de l’Exécutif, de l’affaiblissement du Ministère et de la négation des principes démocratiques de participation, de contrôle, de transparence, d’équilibre des pouvoirs » (…) Initialement, lorsque le chef de l’État [Michel Martelly] a lancé le Fonds national de l’éducation, il projetait de collecter au moins 180 millions de dollars sur les appels téléphoniques et le même montant sur les transferts pendant une période de cinq ans. Ce qui revient à dire qu’il voulait collecter un montant de 360 millions de dollars sur cinq ans pour scolariser 1, 5 million de jeunes haïtiens privés d’éducation. Et selon les calculs faits par le pouvoir, quand il combine les deux taxes, celles-ci devraient rapporter au moins 8 millions de dollars par mois pour alimenter le FNÉ. (…) Le 30 septembre 2011, le principal conseiller de Michel Martelly en éducation, George Mérisier (…) a annoncé que 28 millions de dollars US avaient déjà été collectés dans le cadre du financement du Fonds national de l’éducation. (…) Le vrai scandale éclatera lorsque, le 7 janvier 2012, dans un article du New York Times, Denis O’Brien, fondateur de la Digicel a déclaré que sa compagnie avait déjà versé 11.1 millions de dollars américains au CONATEL. Il a indiqué également qu’il en avait parlé au président Martelly des rumeurs concernant les 26 millions de dollars manquants et qu’il allait en faire une affaire personnelle. Il réclame un audit. Dans une note rendue publique le 10 janvier 2012, la compagnie confirme les déclarations du patron et annonce que le virement des frais de décembre se ferait le 20 janvier pour un montant de 1.945 million de dollars américains. Ce qui porte à 13 millions de dollars américains le montant total des frais versés seulement par la Digicel au CONATEL sans compter les autres opérateurs téléphoniques présents sur le marché haïtien – (New York Times, 7 janvier 2012) » (voir l’article « Où est l’argent du Fonds national de l’éducation ? », Haïti liberté, 29 janvier 2013). Toujours au chapitre des recettes amassées par le Fonds national d’éducation, Joseph Frantz Nicolas, le directeur général sortant du ministère de l’Éducation, a publiquement déclaré « qu’avec un peu plus de 7 milliards 521 millions de Gourdes versées dans ce Fonds, plus de 5 milliards 513 millions ont été investis de 2018 à 2021 dans divers chantiers et programmes résumant l’utilisation de ces fonds durant ses 3 ans en poste » (voir l’article « Haïti – Éducation : Fonds national de l’éducation, 5 milliards 1/2 investi en 3 ans », Haïti liberté, 22 décembre 2021). Joseph Frantz Nicolas n’a toutefois fourni aucune information documentée sur un éventuel audit comptable de l’utilisation de ces énormes recettes qui, faut-il encore le rappeler, ne sont pas inscrites dans le Budget de l’État haïtien et ne sont l’objet d’aucun contrôle du Parlement.
La saga du Fonds national de l’éducation créé par le PHTK néo-duvaliériste rappelle celle instituée par le dictateur François Duvalier pour asseoir un vaste système de corruption et de « pompage » des ressources financières du pays à travers la Régie de tabac et des allumettes dès le milieu des années 1960. L’une des caractéristiques opérationnelles de cette régie de la dilapidation gangstérisée était l’utilisation d’un « compte non-fiscal » créant un monopole du tabac. Ce dispositif a par la suite été instrumentalisé dans d’autres entreprises gouvernementales qui ont servi de caisse noire et sur lesquelles aucun bilan n’a été trouvé. Dans son célèbre ouvrage « Idéologie de couleur et classes sociales en Haïti » (Presses de l’Université de Montréal, 1987), la sociologue Micheline Labelle nous enseigne qu’« une grande part des recettes extra-budgétaires, provenant surtout de la Régie du tabac et des allumettes et représentant au moins 40% des recettes totales de l’État, alimente largement les dépenses en frais militaires non encourues par le budget de la défense (Girault, 1975 : 62). On sait que cet organisme est le grand pourvoyeur de fonds du budget de répression et que le gouvernement refuse encore la fiscalisation de ses comptes, en dépit des demandes de rationalisation administrative [p. 30] de tous les organismes internationaux à ce jour ». De la Régie de tabac et des allumettes à l’actuel Fonds national de l’éducation qui n’est pas soumis au moindre contrôle du Parlement haïtien au demeurant asphyxié par le PHTK, la filiation duvaliériste est historiquement établie et une telle donnée historique ne figure certainement pas dans les critères d’attribution par l’International des importantes sommes transférées à Haïti dans le domaine de l’éducation. Il importe de rappeler que l’actuel titulaire de facto de l’Éducation nationale –brillant économiste de formation, familier des procédures de gestion administrative internationale et fort de son passage à la présidence du Comité de gouvernance, d’éthique, du risque et du financement du Partenariat mondial pour l’éducation–, n’est pas sans savoir qu’il y a une parenté historique directe entre la Régie de tabac et des allumettes et le Fonds national de l’éducation. Sur ce registre, il y a communauté de vue parmi les meilleurs spécialistes haïtiens qui constatent que l’« amnésie sélective » pratiquée d’une main de maître par l’actuel ministre de facto de l’Éducation nationale dans le dossier du Fonds national de l’éducation fait de lui la caution intellectuelle de la stratégie du PHTK dans la reproduction de la corruption systémique du système éducatif national.
Sur le registre de la communication institutionnelle, tandis que le ministère de l’Éducation nationale ne communique toujours pas publiquement, de manière analytique et documentée, sur le bilan des sommes déversées par l’« International » dans le système éducatif haïtien, l’art du mirage et la stratégie de la poudre aux yeux continuent d’être cultivés par le ministère qui a enfanté l’extraordinaire saga populiste du LIV INIK récemment édité en SEPT VERSIONS DIFFÉRENTES PAR SEPT DIFFÉRENTS ÉDITEURS de manuels scolaires. En juin 2013 déjà, « en présence des partenaires techniques et financiers, des directeurs techniques et départementaux, le ministère de l’Éducation nationale a[vait] procédé au lancement de l’Unité de technologie de l’information et de la communication en éducation (UTICE) ». Le directeur général d’alors, sans doute inspiré par les plus grands théoriciens mondiaux de la communication institutionnelle et des sciences de l’éducation, prophétisait que l’UTICE –une toute petite « unité de technologie de l’information »–, doterait le ministère, pourtant déjà familier de nombreuses « réformes » sur la scène de la Rue des miracles, des « mécanismes institutionnels appelés à jouer un rôle majeur dans la refondation du secteur de l’éducation »… À l’échelle hautement élevée des plus grands théoriciens mondiaux de la communication institutionnelle et des sciences de l’éducation, le directeur général d’alors ne s’était pas privé de prophétiser que l’UTICE allait être « un instrument qui orientera la réflexion tout en tenant compte des défis auxquels nous faisons face, à savoir augmenter l’accès à l’éducation, améliorer la qualité, former les enseignants afin qu’ils puissent accompagner l’apprenant dans son expérience d’apprentissage au XXIe siècle » (HaïtiLibre.com : « Lancement de l’Unité de technologie de l’information et de la communication en éducation », 6 juin 2013). On l’a bien compris, l’amalgame, l’art du mirage et la confusion sont ici lourdement bricolés puisqu’une toute petite « unité de technologie de l’information » est appelée à révolutionner le système de communication du ministère de l’Éducation. En réalité, de 2013 à 2023, en dépit de l’annoncée en grande fanfare de la mise sur pied de l’UTICE, le ministère de l’Éducation n’a pas communiqué de manière analytique et documentée sur UN BILAN GLOBAL des sommes introduites par l’« International » dans le système éducatif haïtien ces dix dernières années…
Des éléments de réponse aux incontournables questions que nous avons précédemment posées se trouvent éventuellement dans le budget de l’État haïtien « adopté » par l’Exécutif sans aucune sanction du Parlement atrophié et mis en coma artificiel par le PHTK. Il s’agit du « Décret établissant le budget général de la République d’Haïti – Exercice 2023-2024 » publié dans Le Moniteur du 29 septembre 2023.
Toutefois, avant d’étudier très brièvement le budget 2023-2024 de l’État haïtien sous l’angle particulier de l’apport de l’International au secteur de l’éducation, il est utile de présenter quelques éclairantes séquences analytiques rassemblées dans l’« Étude de la capacité nationale de financement de l’éducation en Haïti » réalisée en août 2018 par la firme ECOSOF S.A. / Économie Société Finances Gestion pour le compte de l’Office national de partenariat en éducation, l’ONAPE. Sur le registre de la comparaison entre divers pays de la Caraïbe, d’Afrique et d’Amérique latine, cette étude note qu’« Incidemment, les deux [pays] allouent pratiquement le même pourcentage de leurs dépenses publiques en éducation, soit 17.48% pour le Bénin et 17.80% pour Haïti en 2016 » (page 36 du document). L’étude ne fournit cependant pas de référence permettant d’évaluer la crédibilité du pourcentage qu’elle avance, à savoir les « 17.80% pour Haïti en 2016 ».
