— Par Pierre Pinalie —
C’est une profonde émotion que d’entrer dans la très belle et très lumineuse Galerie « Arts Pluriels », et d’y serpenter entre les saisissantes pièces réalisées par Kanel Brosi et Brigitte Lamure. Et c’est vrai qu’il est surprenant d’admirer, dans une permanente tension érotique, la ronde quasiment ininterrompue des formes joliment dessinées et des chairs élégamment façonnées des corps féminins, par deux femmes artistes. Dans les bois et les couleurs, à travers les protubérances et les cavités, c’est effectivement la femme qui est chantée, représentée et encensée par les mains magiques des deux sculptrices qui ont su, en récupérant de belles matières nobles comme le bois et en y ajoutant des pigments, nous offrir des symboles de beauté dans un émouvant ballet de statuettes, qui semblent danser dans le brun et l’amarante, dans le noir et dans l’incarnat.
Sources de Vie
Qu’elles soient dressées ou allongées, tendues ou offertes, les créatures qui se présentent à nos yeux comme elles tournoient dans nos phantasmes, nous offrent toutes les courbes enchanteresses dans les positions les plus voluptueusement variées. Et comme si elles explosaient dans une salve amoureuse, d’opulentes protubérances, sphères dilatées gorgées de bien-être, se présentent impudiquement dans le volume charnel de leurs rondeurs libérées, en décorant et en honorant les bustes qui les portent. Partout, l’amour est embusqué dans les fossettes et dans les plis, dans la profusion des mamelons gonflés et des anfractuosités mythiques. Car toute la femme est dans ces bois et dans ces alliages de matériaux, comme si l’arbre et l’argile nous donnaient à connaître les mystères de l’amour.
Il ne faudrait pas non plus omettre les superbes fesses et les profils qui vont parfois jusqu’à indiquer la grossesse, fondamental accompagnement du corps féminin, et rappel imparable de la compagne de l’homme, et qui est aussi son avenir. En effet, la dureté des pointes agressives sur des sommets mammaires n’est pas que l’axe du désir masculin, car il serait regrettable de ne pas souligner qu’il s’agit, d’aussi loin que vienne le genre humain, de la source de vie pour l’enfant qui naît. Et à ce propos, peut-être pourrait-on respectueusement discuter la manière dont a été nommée l’exposition. En effet, « ex-nihilo » nous fait remonter loin dans le temps, en amont de la mère nourricière, c’est-à-dire jusqu’à la mystérieuse naissance du monde, et pour certains jusqu’à une intervention céleste.
L’avenir de l’homme
Cependant, le sous-titre « Le hasard apprivoisé » est une fort perspicace appellation pour les inexplicables mystères, car depuis toujours, l’homme s’est arrangé pour expliquer les obscurs secrets, en inventant une myriade de divinités et de rites. Mais à l’image de ceux qui ont inventé une vierge pour donner naissance à leur messie, il est évident que sans la femme, la vie ne serait pas. Aussi est-ce pourquoi les tétons érigés, les « tété doubout » et les nichons pointés restent et demeurent, durent et perdurent, et continueront « in secula seculorum » d’entretenir la vie. Et le côté grec antique de certaines œuvres, au même titre que les globes noirs des mamelons gonflés, tout cela indique l’éternité et l’universalité de la chose, tant sur le plan symbolique que sur le plan esthétique.
Merci, donc, aux deux artistes, conscientes sans doute du rôle de leur sexe, fières éventuellement de leur féminité, persuadées à n’en point douter de la profonde importance de la chose, et dotées l’une comme l’autre de remarquables qualités. Et dans la dangereuse et stagnante société d’aujourd’hui, n’ont-elles pas dans leurs veines différents sangs qui coulent ? C’est à ce titre que le message transmis par leur exposition outrepasse l’art en rejoignant la philosophie. Toutes deux sont les chantres de la vie, de la beauté et de l’espoir, et lorsqu’on découvre, dans la galerie, des totems, véritables mâts qui portent des seins et non des drapeaux, on ne peut que sourire avec les yeux mouillés par l’attendrissement. Merci, et bravo, à Kanel et à Brigitte, militantes de l’intelligence et de la beauté, et conscientes avocates de la femme, de son charme et de son rôle.
Pierre PINALIE