Petite sélection des spectacles vus à Avignon, entre légèreté et gravité
– Par Janine Bailly –
Leurs enfants après eux, d’après Nicolas Mathieu
Adaptée du roman éponyme de Nicolas Mathieu, dont on se souviendra qu’il fut lauréat du Prix Goncourt en 2018, la pièce est mise en scène par Hugo Roux, qui en confie l’interprétation aux jeunes acteurs de sa compagnie Demain dès l’Aube, ex-élèves de l’ENSATT (L’École Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre).
De cet épais roman, écrit comme un portrait de la Lorraine, qui dans les années quatre-vingt-dix regardait mourir ses derniers hauts fourneaux éteints, de cette région où, reprenant les mots de Bernard Lavilliers, on parlerait de “cheminées muettes, de portails verrouillés, de vieux châteaux forts bouffés par les ronces, le gel et la mort”, Hugo Roux retient en premier ce qui concerne une jeunesse en recherche d’avenir, en mal d’espoir, en quête d’elle-même.
Il y aura ceux qui partent, et ceux qui resteront, ceux qui iront à la ville y poursuivre des études, et les autres. Mais dans ces étés où l’adulte cherche à percer sous l’adolescent, dans la touffeur des jours étirés, dans les fêtes nocturnes comme dans la langueur d’après-midis torrides à soigner son ennui aux rives plus fraîches et plus intimes d’un lac, chacune et chacun cherche qui aimer, d’amour ou d’amitié. Chacune et chacun découvre une sexualité naissante, déjà exigeante et qui parfois génère une violence exutoire. Tous ont des rêves, des réussites et des déboires. Et si la critique, politique et sociale, présente dans le roman est ici moins évidente, il nous sera cependant parlé du chômage qui sévit, de parents en déshérence, de familles en souffrance, et en toile de fond, d’une vallée aujourd’hui abandonnée, autrefois riche de ses industries sidérurgiques.
La pièce est menée tambour battant par des jeunes gens beaux et passionnés, rompus à incarner avec vélocité des figures différentes. Le jeu alterne entre scènes dialoguées et récit pris en charge par l’un ou l’autre des comédiens, conté au public en face à face, le passage de l’une à l’autre façon s’opérant fort naturellement.
À noter qu’une première adaptation a été faite, en 2021, par Simon Delétang, directeur du Théâtre du Peuple de Bussang, qui avait décidé de confier la distribution aux jeunes professionnels issus de la 80e promotion de l’École Nationale Supérieure des Arts et Techniques, dont il est le parrain.
Fin de partie, de Samuel Beckett.
Si je ne suis pas une inconditionnelle de l’écrivain irlandais, si je reste perplexe et un peu mal à l’aise à l’écoute de ses textes, retrouver le duo Jacques Osinski, metteur en scène, et Denis Lavant acteur, dont la représentation de La dernière bande, en ce même festival, m’avait laissée autrefois époustouflée, les retrouver donc en 2022 fut un vrai régal de théâtre.
Entre images de la réalité la plus concrète et réflexions philosophiques, cruelles mais judicieuses, sur la vie, sur la fin de vie, sur le temps qui passe inexorable et la mort qui vient, entre rires et attention sérieuse des spectateurs, la pièce me laissera un goût amer… mais une admiration sans bornes pour les deux acteurs, Frédéric Leidgens indéchiffrable et cruel dans le rôle du maître, Hamm, « aveugle, paraplégique et volubile », Denis Lavant incarnant Clov, son fils adoptif peut-être, et qui lui sert en tout cas de domestique. Qui est son regard sur les choses, pour lui qui n’y voit plus, un regard naïf, un peu obtus. Qui est seul à pouvoir se déplacer, et c’est un bonheur de regarder l’acteur transporter l’échelle, y grimper habilement en dépit d’un boitement simulé, pour observer et décrire par deux fenêtres le monde… la montagne ou la mer ?
L’étrangeté proche de l’absurde cher à Beckett n’est pas absente, Peter Bonke et Claudine Delvaux enfermés dans deux tonneaux de sable – tonneaux posés voisins en fond de scène – jouant le rôle des vieux parents de Hamm, censés avoir perdu leurs jambes dans un accident de tandem, et traités comme s’ils étaient devenus les enfants de leur propre fils ! Un enfermement qui n’est pas sans évoquer celui, dans une dune, un mamelon où elle s’enlise, de Winnie dans Oh les beaux jours.
Une pièce essentielle de Beckett, entre humour et pessimisme, une belle et difficile performance d’acteurs à reconnaître.
Avignon, le 31 juillet 2022
Photos Paul Chéneau