Le document de la firme ECOSOF S.A. expose à la page 91 que « Le tableau 35 présente schématiquement la structuration des dépenses d’investissements publics dans l’éducation du pays. Il montre que ces derniers proviennent de deux grandes sources : une source interne de financement, le Trésor public ; une source externe de financement, l’APD [l’aide publique au développement] qui elle-même est divisée en aide bilatérale et multilatérale. (…) Le premier niveau d’observation porte sur le rôle des ressources externes dans le financement des dépenses d’investissement dans l’éducation. Présentées sous formes de projets prévus pour être financés, ces ressources externes ont occupé entre 62% et 89% du total des dépenses prévues entre 2012-2013 et 2016-2017, à l’exception de 2015-2016 où elles ont été de 42%. » [Le souligné en gras est de RBO] Également, l’étude précise à la page 92 que « Le financement multilatéral est assuré par les institutions comme la Banque interaméricaine de développement (BID), la Banque mondiale (BM) et l’Union européenne (UE) tandis que le financement bilatéral vient des pays dits amis qui sont intéressés [par] la question de l’éducation en Haïti. On peut voir dans le [premier] tableau que les dépenses d’investissement prévues par les institutions multilatérales (RML) sont généralement plusieurs fois plus importantes que celles prévues du côté bilatéral (RBL). L’examen des données du tableau montre qu’au cours des cinq dernières années, un total de 936.24 millions de dollars a été prévu d’être dépensé dans le financement des projets d’investissement dans l’éducation. De ce total, 31% devaient provenir du Trésor public, et 69% de l’APD, dont 9.39% des RBL et 59.61% des RML. » [Le souligné en gras est de RBO]
TABLEAU 1 / Étude de la firme ECOSOF S.A. : « Tableau 35 – Investissement public dans l’éducation et l’APD au cours des cinq dernières années » Unité monétaire : Gourde
[APD : aide publique au développement]
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Ress. nat |
Ressources externes |
Total Ress. ext |
Total inv. Pub |
RN/INT |
RE/INT |
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Prévision |
RBL |
RML |
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2012-2013 |
32.24 |
41.22 |
208.11 |
249.33 |
281.58 |
11.45% |
88.55% |
2013-2014 |
57.30 |
34.91 |
75.20 |
110.11 |
167.40 |
34.23% |
65.77% |
2014-2015 |
59.32 |
8.02 |
89.70 |
97.72 |
157.04 |
37.77% |
62.23% |
2015-2016 |
95.33 |
0.30 |
68.52 |
68.82 |
164.16 |
58.07% |
41.93% |
2016-2017 |
46.05 |
3.51 |
116.63 |
120.14 |
166.19 |
27.71% |
72.29% |
Réalisation |
|||||||
2012-2013 |
23.79 |
41.31 |
2.14 |
43.45 |
67.24 |
35.38% |
64.62% |
2013-2014 |
53.55 |
2.50 |
– |
2.50 |
56.06 |
95.53% |
4.47% |
2014-2015 |
23.79 |
41.31 |
2.14 |
43.45 |
67.24 |
35.38% |
64.62% |
2015-2016 |
53.55 |
2.50 |
– |
2.50 |
56.06 |
95.53% |
4.47% |
2016-2017 |
5.33 |
– |
– |
5.33 |
5.33 |
100.00% |
100.00% |
Taux de réalisation |
|||||||
2012-2013 |
73.78% |
100.20% |
1.03% |
17.43% |
23.88% |
||
2013-2014 |
93.47% |
7.17% |
0.00% |
2.27% |
33.49% |
||
2014-2015 |
40.11% |
515.28% |
2.39% |
44.47% |
42.82% |
||
2015-2016 |
56.18% |
828.90% |
0.00% |
3.64% |
34.15% |
||
2016-2017 |
11.57% |
0.00% |
0.00% |
4.43% |
3.21% |
||
|
|
|
|
|
|
|
|
Sources : Lois de règlement 2012-2016 ; PIB 2017 RN : Ress. Nationales ; INT : Investissement total ; REX : Ressources externes ; RBL : ressources bilatérales ; RML : ressources multilatérales ; APD : aide publique au développement |
|||||||
|
TABLEAU 2 / Étude de la firme ECOSOF S.A. : « Tableau 36 – Programme et projets dans le secteur de l’éducation, 2010-2017 »
Prévisions | Décaissement | |
BID | 239 | 186 |
BM | 75 | |
ACDI | 20 | 6 |
FRH | 12 | 6 |
Finland | 4 | |
KFW | 9 | 9 |
HHF | 1 | |
Total | 359 | 207 |
Sources : BID, 2018 ; Lois de règlement 2015-2016
En « Conclusion de l’état des lieux » l’étud
e consigne à la page 97 que « Le coût total du fonctionnement de l’éducation étant de 133.2 milliards de gourdes par année, cela se traduit par environ 2 milliards de dollars par année, au taux de 65 gourdes pour un dollar en septembre 2017 ».
TABLEAU 3 / Étude de la firme ECOSOF S.A. : « Tableau 38 – Sources de revenus et montants anticipés (financement du système) »
Gourdes | Dollars | Poids | |
Le Budget de l’État | 32,987,000,000 | 507,492,308 | 31.72% |
Programmes nationaux | 17,013,000,000 | 261,738,462 | 16.36% |
Contributions locales | 27,000,000,000 | 415,384,615 | 25.96% |
Aide externe | 2,000,000,000 | 30,769,231 | 1.92% |
Contributions parents | 25,000,000,000 | 384,615,385 | 24.04% |
Total | 104,000,000,000 | 1,600,000,000 | 100.00% |
Les données analytiques rassemblées dans l’« Étude de la capacité nationale de financement de l’éducation en Haïti » peuvent être mises en perspective par la très brève exploration des montants prévus pour le financement de l’éducation nationale figurant dans le « Budget général de la République d’Haïti – Exercice 2023-2024 » – (Le Moniteur, 29 septembre 2023) et aussi à l’aide d’une conjointe présentation-synthèse intitulée « Observatoire du système financier haïtien (OSFH) / Group Croissance – Budget citoyen – Résumé / Décret établissant le budget général de la République d’Haïti – Exercice fiscal 2023-2024 ».
TABLEAU 4 / Budget du ministère de l’Éducation nationale – Exercice 2023-2024
(Source : Le Moniteur, 29 septembre 2023, page 159)
Unité monétaire : Gourde
SECTION |
FONCTIONNEMENT |
INVESTISSEMENT |
TOTAL |
Bureau du ministre |
290,364,130 |
290,364,130 |
|
Direction générale des services internes |
24,104,816,632 |
6,016,049,878 |
30,120,866,510 |
Commission nationale de coopération avec l’Unesco |
47,965,244 |
— |
47,965,244 |
Institut national de formation professionnelle |
1,157,987,602 |
1,407,259,000 |
2,565,037,602 |
Office national de partenariat |
151,568,384 |
— |
151,568,384 |
TOTAL |
33,176,001,870 |
TABLEAU 5 / Éclairage du Group Croissance / Observatoire du système financier haïtien (OSFH)
Unité monétaire : Gourde
La modélisation effectuée par le Group Croissance / Observatoire du système financier haïtien (OSFH) dans le tableau 5 est éclairante à plus d’un titre. Ainsi, sur un total de 320.645 milliards de Gourdes du budget général, 33 milliards de Gourdes (10.35) sont prévus au budget de l’Éducation nationale –un montant relativement faible en comparaison aux prévisions de 64.41 milliards de Gourdes (19.2%) attribués à un OVNI dénommé « Secteur politique ». Le Pouvoir législatif –pourtant mis en coma artificiel et rendu caduc par le PHTK–, reçoit 3.76 milliards de Gourdes (1.2%), tandis que les « Organisations indépendantes » (une catégorie fourre-tout) reçoivent la modique somme de 4.87 milliards de Gourdes. Alors même qu’Haïti ne compte pas de Président depuis l’assassinat de Jovenel Moïse en 2021, 1.4 milliard de Gourdes (0.5%) est prévu à la rubrique « Présidence ». Il y a lieu de préciser que le budget global de l’État annoncé dans Le Moniteur du 29 septembre 2023, à la page 19 –soit un grand total de 320,645 milliards de Gourdes–, constitue un énoncé des crédits à accorder et non pas des montants attribués et effectivement décaissés. L’addition des 64.41 milliards de Gourdes (19.2%) du « Secteur politique » + les 3.76 milliards de Gourdes (1.2%) attribués au Pouvoir législatif + les 4.87 milliards de Gourdes réservés aux « Organisations indépendantes » + le 1.4 milliard de Gourdes (0.5%) de la Présidence conduit au total de… 74.44 milliards de Gourdes. Au pays de la corruption généralisée, quels seront les véritables bénéficiaires de ces 74.44 milliards de Gourdes ? L’ULCC, dans l’hypothèse où elle se risquerait un jour à enquêter sur cette juteuse manne financière, croisera certainement sur le chemin d’un audit comptable les ayants-droits du PHTK, les « gran manjè » de l’Administration publique et privée, les lobbyistes patentés, les « éclaireurs-intermédiaires », les « experts » et les « consultants-conseillers » du ministère de l’Éducation nationale…
Alors que nous abordions la rédaction de la troisième partie du présent article, un haut cadre du ministère de l’Éducation nationale nous a confidentiellement acheminé de très récents documents émis par son ministère –vérification faite, ces documents sont parus dans Le Nouvelliste du 26 décembre 2023 et sur Facebook. Le premier document s’intitule « LE MENFP EN 10 CHIFFRES EN 2023 » / « Éducation/Bilan 2023 » et il est précédé de la mention « MENFP Haïti Officiel ». Il est daté du 22 décembre 2023 et consigne en exergue la mention « Le MENFP en dix chiffres en 2023 pour bien comprendre les principales activités et actions dans le secteur éducation ». Le second, lui aussi daté du 23 décembre 2023, s’intitule « MENFP 2023 EN 12 DÉCISIONS », il comprend la mention « Éducation/Décisions en 2023 » et consigne l’intitulé « Le MENFP, dans le courant de 2023, a pris une série de décisions majeures en vue de la transformation du système éducatif.
