En ces temps d’émotions, Montesquieu nous met en garde: «il ne faut toucher aux lois que d’une main tremblante». Cette maxime est particulièrement appropriée sur la difficile question de la fin de vie, où l’on ne saurait légiférer sans prudence.
Auteur du récent rapport sur la fin de vie avec Jean Leonetti, Alain Claeys défendait en décembre dernier, dans les colonnes de L’Obs, «une sédation profonde et continue», permettant aux gens «de partir doucement et sans souffrance». Il a déclaré toutefois être fermement opposé au suicide assisté et à l’euthanasie, car selon lui, «à partir du moment où l’on lève un interdit, on ouvre la voie à de plus en plus de transgressions». Il suffit de constater l’escalade en Belgique et aux Pays-Bas pour s’en convaincre. L’universitaire néerlandais Theo Boer, hier partisan d’une euthanasie encadrée, met aujourd’hui en garde les autres pays: «ne faites pas notre erreur! Quand le génie est sorti de la bouteille, il est impossible de le faire revenir».
Pourtant, le souci d’Alain Claeys de ne pas lever «l’interdit» entre en contradiction avec sa propre proposition de loi, remise avec Jean Leonetti à François Hollande, le 12 décembre 2014. En effet, ce texte suggère dans son article 1 de créer un nouveau droit «à la fin de vie dans la dignité et l’apaisement». Un vœu légitime, qui met toutefois le législateur dans une posture délicate, tant la dignité et l’apaisement ne peuvent être réduits exclusivement au domaine médical et juridique.
En réalité, plutôt que de créer un droit à la fin de vie, le texte s’aventure sur la pente glissante d’un droit à la mort. L’article 3 de la proposition de loi précise que la sédation terminale ne peut être dispensée qu’accompagnée d’un arrêt de l’alimentation et l’hydratation du patient. Plutôt que de soulager la douleur du patient, on organise son décès. La condition principale, retenue pour invoquer ce nouveau droit à la mort est de ne pas «prolonger inutilement [la] vie» du patient. Vœu louable, encore une fois, mais qui tend à faire de l’utilité le critère ultime de la dignité humaine.
La sédation terminale est déjà possible et pratiquée, et ne constitue qu’une des multiples réponses à offrir à un patient en fin de vie. L’ériger en droit et en solution ultime, faisant fi de la complexité de chaque cas, prend le risque de la transformer en une euthanasie qui ne dit pas son nom. Il faut également noter que ce faux droit passe par l’instauration des directives anticipées contraignantes, qui consacrent la volonté individuelle du patient, au détriment de la liberté d’appréciation du médecin, obligé d’honorer le nouveau droit à la mort.
A l’heure où notre pays s’interroge profondément sur le vivre ensemble, il est inadmissible d’ouvrir la porte à un droit à la mort, qui ne relève aucunement du droit.
Bien loin d’être une ultime liberté, le choix de l’euthanasie consacre l’aliénation de la personne à sa douleur. La solution n’est certainement pas de détruire la vie pour supprimer la souffrance, mais plutôt de chercher des moyens d’apaiser les douleurs et, dans la mesure du raisonnable, protéger la vie.
Un chantier immense est ouvert pour améliorer la fin de vie. Le philosophe Damien Le Guay estime que, sur 550 000 décès, 150 000 personnes meurent mal en France. Légaliser l’euthanasie ne répondrait pas à cette situation, qui existe à cause de l’offre insuffisante et inégale des soins palliatifs sur le territoire. La responsabilité du politique est de privilégier une culture palliative, qui valorise le malade, et non la médecine.
En effet, l’enjeu est aujourd’hui moins de se focaliser sur la durée de la vie d’un patient plutôt que d’améliorer sa qualité. L’objectif est de promouvoir l’accompagnement des personnes, ainsi que la formation des médecins aux techniques de soulagement de la souffrance. Cela implique de poursuivre le développement des équipes de soins palliatifs, y compris mobiles, ainsi que de refuser l’idée que la technique suffit à tout régler. Lorsque la poursuite des traitements est vaine, il appartient aux médecins, en dialogue avec le patient, de respecter la proportionnalité des soins, et non de faire vivre le malade à tout prix.
La loi doit respecter l’esprit qui prévalait lors du vote parlementaire unanime de la loi Leonetti en 2005. Un soin ne doit pas être administré dans la volonté de tuer. La médecine doit respecter le malade, et accepter des limites à la toute-puissance de la technique. Le législateur doit garantir l’interdit fondateur pour toute société que constituerait un droit à la mort. Ces limites font partie de notre humanité, humble et fragile au soir de la vie, mais jamais dépréciée ou dépouillée de sa dignité intrinsèque.
Bruno Nestor Azerot, député de la Martinique
Véronique Besse, députée de la Vendée
Jérôme Bignon, sénateur de la Somme
Valérie Boyer, députée des Bouches-du-Rhône
Xavier Breton, député de l’Ain
Philippe Cochet, député du Rhône
Marie Christine Dalloz, députée du Jura
François de Mazieres, député des Yvelines
Louis-Jean de Nicolaÿ, sénateur de la Sarthe
Jean-Pierre Decool, député du Nord
Nicolas Dhuicq, député de l’Aube
Valérie Duby-Muller, députée de Haute Savoie
Jean-Christophe Fromantin, député des Hauts de Seine
Philippe Gosselin, député de la Manche
Patrick Hetzel, député du Bas-Rhin
Marc Le Fur, député des Côtes-d’Armor
Gilles Lurton, député de l’Ille-et-Vilaine
Hervé Mariton, député de la Drôme
Yannick Moreau, député de la Vendée
Jean-Frédéric Poisson, député des Yvelines
Frédéric Reiss, député du Bas-Rhin
Bruno Retailleau, sénateur de la Vendée
Jacques Lamblin, député de la Meurthe-et-Moselle