— Par Yves-Léopold Monthieux —
Après la tragédie de Chalvet, la complainte de Kolo Barst Février 74 rejoint en même temps qu’elle renforce le sentiment de gravité exprimé par les Martiniquais. Mais son texte est trop souvent reçu comme la relation historique de faits avérés, même s’il s’inspire de l’essentiel de ces faits. Il ne faudrait donc pas souligner outre mesure le caractère romanesque de la chanson, même si le caractère de l’œuvre et la liberté artistique de l’auteur peuvent autoriser un écart entre la matérialité des faits et leur interprétation musicale. C’est le cas pour l’extrait suivant, repris dans un récent article1 :
« Vérité pété tèt kolon ki préféré rété séré / épi olié yo négosié, yo criyé polisié / Polisié ki fèt épi nèg, katjilé avan alé… (Face à cela les colons ont préféré se cacher / Et loin de négocier, ils ont fait appel aux policiers / Les policiers, frères des Nègres, ont hésité.) « Alo pou ranplasé yo yo vwéyé mitrayèt / Mitrayèt ki pa ni tjè, aksèpté mision-a » (Ils ont alors été remplacés par des gendarmes / Les gendarmes, sans cœur, ont accepté la mission).
Il est de bon écho historique de préciser que la police n’a été à aucun moment présente lors des événements de Chalvet, simplement parce qu’elle ne pouvait pas l’être. En effet, depuis la départementalisation, en 1946, la compétence entre la police nationale et la gendarmerie a été strictement définie : la police dans les agglomérations urbaines de Fort-de-France et du Lamentin, la gendarmerie dans tout le reste du territoire. Ce n’est que récemment que la compétence a été étendue sur la totalité des surfaces des deux villes. De sorte que la région où se sont déroulés les évènements de Février 1974 n’était pas du ressort territorial de la police. En conséquence, toutes les opérations de Chalvet étaient naturellement confiées à la gendarmerie. Il sera très prochainement republié un article paru le 23 juin 1982 dans France-Antilles à l’occasion de la première « Journée portes ouvertes » de la Police nationale, en Martinique. Il a trait à l’évolution de la Police nationale depuis la loi de 1946.
Certes, les policiers martiniquais n’ont pu qu’apprécier le clin d’œil que leur a adressé Kolo Barst dans sa chanson-culte, les inscrivant dans une posture de connivence – « Frères des nègres – contraire à celle allouée aux « gendarmes sans cœur ». La présente intervention n’a pas pour objectif d’opposer les forces de l’ordre ni de diminuer la gravité des faits. Cependant la bonne manière de l’artiste à l’égard des policiers ne doit pas être érigée en fait historique, sous peine de l’intégrer dans ce que j’appelle « l’histoire à côté de l’histoire ». La mélancolie de Kolo Barst – « pou ranplasé yo yo vwéyé mitrayèt« – rappelle le romantisme de Georges Gratiant : « Ils ont demandé du pain on leur a donné du plomb ». La déclamation du maire du Lamentin actait la fin de la dernière grande grève de la canne en Martinique, tandis que Kolo Barst allait graver dans la chanson le plus important conflit de la banane du pays.
Fort-de-France, le 14 février 2024
Yves-Léopold Monthieux