Dans le premier document, les intitulés suivants ont retenu notre attention (ils sont selon le cas suivis de très brefs commentaires) :
(04) « 1 000 000 de « livres uniques » en créole haïtien. Un million de livres en créole produits et distribués gratuitement pour la 1ère et la 2ème année fondamentale ». [Commentaire — Selon les remontées de terrain qui nous parviennent, la saga du LIV INIK AN KREYÒL –rareté de livres, distribution improvisée et aléatoire, marché noir, mauvaise qualité des ouvrages–, confirme que le ministère de l’Éducation a lancé une opération mal préparée, qui se déroule sans une véritable supervision et qui témoigne une fois de plus que l’État haïtien n’a toujours pas une politique du livre scolaire.]
(07) « 2 941 enseignants du secteur public ont participé à un programme de formation continue. Un programme de formation a été mis en oeuvre par la DFP à travers les Universités publiques avec le soutien du FNE. La coordination des EFACAP a aussi facilité des formations ». [Commentaire — Aucune information n’a été donnée sur le contenu de ce présumé programme de formation continue.]
(08) « 7 écoles inaugurées par le FNE [Fonds national de l’éducation]. Le FNE a inauguré 7 écoles dans le Nord-Est, l’Ouest, les Nippes et la Grande-Anse, dont 2 lycées techniques en expérimentation. Elles s’ajoutent à la liste d’une soixantaine d’écoles construites par les partenaires ». [Commentaire –En 2022-2023, de nombreuses écoles ont été obligées de fermer en raison de l’insécurité. « Selon le Fonds des Nations-Unies pour l’éducation (UNICEF), pas moins de 1 700 établissements scolaires ont dû fermer leurs portes en 2022 dans la région métropolitaine de Port-au-Prince. » (Source : Ayibopost, Port-au-Prince, 9 août 2022). « Au cours des six premiers jours du mois de février [2023], 30 écoles ont été fermées en raison de la montée de la violence dans les zones urbaines, tandis que plus d’une école sur quatre est restée fermée depuis octobre 2022. » (Source : La violence armée contre les écoles multipliée par 9 en un an », site de l’UNICEF, 9 février 2023.) Selon le site Haïti libre daté du 5 octobre 2023, « Plus de 100 écoles ont fermé leurs portes en raison de l’insécurité et seul un établissement de santé sur quatre dans tout le département [de l’Artibonite] reste accessible en raison des problèmes de sécurité. » (« Haïti – Insécurité : la violence des gangs s’intensifie dans l’Artibonite, grenier rizicole du pays ».)]
Dans le second document, les intitulés suivants ont retenu notre attention (ils sont selon le cas suivis de très brefs commentaires) :
(01) « Décision instituant le multilinguisme. Le créole langue d’enseignement et langue enseignée jusqu’à la terminale du secondaire. L’approche comme langue seconde du français, de l’anglais et de l’espagnol. Ces derniers sont obligatoires dès la 5ème année fondamentale ». [Commentaire –L’État haïtien ne dispose toujours pas d’un énoncé de politique linguistique éducative ni de sa première loi d’aménagement de nos deux langues officielles dans le système éducatif national. La pseudo « Décision instituant le multilinguisme » est de la poudre aux yeux et relève du populisme linguistique : comment le MENFP, qui ne s’est pas donné les moyens de mettre en œuvre le « bilinguisme de l’équité des droits linguistiques », pourrait-il instituer le multilinguisme dans les écoles du pays ?]
(03) « Arrêté ministériel établissant le référentiel de compétences professionnelles de l’enseignant ». [Commentaire –Ce référentiel, lorsqu’il sera accessible, devra faire l’objet d’un examen attentif.]
(04) « Décision d’orientation des actions de formation continue. Décision ministérielle relative au cadrage et à l’orientation des actions de formation continue à l’intention des personnels éducatifs haïtien ». [Commentaire –Quels sont les domaines d’application de ces présumées « actions de formation continue » ?]
(11) « Circulaire ministérielle relative à la mise en œuvre de la réforme curriculaire coordonnée par la Commission nationale du curriculum (2022) avec le soutien de l’UNESCO-BIE. » [Commentaire –La réforme curriculaire projetée est lacunaire sur plusieurs registres : voir nos articles « L’aménagement du créole en Haïti à l’épreuve du « Cadre d’orientation curriculaire » du ministère de l’Éducation nationale », Rezonòdwès, 27 août 2023 ; et « L’échec prévisible de la prochaine réforme curriculaire de l’École haïtienne : pistes de réflexion », Rezonòdwès, 2 octobre 2023.]
Cette sorte de mise en capsules graphiques du bilan de 2023 du ministère de l’Éducation sous les appellations « LE MENFP EN 10 CHIFFRES EN 2023 » / « Éducation/Bilan 2023 et le « MENFP 2023 EN 12 DÉCISIONS » / « Éducation/Décisions en 2023 » est d’une très grande pauvreté informationnelle. Car en réalité le bilan 2023 est maigre, le public n’apprend pas grand-chose des capsules graphiques et, surtout, ce mode de communication sert à maquiller l’absence quasi totale de vision, les déficiences managériales et l’improvisation qui caractérisent la gestion de ce ministère au plus haut niveau. Ainsi sont maquillés l’échec déjà attesté du LIV INIK AN KREYÒL, les lourdes lacunes du Cadre d’orientation curriculaire, le nombre élevé d’écoles obligées de fermer en raison de l’insécurité, le nombre élevé d’élèves privés d’enseignement dans les zones tenues par les gangs armés –alors même que les détournements de fonds se poursuivent impunément au décrié PSUGO reconduit par l’actuel ministre de facto de l’Éducation nationale et que le Fonds national d’éducation est plus que jamais l’une des principales « stations de pompage » frauduleux des ressources financières de l’État.
Le site officiel du Partenariat mondial pour l’éducation [Global Partnership for Education, GPE] consigne un document non daté intitulé « Cadre de résultats du GPE 2025 pour Haïti ». Dans ce document, il est précisé que « Haïti a rejoint le Partenariat mondial pour l’éducation (…) en 2008 et est classé parmi les pays partenaires touchés par la fragilité et les conflits (PPFC) au cours de l’exercice 2023 ». Au chapitre des dépenses publiques consacrées à l’éducation, le Partenariat mondial pour l’éducation affirme ceci : « À Haïti, les dépenses publiques consacrées à l’éducation en pourcentage des dépenses publiques totales (hors service de la dette) sont passées de 17,2% en 2020 à 20,20 en 2022. Cet indicateur reflète l’engagement financier des pays en faveur de l’éducation. Plus le pourcentage est élevé, plus la réalisation des objectifs de financement nationaux progresse ». L’affirmation du Partenariat mondial pour l’éducation selon laquelle en Haïti « les dépenses publiques consacrées à l’éducation (…) sont passées de 17,2% en 2020 à 20,20 en 2022 » doit être prise avec énormément de réserves car à l’appui de ce pourcentage apparemment élevé et au demeurant fort discutable, l’institution indique une nébuleuse de sources non identifiées de la manière suivante : « Source : Documents budgétaires nationaux compilés par le GPE ».
Quels sont les enseignements majeurs que l’on peut objectivement dégager de l’ensemble des données documentaires et de l’éclairage analytique consignés dans le présent article ? Le titre même de l’article suggère le fil conducteur de notre démarche, à savoir (1) effectuer une lecture critique amplement documentée sur le financement du système éducatif haïtien par les puissantes institutions internationales dont la mission affichée est d’oeuvrer à « faire avancer la réforme de l’éducation en Haïti », à « promouvoir une éducation plus équitable », à « appuyer le système d’éducation public », et (2) déterminer si les puissantes institutions internationales qui interviennent dans le secteur éducatif national alimentent la corruption en Haïti.
Dans le courriel qu’il nous a adressé le 26 décembre 2023, l’économiste Leslie Péan apporte un pertinent éclairage en ces termes : « Après un pic de 19 % en 1987-88 et de 22 % en 1994-95, le pourcentage du budget national d’Haïti alloué à l’éducation a diminué de 17 % à 10 % entre 2001 et 2010, 20 % des dépenses liées à l’éducation atteignant les zones rurales. C’est là que se trouve 70 % de la population haïtienne. Ce chiffre est faible par rapport à d’autres pays comparables. Les dépenses d’éducation en 2023/2024 sont de 33,176,001,870 $ US DANS UN BUDGET TOTAL DE 320, 645, 500, 000 de Gourdes soit près de 10%. Le meilleur indicateur est de comparer les dépenses en éducation par rapport au PIB et ensuite de comparer ces dépenses par rapport à celles des autres pays de la région. Les derniers chiffres disponibles indiquent des dépenses de 1.3% par rapport au PIB pour Haïti en 2022-2023. Pour la Jamaïque, cet indicateur est de 5.5% et pour la République dominicaine, il est de 3.8% pour la même année ».
