— Par Clément Garcia —
Avec son premier album, la Symphonie des éclairs, Zaho de Sagazan a frappé fort, gagnant un succès d’estime et public qui l’a propulsée parmi les révélations de la scène française. La chanteuse au timbre magnétique se produira en septembre à la Fête de l’Humanité.
Marier une chanson d’inspiration patrimoniale aux sonorités électro n’avait rien d’évident et Zaho de Sagazan s’y est risquée avec panache. Dans son premier opus en teintes métalliques et océanes, la Symphonie des éclairs, la Nazairienne de 23 ans témoigne d’une grande maturité, sonde avec malice et délice le large panel des sentiments amoureux et affirme une liberté frondeuse. Un album que l’on chante autant que l’on danse qu’elle proposera au public de la Fête de l’Humanité, sur la Scène Zebrock Nina Simone, le dimanche 17 septembre. Entretien.
Avant même sa sortie, votre album était très attendu. Et ce n’est que le premier ! Cette attente n’a-t-elle pas suscité une pression trop grande ?
J’avais surtout peur de ne pas en être fière. Maintenant que j’en suis contente, qu’il me ressemble et que je sais que je n’ai pas fait de concession, ça va beaucoup mieux. Mais il y a eu des moments d’angoisse, ça c’est sûr ! Notamment que mes followers préfèrent mes vidéos Instagram à mon album. Comme s’ils faisaient partie de ma famille, j’avais peur de les décevoir.
Ce succès est le fruit d’un bouche-à-oreille que vous devez surtout à la scène…
On n’a pas fait un buzz spécial sur une chanson. Je suis très contente que ça passe par la scène car c’est ce que je préfère. Et la tournée m’a permis de rencontrer plein de gens.
Ces concerts ont-ils redéfini la conception de l’album ?
Complètement. J’ai très vite compris, en faisant mes premières scènes, que j’aimais faire danser les gens. Et évidemment, tout change quand tu te rends compte que tu vas faire vivre l’album sur scène. Si tu t’y ennuies, c’est que ça ne va pas. Malgré tout, l’album est assez « chansons » mais, oui, j’avais envie de partir en vrille. D’autant que l’expérience de la scène a montré qu’il est possible d’écouter un piano-voix et une musique de club. Et ça, j’ai mis du temps à le prouver. Depuis que j’ai 15 ans je le sais, mais quand j’ai dit à mes producteurs, « je veux faire du Barbara et du Kraftwerk, du piano-voix et être à Berlin à 3 heures du matin », ils étaient persuadés que ça ne marcherait pas. On a beaucoup travaillé. Il ne faut se mettre aucune limite, ne faire aucune concession.
Les réseaux sociaux, notamment Instagram, ont joué un rôle important dans votre démarche. Pouvez-vous nous l’expliquer ?
J’ai commencé à poster des vidéos sur Instagram, il y a très longtemps. On peut voir mes premières vidéos, j’ai tout laissé. Je faisais ça pour mes potes, puis de plus en plus de gens ont commencé à me suivre. Au début, on ne pouvait faire que des vidéos de 15 secondes. Du coup, je devais raconter une histoire très courte. C’est comme ça que j’ai inventé des refrains que j’ai repris par la suite. J’ai autant appris à être concise comme ça qu’en écoutant Barbara. La Symphonie des éclairs, par exemple, ma plus belle chanson, selon moi, je l’ai écrite en sortant de l’avion. Je remarque qu’au-dessus des nuages, il fait toujours beau. Mais quand on descend dans les nuages, je trouve ça beaucoup plus beau. Au fond, c’est un refrain météorologique où je dis que je préfère la pluie au soleil… Je n’allais quand même pas faire une chanson là-dessus ! Il fallait donc que je trouve quelque chose d’autre, avec cette métaphore de la tempête. Au départ, j’avais juste ce refrain à poser, qui ne voulait pas dire grand-chose et qui n’évoquait pas cette sursensibilité dont parle finalement la chanson.
On va quand même évoquer cette grande question qui traverse l’album, l’amour !
