— par Janine Bailly —
Parce que je suis « fan » de son travail et de ses propositions artistiques, que je la sais en attente d’un — comme l’on dit — « heureux événement », je m’interrogeais : Annabel serait-elle là, présente aux côtés d’Henri Tauliaut non pas seulement en tant qu’organisatrice de la deuxième édition du Fiap, mais aussi en tant que performeuse ? Réponse me fut heureusement donnée, ce lundi 11 novembre, au cœur d’une ville que la célébration d’une fin de guerre lointaine avait désertifiée, dans une rue Lamartine aux rideaux de fer obstinément baissés. Seule la Station culturelle de la Coursive, au numéro 118, donnait en ce début d’après-midi signe de vie, et loin de lui ôter quelque force, le lieu paisible s’est fait cadre intime, accueillant à la performance inédite et si personnelle d’Annabel Guérédrat.
Il y a d’abord son apparition, devant laquelle nous nous écartons, femme statue épanouie dans sa future maternité, l’éclat de sa peau brune à peine contenue par la fine lingerie — peau pleine qui illumine l’espace ; il y la rondeur douce et fière de son ventre que ne masque nul vêtement incongru ; la concentration un peu inquiète que laisse transparaître son visage ; et l’auréole de sa chevelure dénouée, qui coule abondante sur son visage, sombre source à bientôt discipliner.
Il y a le cérémoniel de l’installation, l’espace de la représentation à définir, doublement figuré, d’abord par un premier trait de terre claire à rejoindre au sol les quatre rampes de spots lumineux, ensuite par une coulée de parfum vert. il y a les bougies au devant, à allumer, les flacons huile et miel à poser, le petit miroir où parfois se regarder avec discrétion, les roses jaunes que l’on sait artificielles et qui donc jamais ne se faneront, et la calebasse au contenu pour l’instant mystérieux. Dans la petite salle le silence se fait, dense, et presque recueilli.
Sur ce carré de tissu doré qu’Annabel a déployé, au centre de l’espace de jeu, en gestes prudents elle s’installe, s’assied, et d’un peigne à longues dents démêle avec des gestes que je dirais presque de colère contenue son épaisse chevelure ; la noue en deux macarons de part et d’autre de son crâne. L’ombre qui habille sa lèvre, l’éclat noir et dense de ses yeux, la coiffure ébauchée, autant de prémices qui déjà font surgir en moi la réminiscence d’une autre figure… Et c’est Frida Kahlo qui s’impose, même détermination, même beauté, même aspiration à la maternité.
La voici à présent qui oint son corps d’huile et de miel, en gestes amples et doux, qui de la calebasse tire des poignées de particules pailletées et s’en enduit, et naturellement elles adhèrent aux liquides, lui tissant une seconde peau de lumière. Relevée, elle fait pleuvoir sur elle en traits scintillants ce qui restait dans la calebasse. S’agenouille, lentement saisit les roses jaunes qu’elle pique dans ses cheveux, en couronne, et l’illusion alors se précise, car sur la toile au sol s’est dessiné en trois dimensions comme un autoportrait de la belle mexicaine, artiste engagée qui, à son époque, déjoua tous les tabous d’une société machiste, icône qui fit «de la cause des femmes son cheval de bataille… et de sa vie une œuvre passionnée» (commentaires, dans la revue Deuxième Page, au livre : Frida Kahlo par Frida Kahlo : Lettres 1922-1954, aux éditions Points).
Au cours de la représentation, le silence s’est effacé devant la composition musicale de Franck Martin, musiques, sons, voix enregistrée d’Annabel qui chante et dit en espagnol une prière pour la fécondité, et obsédant on entendra ce qui pourrait bien être le battement continu d’un cœur.
Intérieur, extérieur, voici qu’Annabel sort du cadre, s’ouvre entre nous un passage, quitte le lieu clos sans revêtir le vêtement initialement prévu, qu’elle gardera à la main comme une longue traîne. Par la rue Lamartine lentement regagne l’hôtel Impératrice, et nous tous subjugués, sans que jamais la question de ce qu’il nous faut faire n’ait été posée, nous la suivons, marchant à son rythme calme indifférent aux façades aveugles, par la ville presque vide. Etrange procession, qui magnifie et la femme et le corps et l’attente d’un événement à venir.
Fort-de-France, le 12 novembre 2019
Photo Paul Chéneau
Additif du mercredi 13 novembre :
Ainsi que me le font remarquer, à juste titre, des personnes de mon entourage qui ont assisté à la performance, un aspect important m’a échappé, Annabel faisant aussi référence à la Santeria cubaine, et sans doute à la divinité Oshun, ce qui est audible dans les texte et chanson en espagnol de la composition musicale. Oshun, Orisha des rivières, symbole de beauté, que l’on représente par le jaune, et qui entretient un lien fort avec le monde spirituel. Je fais ici amende honorable !