Les professionnels familiers de la coopération internationale savent bien que tout financement (subventions, dons, prêts, etc.) attribué à Haïti par l’International doit faire l’objet d’un audit de contrôle de sa gestion financière. Selon les procédures en cours dans les institutions internationales, l’audit de contrôle financier doit donner lieu à l’élaboration d’un document-synthèse qui doit être publié et ainsi rendu accessible au public. Parmi les nombreux documents que nous avons consultés en amont de la rédaction du présent article, nous n’avons retracé aucun document de cette nature sur les sites des institutions internationales qui financent le système éducatif haïtien. LA NON-PUBLICATION D’UN DOCUMENT-SYNTHÈSE D’AUDIT DE CONTRÔLE DE LA GESTION FINANCIÈRE DE CHACUN DES PROJETS ET PROGRAMMES FINANCÉS PAR L’INTERNATIONAL DANS LE SECTEUR DE L’ÉDUCATION EN HAÏTI est un indicateur majeur de leur opacité managériale. Cela traduit de fait l’existence d’une complexe « sous culture de l’omertà » qui a permis aux ayants-droits du PHTK, aux « gran manjè » de l’Administration publique et privée, aux lobbyistes patentés, aux « éclaireurs-intermédiaires », aux « experts » et autres « consultants-conseillers » –à l’intérieur du MENFP ou gravitant autour du ministère de l’Éducation nationale–, de prélever au cours des ans, en toute impunité (« je pa wè, bouch pa pale »), une part sans doute considérable du financement de la coopération internationale. Cette « part considérable » est extrêmement difficile à chiffrer puisque, par définition, il s’agit de détournement de fonds qui se sont évaporés sans laisser de traces comme on l’a vu avec la scabreuse saga du PSUGO… De surcroît, il est peu vraisemblable que dans un pays gangréné par la corruption au plus haut niveau de l’appareil d’État, l’ULCC ou la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif soient « autorisées » par le PHTK à enquêter sur des malversations financières dans le secteur de l’éducation. Au début de cet article nous avons évoqué cette « sous culture de l’omertà » en rappelant l’unique prise de position publique de Nesmy Manigat enregistrée par la presse haïtienne au sujet du PSUGO : « Le ministre de l’Éducation Nationale, Nesmy Manigat, affirme que les 85 directeurs d’écoles récemment épinglés pour corruption dans le cadre du PSUGO ne représentent qu’une infirme partie des détournements de fonds publics dans le secteur éducatif. » Et sans identifier les mécanismes institutionnels de ces détournements de fonds publics, il a précisé que « Plusieurs centaines d’écoles sont impliquées dans ces détournements (…) rappelant que les directeurs corrompus ont des connexions au sein du ministère de l’Éducation » (voir l’article « Important réseau de corruption au sein du PSUGO », Radio Métropole, 13 juillet 2015). Les directeurs d’écoles épinglés et leurs contacts opérationnels au sein du ministère de l’Éducation nationale n’ont pas été identifiés et encore moins traduits en justice : ils ont bénéficié de l’obscure impunité qui gangrène le corps social haïtien ainsi que les institutions du pays. La presse haïtienne a bien noté que dès son retour, en novembre 2022, à la direction du ministère de l’Éducation nationale, le même Nesmy Manigat a vite fait de reconduire le décrié PSUGO qu’il ne s’était pas privé ponctuellement de dénoncer en juillet 2015… L’éloquent économiste-ministre-de facto de l’Éducation nationale a certainement une lecture très sélective des exigences politiques de la « sous culture de l’omertà » au pays du « je pa wè, bouch pa pale…
Il est utile de rappeler que la presse haïtienne avait bien révélé que « vòlò rele bare vòlò » lorsque, « Malgré les soupçons de corruption qui pèsent à son encontre, le président Jovenel Moïse estim[ait] nécessaire de combattre la corruption, en Haïti, « avec la plus grande rigueur », a[vait]-t-il souligné, lors d’un symposium réalisé ce mardi 27 octobre 2020 (…). Alors que la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (Cscca) épingle Jovenel Moïse pour avoir utilisé « des stratagèmes de détournements de fonds », à travers sa firme dénommée « Agritrans », dans la gestion de fonds publics du programme PetroCaribe de l’aide vénézuélienne à Haïti, Jovenel Moïse exhorte les fonctionnaires de l’État à faire appliquer la loi pour toutes et pour tous, « pour les riches et les pauvres, les citadins et les ruraux » (voir AlterPresse, 27 octobre 2020 : « Justice : malgré les soupçons à son encontre, Jovenel Moïse appelle à combattre la corruption « avec la plus grande rigueur » en Haïti »).
Au chapitre de la convergence de vue entre le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste et certaines institutions internationales qui contribuent au financement du système éducatif national, l’UNESCO occupe une place spéciale qui doit être éclairée adéquatement car cette réputée institution internationale a mis sur pied, à l’échelle mondiale, une structure opérationnelle de lutte contre la corruption dans le secteur de l’éducation, ETICO. Appelée ETICO, elle est la plateforme en ligne sur la corruption dans l’éducation créée par l’Institut international de planification de l’éducation de l’UNESCO (IIPE). Cette plateforme consigne des articles se rapportant à la corruption dans l’éducation à l’échelle internationale ainsi que des programmes ciblant la lutte contre la corruption. La plateforme ETICO, logée sur le site officiel de l’Institut international de planification de l’éducation de l’UNESCO, consigne notamment la grande rubrique intitulée « Éthique et corruption dans l’éducation » et elle présente la vision et les programmes de l’UNESCO dans ce domaine. Il est ainsi précisé que « Initié en 2001, ce programme vise à renforcer les stratégies de planification pour développer une culture de l’éthique et lutter contre la corruption dans le secteur éducatif, en intégrant les principes de transparence et de redevabilité au niveau politique » [Le souligné en gras est de RBO]. Afin d’atteindre ces objectifs, « l‘IIPE propose régulièrement des formations sur la transparence, la redevabilité et la lutte contre la corruption, le plus souvent à la demande des États membres de l’UNESCO, des partenaires au développement, ou des organisations de la société civile. Au total, plus de 2 600 personnes ont été formées par l’IIPE depuis 2003 sur divers sujets liés à l’éthique et à la corruption dans l’éducation ». En ce qui a trait à Haïti, alors même qu’il existe depuis 1994 un Bureau de l’UNESCO en Haïti, seuls deux maigres articles auparavant parus dans la presse locale ont été reproduits sur ETICO : « Éducation en Haïti : des directeurs d’écoles escrocs entendus par le MENFP » (8 avril 2013) et « Haïti-Éducation-PSUGO : le MENFP s’attaque à la corruption » (7 mars 2013). Par ailleurs il est utile de signaler que l’Institut international de planification de l’éducation de l’UNESCO a entre autres élaboré le « Programme d’interventions prioritaires (PIPE) – Haïti 2013-2016 » ; l’étude-guide « Improving school financing : the use and usefulness of school grants : Haiti » [« Améliorer le financement des écoles : l’utilisation et l’utilité des bourses scolaires : Haïti »], ainsi que « Training in Haiti : Overcoming challenges for the future of education » [« Formation en Haïti : relever les défis pour l’avenir de l’éducation »].
La plateforme ETICO comprend un « Glossaire », qui « reprend pour l’essentiel les définitions établies par l’IIPE-UNESCO, U4 et Transparency International ». Également identifié par l’appellation « Glossaire de l’IIPE, il « comprend une quarantaine de définitions de termes clés associés à la thématique de l’éthique et de la corruption. Chaque définition est illustrée par des exemples tirés du secteur de l’éducation ». En voici des exemples :
–« corruption » : « La corruption dans l’éducation peut être définie comme « une utilisation systématique d’une charge publique pour un avantage privé, qui a un impact significatif sur la disponibilité et la qualité des biens et services éducatifs et, en conséquence, sur l’accès, la qualité ou l’équité de l’éducation. »
–« Détournement de fonds » : « On parle de détournement lorsqu’une personne ayant accès à des fonds ou des actifs, du fait de sa position officielle au sein d’une administration, d’une entreprise ou d’une organisation, les utilise illégalement à des fins d’enrichissement personnel ou dans tout autre but illicite. » [Exemple] « Fonds destinés à l’éducation finançant une campagne électorale. »
–« Grande corruption » : « La « grande » corruption ou corruption de grande envergure se déroule au niveau de la formulation des politiques et ne fait pas directement référence au montant des sommes d’argent impliquées. Il est induit que des pressions discutables ont été exercées sur des politiques publiques et des réglementations. Les transactions liées à la grande corruption impliquent généralement l’échange d‘argent contrairement à la « petite » corruption. Elle est souvent associée à la corruption politique. [Exemple] « Fraude dans l’attribution de marchés publics pour la construction d’écoles ou la production de manuels scolaires. »
–« Transparence » : « Faculté à être clair, honnête et sincère. Le principe de transparence implique que les fonctionnaires, les gestionnaires et les administrateurs agissent ouvertement, de manière prévisible et compréhensible. Des informations suffisantes doivent être mises à disposition d’autres agences et du grand public de manière à ce qu’il soit possible de juger de la pertinence des procédures et de leur compatibilité avec le mandat. La transparence est considérée comme un élément essentiel pour une gouvernance responsable, devant permettre une meilleure allocation des moyens, une plus grande efficacité et de meilleures perspectives de croissance économique. » / « Capacités des parties prenantes (directeurs d’établissements, conseils scolaires, parents, élèves et communauté locale) à comprendre les principes d’allocation des ressources éducatives (financières, matérielles et humaines) à tel ou tel établissement et les modalités d’utilisation. »
–« audit » : « L’audit fait référence à l’examen formel des comptes d’une organisation ou d’une institution pour s’assurer que l’argent a été correctement dépensé, à savoir selon les règles, les procédures en place ou les normes en vigueur. »
La consultation réitérée et attentive de la plateforme ETICO mise sur pied par l’Institut international de planification de l’éducation de l’UNESCO a conduit à la conclusion suivante : en dépit de ses objectifs et de ses programmes de formation contre la corruption dans le domaine de l’éducation –et malgré son appui technique aux États membres ciblant le diagnostic de la corruption–, l’IIPE-UNESCO n’a pas encore publié un rapport-synthèse sur l’état des lieux de la corruption dans le système éducatif haïtien au cours des dix dernières années…
Dans l’article paru le 14 juin 2011 sur le site officiel ONU Info, « Haïti : l’UNESCO salue la création d’un fonds national pour l’éducation », il est précisé que « Le FNE [Fonds national de l’éducation] est un consortium multisectoriel qui réunit le gouvernement haïtien, le secteur privé, les institutions financières internationales et les organisations non gouvernementales (ONG) ». Or nous avons établi, références documentaires à l’appui (voir plus haut), que le Fonds national de l’éducation a été l’objet de nombreuses dénonciations citoyennes. Ainsi, « Depuis sa création, le Fonds national de l’éducation a (…) fait l’objet de vives critiques notamment pour sa gestion occulte. En effet, personne ne sait avec précision combien d’argent a déjà été collecté au nom de cet organisme par la Banque centrale et le CONATEL (Conseil national des télécommunications). L’absence de transparence dans la gestion du FNÉ a même suscité l’inquiétude de certains secteurs de la société civile » (voir l’article « Où est l’argent du Fonds national de l’éducation ? », Haïti liberté, 29 janvier 2013). Tel que mentionné précédemment, nous avons également consulté le mémoire de maîtrise de Sarto Samuel Thomas qui a étudié des documents de première main, mais aucun d’entre eux ne porte de manière spécifique sur la corruption au sein du système éducatif haïtien et qui aurait été élaboré collectivement par les 20 institutions internationales présentes dans le domaine de l’éducation au pays (voir entre autres les documents suivants cités par Sarto Samuel Thomas : « État des lieux de la lutte contre la corruption 2004 – 2011 » daté de 2011 ; « Rapport du comité interinstitutionnel contre la contrebande, le blanchiment, la fraude fiscale et la corruption » daté de 2012 ; « Cadre opérationnel/ULCC 2010-2011, 2011- 2012, 2014-2015, 2015-2016 », n.d. [2016-2017 ?]. Il est symptomatique et révélateur que l’ULCC n’ait pas mené des enquêtes spécifiques sur la gestion financière d’un « opérateur » institutionnel aussi important, « brasseur » de millions de dollars, que le Fonds national de l’éducation. Cela confirme sans aucun doute que la « sous culture de l’omertà » (« je pa wè, bouch pa pale ») connaît des jours paisibles à l’ULCC ainsi que parmi les puissantes institutions internationales qui financent le système éducatif haïtien. C’est aussi sur ce registre que l’on constate –de manière tout à fait objective–, que les puissantes institutions internationales participent de la corruption en Haïti dans le domaine de l’éducation en pratiquant ostensiblement le « je pa wè, bouch pa pale ».