Tout le monde me dit ça ! (rires)
Vous l’auscultez sous toutes ses facettes…
Je trouve que l’album parle surtout de confiance en soi. Mais oui, il y a notamment quatre chansons qui s’enchaînent et qui évoquent la découverte des garçons, l’insouciance du début, le manque de confiance en soi, puis le fait d’être à l’aise quand il ne se passe rien puis qu’on s’invente des histoires. Je ne pensais pas que l’album parlerait autant d’amour. Pour quelqu’un qui a été autant célibataire… Mais l’amour est si présent dans la société que j’ai aussi eu envie de le comprendre.
Vous évoquez également la manière dont les femmes veulent se réapproprier l’amour, la sexualité, lutter contre l’emprise… Est-ce que l’actualité du féminisme a influencé votre démarche ?
Ah oui, complètement. Quand j’étais adolescente et que j’ai arrêté la danse puis commencé la musique, j’ai pris 15 kg et, tout à coup, j’ai détesté mon corps. Je pense que cette confiance en soi s’est perdue à travers le regard des garçons et cette impression d’être à peu près l’inverse de quelque chose de féminin. J’étais la bonne pote qu’on ne désirerait pas. Je me sens très féminine maintenant, mais c’est une autre forme de féminité que celle qu’on nous impose et dont on s’éloigne aujourd’hui. Il y a plein de formes différentes de féminité, et heureusement ! Mais je n’ai pas envie de ne parler qu’aux femmes, aux garçons aussi et aux humains en général.
On sent dans votre album ce besoin d’aller vers des zones orageuses, tempétueuses. D’où cela vous vient-il ?
C’est une bonne question. Ça vient sûrement d’une fille très sensible comme je l’explique dans la chanson titre. Mais il y a des choses qu’on n’explique pas. J’ai toujours aimé les chansons tristes et je trouve qu’il y a une profondeur très intéressante dans les éclairs ; un côté fascinant, hyperpuissant, qu’on ne contrôle pas du tout, qui peut faire très mal, mais, en même temps, c’est très beau, ça peut faire beaucoup de bruit, ça prend au corps. C’est un peu ce qu’on appelle « les mauvaises émotions ». J’ai beaucoup de mélancolie, j’aime les films de Xavier Dolan et les trucs un peu compliqués… Et je viens de Saint-Nazaire où c’est bétonné, bleu et gris. Tout le monde dit que c’est une ville morte. Moi, je la trouve très poétique.
Ce substrat nazairien est-il encore présent ?
Oui, je fais partie des Nazairiennes qui aiment beaucoup leur ville. Je lui porte beaucoup d’importance, sûrement, aussi, parce que mon métier est de créer et l’endroit d’où l’on vient est très important. Je considère que j’ai eu une chance absolue de vivre dans une ville, certes avec pas beaucoup de monde, mais avec la plage, une énorme base sous-marine où on pouvait danser comme des fous. J’y vois une grande liberté, avec de grands espaces. Saint-Nazaire est aussi une ville hypersombre, qui a été détruite, avec cette base sous-marine qui renvoie à un cauchemar mais où on a su trouver du beau, un endroit où on faisait la guerre et aujourd’hui de la musique. Je suis autant dans la poésie que dans le béton dur.
En concert, vous parlez longuement de vous avec le public. Il y a un côté à la fois pudique et extraverti. Pourquoi ?
Parce que c’est assez dense comme concert. J’ai l’impression que si je ne parlais pas entre les morceaux, ce serait impossible à digérer. Et quand beaucoup de gens aiment le côté mystique de l’artiste, je trouve ça inintéressant. J’ai envie de montrer aux gens que je suis humaine, que je parle, que je bégaie, que je ne sais pas forcément raconter mon histoire. J’aime l’idée que les gens puissent à la fois se prendre une claque et voir que je suis humaine. Et c’est un moment qui m’aide à casser le mur qu’il y a entre le public et la scène, qui montre que mes concerts sont surtout des moments de partage.
Source : L’humanite.fr
Publié le
Vendredi 21 juillet 2023