— Par Selim Lander —
Belle moisson de films d’Extrême-Orient au mois de mars dans le cadre du partenariat entre Tropiques-Atrium et les cinémas Madiana.
Deux films de cape et d’épée heureusement atypiques : A Touch of Zen de King Hu (Hong-Kong, 1971) en noir et blanc, qui commence bien en racontant la vie bien tranquille d’un écrivain et peintre public, avant de sombrer dans les batailles invraisemblables où les méchants sont sûrs de perdre et les bons de gagner, quel que soit leurs nombres respectifs. Le second, The Assassin, de Hou Hsiao-Hsien (Taïwan) dont le titre pouvait faire craindre le pire mais qui se révèle une merveille de préciosité – la beauté presqu’écrasante des paysages, la somptuosité des costumes et des coiffures, le raffinement des matières et des manières, les dialogues réduits à presque rien, les inévitables bagarres transformées en quelques duels stylisés entre des personnages complices qui se défient sans faire couler le sang.
Quatre films japonais : Une femme dans la tourmente de Mikio Naruse (1964), en noir et blanc : l’histoire d’une jeune veuve de guerre qui s’est dévouée pour remonter la boutique de la belle-famille et la faire prospérer, élever son jeune beau-frère. Lorsque ce dernier déclare son amour pour elle, elle refuse de l’entendre, bien qu’elle l’aime, elle aussi, en secret. Finira-t-elle par accepter cet amour lorsque le jeune homme sera poussé par le désespoir à un quasi-suicide ? Le film reste sur cette interrogation. Il offre au spectateur occidental un aperçu intéressant sur le Japon des années soixante au moment où l’apparition des premiers supermarchés vient perturber la tranquille vie des boutiquiers. Miss Hokusai de Keiichi Hara traite d’un thème pas si éloigné puisque le personnage éponyme, la fille du peintre de la « Vague » se dévoue beaucoup pour son père comme pour sa petite sœur aveugle. C’est un dessin animé traité d’une manière volontairement simplifiée, les personnages se déplacent de manière saccadée, les visages sont le plus souvent figés. Cet esthétisme primitiviste n’est pas dépourvu d’efficacité. Le film intéresse par ce qu’il nous laisse entrevoir du Japon du XIXe siècle et par la délicatesse des sentiments qui animent les personnages. Délice de Tokyo de Naomi Kawase, contrairement à ce que le titre pourrait laisser présager, est empreint de bout en bout d’une pudeur merveilleuse. Ce conte moral qui met en scène trois protagonistes – un petit artisan pâtissier, une vieille dame qui porte sur ses mains les séquelles de la lèpre, et une lycéenne – nous conduit sans se presser vers son dénouement à travers quelques événements très ordinaires (une fois admis qu’il y a encore d’aujourd’hui au Japon quelques lépreux âgés). Un « délice » est en réalité le nom de la galette fourrée aux haricots rouges confits confectionnée par le pâtissier. On ignore ce qu’il en est du titre japonais mais le choix des distributeurs français est particulièrement heureux, le film étant en effet délicieux. Les amoureux des cerisiers en fleurs sont comblés de même que ceux qui sont sensibles à la qualité de la photo.
Vers l’autre rive de Kiyosi Kurosawa mérite une mention particulière et d’abord pour la qualité du scénario qui nous plonge dans l’impossible avec une adresse telle que l’histoire ne nous choque jamais par son invraisemblance. Il n’est pas facile, on s’en doute, de rendre sinon crédible, du moins acceptable par un public rassis une histoire de morts-vivants ! C’est pourtant le cas ici : une jeune veuve pleure son mari disparu sans laisser la moindre indication ; au bout de trois ans, il revient et lui annonce qu’il est mort. Il l’invite à voyager avec lui pour rendre visite aux personnes qui l’ont hébergé au cours du périple qui l’a ramené jusqu’à elle. Il a en effet une mission à accomplir : aider à « partir » ceux qui comme lui sont encore sur terre à l’état de morts-vivants. À la fin, ce sera à son épouse de l’aider lui-même à « partir ». Ainsi résumée, l’histoire paraîtra sans doute ridicule à la plupart des lecteurs de ce billet. Il faut avoir vu le film pour se convaincre qu’on peut la raconter sans sombrer dans aucune outrance. Comme Délice de Tokyo, ce film frappe au contraire par sa délicatesse. Les sentiments sont suggérés, les personnages s’expriment peu, le réalisateur préférant laisser parler les images, les visages. Il aime montrer les rues en enfilade, les wagons de chemin de fer, les autocars un peu anciens, les rizières, les montagnes, le petit peuple des villes et des campagnes au travail, bref un Japon rêvé, traditionnel, où les « esprits » sont encore présents, en accord avec l’argument du film. La photo, là encore, est parfaite, avec des images apparemment gratuites, juste pour le plaisir de l’œil, comme, par exemple, celle composée avec deux fenêtre en enfilade, à l’intérieur d’une maison ancienne, la lumière filtrant à travers le papier : un Mondrian…