Dans le droit fil du diagnostic effectué à l’échelle internationale par Transparency International et consigné dans le document « La corruption dans le secteur éducatif / Document de travail » (avril 2007), le constat objectivement établi est celui de l’absence d’imputabilité des institutions internationales en Haïti : elles financent le secteur de l’éducation, elles fixent sinon imposent les « règles du jeu » à un État failli et dont la souveraineté est à géométrie variable sans que cet État soit en mesure de faire respecter le cadre éthique, institutionnel et juridique de cette « aide » internationale… C’est précisément dans cet espace administratif apparemment diffus et flou –en lien avec la « sous culture de l’omertà »–, que sont mis en place divers mécanismes de corruption dans le système éducatif national. L’un des moteurs de ces mécanismes de corruption dans le système éducatif national est LA NON-PUBLICATION D’UN DOCUMENT-SYNTHÈSE D’AUDIT DE CONTRÔLE DE LA GESTION FINANCIÈRE DE CHACUN DES PROJETS ET PROGRAMMES FINANCÉS PAR L’INTERNATIONAL DANS LE DOMAINE DE L’ÉDUCATION. Dans la documentation à laquelle nous avons eu accès, nous n’avons pas répertorié de documents d’orientation émis par l’International et ciblant de manière spécifique la lutte contre la corruption dans le système éducatif national haïtien. L’autre moteur de la corruption dans le système éducatif national est en lien direct avec la reproduction du schéma de fonctionnement des institutions internationales en Haïti. À cet égard, il y a lieu de citer longuement l’article du Courrier international daté du 12 janvier 2012, « HAÏTI. Mais où diable est passé l’argent de la reconstruction ? » :
« Deux ans après le séisme de janvier 2010, le pays est loin de s’être remis debout. Peut-être est-ce parce qu’il a à peine vu la couleur des dons promis ? L’enquête du site américain CounterPunch détaille dans quelles poches sont tombées les sommes versées par Washington. (…) La vérité, c’est que pratiquement aucun don du public n’a directement été envoyé en Haïti. Les Haïtiens n’ont à peu près aucun contrôle sur cet argent, mais si l’on en croit l’Histoire, il est probable qu’on leur reprochera ces échecs – un petit jeu appelé : “Accusons la victime”. (…) Le bénéficiaire principal de l’argent octroyé par les États-Unis après le tremblement de terre s’est révélé être le gouvernement des États-Unis. Il en va de même pour les donations des autres pays. (…) Juste après le séisme, les États-Unis ont consenti une aide de 379 millions de dollars et ont envoyé 5 000 soldats. L’agence américaine Associated Press a découvert en janvier 2010 que 33 centimes de chacun de ces dollars avaient en fait été rendus directement aux États-Unis pour compenser le coût de l’envoi des troupes militaires. Pour chaque dollar, 42 centimes ont été envoyés à des ONG publiques et privées comme Save the Children, le Programme alimentaire mondial des Nations Unies et l’Organisation panaméricaine de la santé. (…) L’aide internationale a été répartie de la même façon. L’envoyé spécial des Nations unies pour Haïti a révélé que l’argent du fonds humanitaire, soit 2,4 milliards de dollars, avait été distribué de la façon suivante : 34 % ont été renvoyés aux organismes civils et militaires des donateurs pour l’intervention d’urgence, 28 % attribués à des agences des Nations unies et à des ONG, 26 % alloués à des sociétés privées et à d’autres ONG, 5 % reversés à des sociétés nationales et internationales de la Croix-Rouge, 1 % a été versé au gouvernement haïtien et 0,4 % à des ONG haïtiennes. (…) Des sommes dérisoires sont parvenues aux entreprises et aux ONG haïtiennes. Le Center for Economic and Policy Research, la meilleure source d’information qui soit dans ce domaine, a analysé les 1 490 contrats attribués par le gouvernement américain entre janvier 2010 et avril 2011, et s’est rendu compte que seuls 23 d’entre eux avaient été accordés à des entreprises haïtiennes. Dans l’ensemble, les Etats-Unis ont distribué 194 millions de dollars à des sous-traitants, dont 4,8 millions seulement à des sociétés haïtiennes, soit environ 2,5 % du total. Quant aux sociétés privées de la région de Washington DC, elles ont reçu 76 millions de dollars, soit 39,4 % du total. »
La reproduction de ce schéma de fonctionnement des institutions internationales en Haïti est exposée dans une dépêche parue sur le site Martinique 1ère le 10 octobre 2016, « Haïti : la population redoute le détournement de l’aide humanitaire ». La dépêche précise que « La communauté internationale est mobilisée pour venir en aide à Haïti, suite au passage de l’ouragan Matthew. Les États-Unis, le Venezuela, l’Union Européenne, l’ONU, la CARICOM, l’OECS ont déjà déployé des moyens sur place. Mais si l’aide humanitaire internationale constitue une urgence pour les populations sinistrées, des organisations sociales haïtiennes redoutent qu’elle ne soit détournée, cette fois encore.
Plusieurs organisations auraient déjà exprimé leurs inquiétudes quant au détournement prévisible de l’aide internationale. « Très souvent, les vraies victimes des catastrophes naturelles n’ont jamais bénéficié des aides », selon le responsable du Mouvement démocratique populaire (MODEP). « L’assistance humanitaire annoncée va créer de nouveaux riches en Haïti mais aussi à l’étranger, au détriment des victimes », prévient-il. « Il faut absolument éviter de répéter les erreurs de 2010″, avertit la Plateforme haïtienne de plaidoyer pour un développement alternatif. Selon cette organisation, en 2010 Haïti a été envahie par une multitude d’organisations non gouvernementales qui ont mis en œuvre différentes opérations, aussi bien humanitaires que de reconstruction ; sauf que ces initiatives ont été prises dans le cadre d’une « marginalisation complète des acteurs haïtiens ». Il faut donc que « l’aide humanitaire s’inscrive dans le cadre de stratégies contrôlées et définies par les acteurs haïtiens », insiste Camille Chalmers, dirigeant de la Plateforme ».
Toujours en ce qui a trait au schéma de fonctionnement des institutions internationales en Haïti, nous avons retracé un article paru en Haïti dans Le Nouvelliste du 29 août 2017, « La mauvaise gestion de l’aide internationale en Haïti : les mécanismes et facteurs en cause (deuxième partie) ». Dans cet article, l’universitaire James Boyard analyse comme suit « Le détournement de l’aide ». Nous le citons longuement en raison de la pertinence de son analyse.
« À côté des phénomènes de « séquentialité » et de « supranationalité » qui affectent la gestion de l’aide internationale en Haïti, celle-ci subit aussi parallèlement un phénomène de « détournement » qui, selon nous, se manifeste de trois manières différentes. Il s’agit en quelque sorte d’un « détournement criminel », d’un « détournement fonctionnel » et d’un « détournement technico-opérationnel ».
« Le détournement criminel : il se rapporte principalement aux critiques traditionnelles qui ont toujours été formulées par la communauté internationale vis-à-vis de certains régimes politiques du Tiers-monde, peu soucieux du bien-être de leur population et peu réputés pour leurs pratiques de transparence et de bonne gouvernance dans la gestion des fonds publics. (…) On estime tout de même qu’un pourcentage non négligeable de l’aide publique au développement octroyée à Haïti est détourné vers des comptes privés de certains ministres ou chefs de projets du gouvernement haïtien. (…) même lorsque les mécanismes d’évaluation et de contrôle mixte mis en place dans le cadre du CCI, du DSNCRP ou du PSD rendent très hypothétiques les opportunités de détournement frontal et massif des fonds d’aide au développement, la pratique de manipulation des procédures d’appels d’offres reste néanmoins monnaie courante. À titre d’illustration, une commission d’enquête du gouvernement haïtien instituée en mars 2011 a dû recommander la suspension pour cause d’irrégularités graves de 41 contrats passés entre l’ancien Premier ministre haïtien Jean-Max Bellerive et des firmes locales et dominicaines. Cette décision concernait 6 contrats passés sous forme d’appels d’offres restreints totalisant un montant global de 348,025,881.63 dollars et 35 contrats de gré à gré pour un montant de 83,542,880.85 dollars. »
« (…) L’octroi de frais de voyage à l’étranger : une bonne partie du soutien budgétaire à Haïti est aussi consommée dans le paiement de per diem ou de frais de déplacements des dignitaires de l’État à l’étranger. À ce titre, l’économiste et historien Leslie Péan devait faire remarquer dans un article publié en 2015 que les 40 voyages effectués par le président Martelly à l’étranger de juin 2011 à juin 2015 avaient permis à l’ancien président d’encaisser personnellement 3 820 000 dollars américains, à titre uniquement de frais de per diem. Lorsqu’on sait que certains hauts dignitaires de l’État et fonctionnaires publics haïtiens s’amusent à multiplier inutilement les déplacements officiels à l’étranger, juste pour bénéficier des avantages financiers y afférents, on ne peut qu’imaginer le poids de cette rubrique de dépense dans le budget national. »
« (…) il peut arriver aussi qu’une bonne partie de l’aide soit utilisée par les organismes exécutants, particulièrement les ONG, pour payer des salaires faramineux à un personnel expatrié pléthorique, alors que leur travail pourrait être réalisé sur place, à moindre coût par des Haïtiens. On estime en effet que plus de 50% des fonds d’aide humanitaire fournie à Haïti à travers les ONG au lendemain du tremblement de terre du 12 janvier 2010 ont été employés dans la rémunération des experts ou coopérants étrangers, à titre de salaire, de frais « d’expatriement » ou de prime de risque ou dans les dépenses d’hébergement, de restauration et de location de véhicules. »
Le déroulé analytique de cet article a amplement illustré la réalité que sur le registre de la « sous culture de l’omertà » (« je pa wè, bouch pa pale »), les institutions internationales alimentent la corruption endémique du système éducatif national. Le Fonds national de l’éducation est le lieu par excellence d’exercice multifacette de la participation des institutions internationales à la corruption observée dans le système éducatif national. En effet nous avons mis en lumière que le Fonds national de l’éducation est un consortium multisectoriel qui réunit le gouvernement haïtien, le secteur privé, les institutions financières internationales et les organisations non gouvernementales (ONG) » (source : le site officiel ONU Info, 14 juin 2011 : « Haïti : l’UNESCO salue la création d’un fonds national pour l’éducation »). Nous avons également précisé que le Fonds national de l’éducation, créé par la loi du 17 août 2017, « est un organisme autonome de financement de l’éducation placé sous la tutelle du ministère chargé de l’éducation nationale ». Il regroupe des institutions haïtiennes ainsi que des institutions financières internationales mais alors même qu’il est un organisme autonome de financement de l’éducation placé sous la tutelle administrative du ministère de l’Éducation nationale, il n’est pas inscrit au budget de la République d’Haïti et n’est pas de ce fait soumis au contrôle du Parlement : il ne rend compte qu’au pouvoir politique détenu frauduleusement et inconstitutionnellement depuis onze ans par le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste… La « légitimité politique » du Fonds national de l’éducation est essentiellement tributaire de la tutelle de fait exercée par le PHTK, et cette tutelle a été annoncée dès sa création par l’un des caïds en chef de ce cartel politico mafieux, Michel Martelly (voir l’article « Haïti : l’UNESCO salue la création d’un fonds national pour l’éducation » (ONU Info, 14 juin 2011). La gestion financière et les interventions opérationnelles du Fonds national de l’éducation demeurent opaques et elles ont été publiquement dénoncées par la société civile haïtienne (voir l’article « Où est l’argent du Fonds national de l’éducation ? », Haïti liberté, 29 janvier 2013). Il faut prendre toute la mesure que participation attestée des institutions financières internationales au Fonds national de l’éducation constitue le sous-système le mieux organisé de la corruption dans le secteur de l’éducation nationale.
Dans un article d’une grande acuité analytique, « Haïti-2024 : l’enjeu ultime, freiner le chaos à tout prix » (AlterPresse, Port-au-Prince, 28 décembre 2023), le politologue et enseignant Sauveur Pierre Étienne met en lumière le rôle des « contrebandiers brasseurs d’affaires » dans le chaos politique actuel en Haïti. L’action multitâches des « contrebandiers brasseurs d’affaires » s’est systématisée dans toute la société haïtienne où pullulent en toute impunité les autoproclamés « bandits légaux » du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste au pouvoir depuis onze ans. Dans le secteur de l’éducation nationale, des « contrebandiers brasseurs d’affaires » ont acquis une lucrative expertise qui leur permet de naviguer d’un cabinet ministériel à une agence internationale de coopération ou d’un poste d’enseignant à une nomination dans la diplomatie haïtienne. Dans l’environnement sécurisé de l’impunité en Haïti, plusieurs « contrebandiers brasseurs d’affaires », anciens « super ministres » de Jean-Claude Duvalier et aujourd’hui alliés naturels du PHTK, sont même devenus des interlocuteurs privilégiés de certains bailleurs de fonds internationaux qui leur confient la mise en oeuvre d’énormes contrats financés en dollars US, y compris dans le secteur de l’éducation …
Il y a lieu de rappeler que l’éducation en Haïti est un vaste secteur d’activités qui s’alimente entre autres de l’apport financier des familles haïtiennes à hauteur de 70% dans un pays où le secteur privé national et international administre 80% des écoles (l’État ne finance et n’administre que 20% du total des écoles). Sur ce registre, il est utile de noter qu’il existe un « Répertoire des organisations de la société civile travaillant dans le secteur éducatif en Haïti ». Élaboré par l’ONG ActionAid Haïti, il est mis à jour deux fois l’an depuis 2010. Il présente la liste des 155 structures qui interviennent dans le domaine de l’éducation en Haïti. En voici un court extrait : « Association of Volunteers in International Service (AVSI) », « Association corps d’honneur chrétienne Toussaint Louverture pour le développement (ACHTLD) », « Association des enseignants pour une nouvelle vision instructive et éducative », « Catholic Relief Services (CRS) », « Christian Reform World Relief Committee (CRWRC) / Sous Espwa », « Confédération des écoles privées indépendantes d’Haïti (CONFEPI) », « Fédération des écoles évangéliques et protestantes de l’Artibonite (FEPA) », « Foundation HCS : Help for the Children of the Streets », « Haitian Education & Leadership Program (HELP) »…
Dans un article paru en Haïti le 30 décembre 2021 dans le journal Le National, « ECC fait état de la corruption en Haïti », « La plateforme Ensemble contre la corruption (ECC) a publié ce lundi 27 décembre 2021 son rapport intitulé « État de la corruption en Haïti. Gros plan sur les années 2019 et 2020 ». À travers ce rapport, ECC présente l’état de la corruption en Haïti tout en relatant les principaux cas de corruption survenus entre 2019 et 2020. ECC lève aussi le voile sur les obstacles à la lutte contre la corruption et fait des recommandations pour remédier à ce fléau. Selon la plateforme ECC, Haïti possède un cadre normatif légal et conventionnel ainsi qu’un cadre institutionnel de lutte contre la corruption où l’on retrouve une liste de conventions, lois et décrets, des documents administratifs et des textes normatifs, des institutions étatiques concernées par la lutte contre la corruption. Cependant, cela n’empêche pas que ce pays soit classé parmi les plus corrompus au monde, d’après l’indice de perception de la corruption de Transparency International. En 2017, le pays était classé 157e sur 180 et en 2020, 170e sur 179 ».
En guise de conclusion générale à cet article, nous formulons les grandes lignes d’une réflexion d’ensemble destinée à bien situer le phénomène de la corruption dans le système éducatif national dans le cadre d’une systémique de la corruption en Haïti étroitement liée à une systémique de la gouvernance kleptocratique d’Haïti mise en œuvre par le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste.
Heurts et malheurs du financement de l’éducation
Le problème de la durabilité des interventions publiques est omniprésent dans l’éducation, en raison de la faiblesse institutionnelle et financière du gouvernement. Institutions et finances se retrouvent comme deux frères siamois : « Pase pran m m a pase chèche w ». Les faibles moyens financiers injectés dans le secteur de l’éducation par rapport à ceux octroyés au secteur « politique » reflètent des choix fondamentaux d’une volonté politique similaire à celle de Jean-Pierre Boyer —président d’Haïti de février 1821 à mars 1843–, qui soutenait ouvertement que « Créer des écoles c’est ensemencer la révolution ». Les dates gardent mémoire d’événements de premier plan : 1804, 1822 et 1915, 1917, 1939 : l’Histoire a enregistré diverses déflagrations sismiques au cours de la vie des peuples sous différents cieux. Ainsi, le président haïtien Jean-Pierre Boyer est celui qui a orchestré en février 1822 la première occupation politique et militaire, de nature néocoloniale, de la République dominicaine par Haïti durant son « règne » obscurantiste. L’occupation de la République dominicaine par Haïti a duré 22 ans et elle est intervenue 18 ans après l’Indépendance d’Haïti proclamée le 1er janvier 1804… Il est hautement significatif que l’une des premières mesures qu’imposa Jean-Pierre Boyer à la République dominicaine a été la fermeture de la Universidad Santo Tomás de Aquino, la toute première institution d’enseignement supérieur des Caraïbes et de l’Amérique latine. Jean-Pierre Boyer transforma cette université en… caserne destinée à abriter ses troupes. Pour mémoire : il est attesté que la première Université du Nouveau Monde a été érigée à Santo Domingo en 1538 (voir l’« Esquisse d’une histoire de l’Université en Amérique latine », par Hélgio Trindade ; article paru dans « Les défis de l’éducation en Amérique latine », Paris : Éditions de l’Institut des hautes études de l’Amérique latine, IHEAL, 2000). Dans cette première institution universitaire de l’Amérique latine, les cours ont débuté dès 1534 mais elle a été officiellement inaugurée en 1538 sous le nom d’« Universitad de Santo Tomás de Aquino » et, plus tard, elle a porté le nom de « Universitad Primada de América ». Aujourd’hui, elle est connue sous l’appellation de « Universidad Autónoma de Santo Domingo ».
Essentiellement, dans un gouvernement mafieux qui ne dépend que de la volonté du « Roi-président » –placé au sommet d’un « système kleptocratique » de gouvernance de l’État–, les institutions ne peuvent pas fonctionner correctement. Les projets sont simplement reconduits et les allocations sont faites à partir des estimations de recettes. L’arbitraire domine à tous les niveaux en commençant par les perspectives budgétaires présentées par le ministère du Plan et de la coopération externe (MPCE). Les délibérations en Conseil des ministres ne sont qu’une formalité. En réalité, c’est le Premier ministre qui décide ce qui lui est présenté par le ministre des Finances et cette approbation est sujette à divers changements par le « Roi-président », selon les recommandations de ses conseillers, tous soumis à ses ordres.
Quant à la Lettre de cadrage dans laquelle le Premier ministre définit les grandes lignes de la politique budgétaire, sauf exception, aucune de celles consultées au cours de la décennie précédente ne contient une allusion au secteur de l’éducation. On n’y trouve aucun témoignage d’une urgence dans la mise en œuvre des programmes de formation des professeurs dès la petite enfance, aucune injonction à renforcer « l’éducation au développement durable », aucune volonté d’inscrire l’éducation à la préservation de l’environnement dans les programmes, aucune invitation à trouver des solutions pour assurer un plus fort taux de réussite aux examens du baccalauréat qui sont d’une moyenne d’un tiers des candidats.
Cette catastrophe dure depuis plusieurs décennies et continue même quand, en 2017, le Premier ministre Jack Guy Lafontant dit au ministre de l’Éducation nationale, Josué Agénor Cadet : « L’Éducation, l’une des composantes majeures de ma politique, dans une perspective quantitative et qualitative, constitue un axe essentiel des priorités du président de la République et du gouvernement » (voir Robenson Geffrard : « Lettre de cadrage, la difficile feuille route du ministre de l’Éducation nationale » (Le Nouvelliste, 4 avril 2017). La crise provoquée par l’application des exigences du Fonds monétaire international (FMI) de hausse des prix à la pompe aura raison des velléités du Premier ministre qui sera contraint de démissionner 18 mois plus tard.
Le règne de l’anarchie programmée
Le système financier en vigueur aujourd’hui en Haïti est archaïque en soi du fait de la « sous-culture esclavagiste » de soumission au « Roi-président », et il ne peut produire que heurts et malheurs pour la population. Les ministres ne peuvent pas se permettre d’avoir une opinion divergente de celle du chef. Les collaborateurs doivent tout supporter sans rechigner sinon ils se retrouvent sur le carreau, révoqués. Le processus de financement traduit l’arbitraire des décideurs qui ne tolèrent que des béni oui-oui autour d’eux. Les procédures sont suivies seulement quand on veut nuire aux autres, qu’il s’agisse des propositions sectorielles, des conférences budgétaires, de la fixation des plafonds, des réunions en Conseil des ministres. Les procédures budgétaires se révèlent être des « procédés cosmétiques ». Des leurres pour faire semblant et qui ne vont nullement au bout des choses en la matière, c’est-à-dire au dépôt du Projet de Loi de finances au Parlement, comme on le constate en clair aujourd’hui puisque le Parlement a été atrophié et rendu caduc faute d’élections. La règle cardinale : l’urgence. Ce prétexte est utilisé systématiquement afin que les décisions soient prises « san gade dèyè » –tête droite– dans la tradition autoritariste d’un « système kleptocratique » de gouvernance de l’État.
De cette manière, les montants alloués par le gouvernement dans le « budget » publié dans Le Moniteur sont arbitraires et ne font l’objet d’aucun débat au Parlement (même quand il existe) pour établir leur justification. D’ailleurs, le « budget » est révisé six mois plus tard selon la volonté du « Roi-président », qui fait/défait et redistribue les réallocations à sa guise et selon la priorité accordée au clan politique le plus « performant » du cartel politico-mafieux du PHTK. Les projets ne sont pas audités de manière indépendante et, quand il y a exception, les résultats ne sont pas publiés. La transparence n’existe pas. Le blackout règne et va de pair avec la « sous culture de l’omertà ». Sur ce registre, il a été impossible de retracer les audits des projets qui, en principe, devaient être réalisés conjointement par le ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle, la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif et le ministère du Plan et de la coopération externe.
Même avec le financement international, les clauses des accords de financement ne sont pas respectées et les bailleurs sont souvent obligées de recourir aux ONG pour l’exécution des projets. Également, le gouvernement fait d’incessantes modifications des programmes pour lesquels les prêts ont été contractés.
Lorsque l’État contracte des emprunts, ce sont des entreprises essentiellement privées qui assurent la mise en œuvre, tant au niveau de la livraison des services que de celui du financement des achats. Le financement de l’éducation qui devrait être la responsabilité première de l’État haïtien –conformément à l’article 32 de la Constitution de 1987–, relève à 80% du secteur privé. Cette absence du secteur public nuit au bien-être de la population surtout en milieu rural où est concentrée 70% de la demande en éducation. L’État ne répond pas aux besoins réels de l’éducation en milieu rural même quand il s’agit d’un programme sectoriel de services éducatifs tel que l’octroi de bourses d’études : le secteur public est incapable de le gérer et doit recourir au secteur privé. Selon la Banque mondiale, seulement 15% des professeurs des écoles primaires sont qualifiés (voir le document de la Banque mondiale : « Haiti – Meeting teacher needs for EFA (Education for All) », Report no AB3402, 2008, p. 3.) Les élèves continuent leurs études secondaires avec ces lacunes et cela explique en grande partie le faible niveau des résultats obtenus lors des examens du baccalauréat.
Du « Budget » au « Produit intérieur brut » (PIB)
Se référer au « budget » uniquement ne permet pas de cerner avec tant soit peu de précision le financement de l’éducation. En effet, on observe de sensibles différences entre le budget original, le budget révisé et le budget exécuté. L’analyse des dépenses publiques en termes de PIB est préférable à celle en termes de budget qui sous-évalue les dépenses publiques car il ne prend pas en compte les interventions des autres bailleurs dans le secteur. Les montants inscrits dans le budget ne représentent en moyenne qu’un quart de ce qui est décaissé par le Trésor. Les dépenses publiques d’éducation en pourcentage du PIB correspondent aux dépenses publiques totales (courantes et en capital) pour l’éducation exprimées en pourcentage du produit intérieur brut (PIB) au cours d’une année donnée. Les dépenses publiques consacrées à l’éducation comprennent les dépenses publiques consacrées aux établissements d’enseignement (publics et privés), à l’administration de l’éducation et aux transferts/subventions pour les entités privées (étudiants/ménages et autres entités privées).
On ne saurait sous-estimer la répression des tonton makout et le chômage des enseignants dans l’analyse de la crise au sein du secteur de l’éducation. Ce facteur interne a été exploité par la communauté internationale à travers l’UNESCO qui a procédé au recrutement de milliers de professeurs vers l’Afrique au début des années 60, comme nous l’avons plus haut mentionné dans le déroulé de cet article. L’économiste suédois Mats Lundahl a bien identifié ce moment crucial de l’hémorragie des cadres qualifiés en citant un rapport de 1966 du Comité interaméricain de l’Alliance pour le progrès (CIAP) qui dit : « Haïti a perdu ces dernières années plusieurs milliers d’enseignants du primaire et du secondaire. Des centaines d’entre eux sont désormais employés par des agences internationales et sont en poste dans plusieurs pays africains, dont environ 500 au Congo. Étant donné que ces personnes n’ont été remplacées ni par un redressement accéléré du système éducatif interne, ni par l’entrée de l’étranger d’un nombre significatif de personnes instruites correspondantes, la conclusion irréfutable est que la perte douloureuse de cet exode a considérablement réduit le nombre de personnes déjà pauvres, les normes d’éducation générale d’Haïti, et a en même temps réduit la capacité du système scolaire à répondre à court terme à l’augmentation des ressources purement financières » (voir Mats Lundahl : « Peasants and poverty : A study of Haiti », New-York, St. Martin’s Press, 1979, p. 474-475).
Cette dynamique de délocalisation du facteur humain s’est amplifiée avec la globalisation sauvage. Comme l’indique le programme Biden d’octroi de visa, les investissements consentis dans l’éducation servent au développement national plutôt qu’international. L’Institut haïtien de statistiques et d’informatique (IHSI) reconnait que « la forte émigration enregistrée en 2023 parmi les couches les plus jeunes de la population en âge de travailler peut se révéler néfaste pour l’économie à court, moyen et long terme. En effet, le départ massif, en un si court laps de temps de beaucoup de jeunes cadres universitaires et de professions manuelles en Amérique du Nord et ailleurs, constitue une hémorragie sans précédent, affectant outre mesure la quantité de main d’œuvre qualifiée disponible dans l’économie. Cet important exode, réalisée de manière précipitée et parfois sans aucune planification, peut entrainer des effets retardés sur l’économie haïtienne, particulièrement au moment d’une relance effective des activités où on aura besoin d’une masse critique de jeunes cadres universitaires et autres » (voir la publication de l’IHSI : « Les comptes économiques en 2023 », Port-au-Prince, décembre 2023, p. 6).
Les financiers soutiennent l’État comme la corde soutient le pendu
Bien avant que la « gang-grène » ne vienne corser le tout, le ministère de l’Éducation nationale a toujours servi de marchepied à la tyrannie. La politique financière du temps des macoutes consistait à ne pas payer enseignants et professeurs pendant quelques mois et à se servir des arriérés de salaire pour permettre au financier « marron » gouverneur de la Banque de la République d’Haïti (BRH) de payer la dette externe (voir l’ECOSOF : « Panorama de l’économie haïtienne (exercice 1996-1997) », Port-au-Prince, décembre 1997, p. 202). Dans ces circonstances, il est difficile aux cadres du ministère de l’Éducation de se concentrer sur la planification, la réglementation et la supervision du secteur de l’éducation. De ce fait, la qualité des services éducatifs auxquels ont droit la grande majorité d’élèves issus de familles pauvres a été affectée négativement en dépit des efforts des parents. La pratique d’arriérés de salaires des employés du secteur public n’a pas été surmontée et dans certains cas, comme 2009, « quatre mille enseignants seraient concernés par les dettes remontant jusqu’à trois ans pour la plupart » (voir l’article « MENFP/arriérés de salaires », Le Nouvelliste, 21 Janvier 2009). Dix ans plus tard, en 2019, les arriérés de salaire dus aux directeurs d’écoles et instituteurs contractuels, aux enseignants et personnels de soutien des établissements scolaires du ministère de l’Éducation étaient de 800 millions de Gourdes (voir l’article « Haïti – Éducation : déjà 116 millions d’arriérés de salaires payés sur près de 800 millions », Haïti libre, 20 novembre 2019). Encore, en juillet 2023, le Fonds national de l’éducation (FNE) a payé des arriérés de plus de 3 milliards de Gourdes aux enseignants (voir l’article « Haïti – Diaspora : le FNE a payé plus de 3 milliards de Gourdes aux enseignants », Haïti Libre, 4 juillet 2023). On comprend donc pourquoi le secteur public, qui pour l’essentiel comblait les besoins de l’offre scolaire jusqu’en 1960, a vu une diminution du nombre d’écoles publiques pour atteindre 21% du parc scolaire en 1980 et 8% en 2003.
Le cloaque dans lequel baigne le facteur humain en Haïti n’a pas échappé aux bailleurs de fonds internationaux. Pour qu’on ne puisse pas les accuser d’être les complices de la « gang-grène » et pour garder un certain panache, ils soutiennent à visière levée que « La qualité de l’enseignement est déficiente dans la plupart des écoles privées et publiques en raison d’enseignants non qualifiés et non motivés, du manque de manuels scolaires, d’un développement non coordonné des programmes et du matériel pédagogique et de la médiocrité des installations. Les résultats d’un test administré en mars 1996 à un échantillon représentatif de 1 200 enseignants des écoles publiques et privées sont lamentables. Le test de langue française, conçu par une équipe d’experts du ministère de l’Éducation assistée d’un petit groupe de spécialistes du français, a révélé qu’un tiers des enseignants du primaire ne savaient pas classer les mots par ordre alphabétique. Quatre-vingts pour cent des enseignants ne savaient pas utiliser la forme passive en français. Seuls 41 des 1 200 enseignants (3,5 %) étaient capables d’effectuer les opérations arithmétiques de base du programme de quatrième année fondamentale. Avec des enseignants aussi peu qualifiés, il n’est guère surprenant que moins de 20 pour cent des candidats aient réussi l’examen du baccalauréat en juin 1996 » (voir Jamil Salmi : « Equity and Quality in Private Education. The Haitian Paradox », World Bank, May 1998, p. 11). [Traduction : RBO]
Au creux de la tyrannie duvaliériste, la macoutisation de l’État, la mauvaise gestion et le financement anarchique du secteur de l’éducation ont contribué à l’émergence des écoles borlette qui fonctionnent sans autorisation et sans la moindre compétence des enseignants. On les appelle écoles borlette car les professeurs « marrons » qui s’y trouvent ont autant de chances d’apprendre quoi que ce soit aux élèves que ces derniers auraient gagné en jouant à la loterie de trois chiffres dénommée borlette. Ces fameuses écoles volent ainsi aux pauvres et aux classes moyennes l’argent dépensé, provenant souvent de la diaspora, pour offrir à leurs enfants le pain de l’instruction. En fait, les parents investissent plus de 61% dans le financement de l’éducation, les institutions internationales 16%, les ONG 16 % et les 7% qui restent sont assumés par l’État (voir encore Jamil Salmi : « Equity and Quality in Private Education. The Haitian Paradox », World Bank, May 1998, p. 16). Les écoles borlette qui siégeaient essentiellement en milieu rural au cours des années 60 ont émigré avec leurs clientèles en milieu urbain et continuent de fournir une éducation de mauvaise qualité. Au vu et au su de tous. Puisque ce sont pour l’essentiel des moun andeyò –des gens du dehors – qui fréquentent ces écoles, les élites ne s’en sont pas préoccupées. Comme l’a exposé le regretté Jean-Claude Bajeux, qui a dirigé avant son décès le Centre œcuménique des droits humains (CEDH), « nous sommes restés sourds au discours démocratique, nous avons failli dans l’obligation de mettre tous nos enfants à l’école, sans exception, et à tout prix » (Jean-Claude Bajeux, « Haïti : la refondation d’une nation », revue Rencontre, nos 24-25, Port-au-Prince, janvier 2012, p. 97).
Les écoles borlette ont essaimé et conduit à la création d’écoles-fantômes qui, comme leur nom l’indique, n’existent pas du tout mais qui permettent à leurs promoteurs d’être financés par l’État sans donner aucun service éducatif. En 2013, selon l’Unité de lutte contre la corruption (l’ULCC), 766 écoles-fantômes ont été créées par des fraudeurs pour s’approprier des fonds étrangers d’un montant de 116 millions de Gourdes, soit 2,6 millions de dollars au taux de change de 43 gourdes à l’époque pour un dollar américain (voir l’article « Haïti-Économie : lutte contre la fraude, 116 millions de Gourdes récupérées », Haïti libre, 12 mars 2013). Le scandale provoqué a forcé le gouvernement à récupérer ces fonds qui avaient été déposés à la Banque nationale de crédit (BNC). Mais les fraudeurs ont bénéficié de l’impunité. Dans le cadre de la globalisation sauvage, les financiers « marrons » continuent d’appuyer l’État qui, à travers les kleptocrates du PHTK, s’oppose violemment aux aspirations générales de la population. Le vieil adage qui dit que « Les financiers soutiennent l’État comme la corde soutient le pendu » se confirme une fois de plus.
Avec le soutien des financiers « marrons » déjà à la manœuvre durant la dictature de Papa Doc Duvalier, les « contrebandiers brasseurs d’affaires », notamment les « super ministres » jeanclaudistes, sont montés au créneau et, dans le domaine de l’éducation, ils se sont opposés au projet de réforme de l’éducation du ministre Bernard concernant le rôle et l’usage des deux langues de notre patrimoine linguistique historique dans l’enseignement (voir l’article de Jean-Claude Bajeux, « Haïti : la refondation d’une nation », revue Rencontre, nos 24-25, Port-au-Prince, janvier 2012, p. 97). Selon Jean-Claude Bajeux, les francophones ont appris à lire et écrire le créole en un tour de main tandis que les créolophones ont été privés de leur droit à l’acquisition du français langue seconde. Depuis lors, il s’est confirmé que la stratégie d’exclusion des masses populaires a été bien rodée et les résultats catastrophiques aux examens du baccalauréat des trente dernières années en témoignent. En ces temps de triomphe de l’intelligence artificielle et des progrès attestés de la didactique moderne, Haïti n’a vraiment pas besoin de financiers « marrons » et de professeurs « marrons » qui, au creux de la corruption du système éducatif national, contribuent au renforcement d’une École haïtienne de l’exclusion impactée par une avalanche de blocages sur mesure modélisés dans le but d’enseigner l’ignorance sous différentes formes.
Il faut prendre toute la mesure que les trois millions d’élèves en cours de scolarisation en Haïti ont droit à une École de qualité, inclusive et citoyenne, respectueuse des droits linguistiques de tous les locuteurs. Pilier et vivier de l’avenir du pays, l’éducation n’est pas une marchandise à vendre au plus offrant et en toute impunité. Elle doit cesser d’être la « station de pompage » des revenus illicites des « contrebandiers brasseurs d’affaires » nationaux et internationaux : l’éducation est un droit explicitement consigné à l’article 32 de la Constitution de 1987.