— Par Roland Sabra —
Il en aura fallu du travail et de la passion à Marie Alba pour écrire et mettre et scène la lecture théâtralisée de « Femmes combattantes, Femmes influentes » présentée au public de Fort-de-France ce samedi 8 février 2020 dans l’écrin bleuté du Théâtre Aimé Césaire ( T.A.C.). C’est d’abord à un travail d’historiographe de l’histoire des femmes que s’est attelée l’autrice ( et non pas auteure, dont la prononciation évacue le féminin!). Quels rapports aux hommes, à la famille, à la société et dans leur existence propre en tant qu’individu ? Fallait-il se limiter à mettre en avant la spécificité du groupe social féminin ou pencher du coté de l’histoire du genre et par ce choix faire valoir les relations sociales entre les sexes ? Et puis ici, aux Antilles, terres d’esclavage, terres d’ un traumatisme unique en sa forme, sa violence et sa durée, et qui perdure et se transmet, qu’en est-il de la place des femmes dans le combat abolitionniste ? La dimension féministe bien réelle de ces luttes n’est-elle pas pour autant occultée par le combat d’émancipation de tout un peuple, tout genre confondu ?
Marie Alba en choisissant pour complices, cinq femmes et un homme et en ouvrant avec Olympe de Gouges prend clairement position en faveur d’un dépassement dialectique de la contradiction comme on eût dit en d’autres temps! Pionnière du féminisme français, la femme de lettre et femme politique est non seulement la rédactrice de la célèbre Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, mais aussi de de nombreux écrits en faveur de l’abolition de l’esclavage des Noirs. « La femme à le droit de monter à l’échafaud ; elle doit avoir le droit de monter à la tribune.
En conséquence, le sexe supérieur en beauté comme en courage dans les souffrances maternelles, reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les Droits suivants de la femme et de la citoyenne.
Article premier.
La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. »
La Mulâtresse Solitude, Lumina Sophie, et Harriet Tubman ( « Si j’avais su convaincre plus d’esclaves qu’ils en étaient, j’en aurai libéré des milliers d’autres. »), moins connue du grand public que ses deux consœurs antillaises trouvaient leur place qui de ce fait participait à l’inscription de leurs luttes dans une dimension plus universaliste.
Autre choix tout à fait intéressant celui de Voltarine de Cleyre, présentée comme anarchiste à la fin du XIX ème siècle et dont il serait plus exacte de dire qu’elle s’inscrivait dans le mouvement ouvrier anarcho-syndicaliste, qui tirait sa force et ses prétentions politiques à organiser la totalité de la société du réel pouvoir qu’avait le travailleur sur la maîtrise de son ouvrage. C’est ce pouvoir que Taylor avec l’OST n’aura de cesse de combattre et de détruire. L’anarcho-syndicalisme, relativement puissant à cette époque fût d’abord noyé dans le sang le 1er et le 4 mai 1886 à Chicago lors du massacre de Haymarket Square, puis comme tout mouvement social dangereux pour l’ordre bourgeois, victime d’une criminalisation dont l’apogée fût l’exécution en 1920 des martyrs Sacco et Vanzetti. Voltarine de Cleyre avec sa fougue était la bienvenue.
Le choix de Benoîte Groult ( Quand on voit comment des hommes ont traité d’autres hommes, comment s’étonner de la façon dont ils ont traité les femmes?) pour clore au XX ème siècle cette série de témoignages est plus discutable. D’autres figures militantes du féminisme s’imposaient. Par ailleurs l’ensemble des dires restitués étaient marqués d’une dimension biographique, lieu de naissance, enfance, adolescence, certes intéressante mais secondaire par rapport aux actes militants dont ces vies étaient porteuses.
Enfin fallait-il donner pour clore le spectacle la parole à un homme, fusse-t-il Thomas Sankara, qui, dans un discours tribunicien dans sa facture, ne faisait que reprendre en l’actualisant la thèse d’Engels développée dans L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État. Même si ce n’est pas ce que souhaitait Marie Alba, il y avait dans cette prestation comme l’impression que le dernier mot appartenait à un homme, féministe certes, en ses mots, mais homme quoi qu’il en soit.
La forme du spectacle balance entre meeting politique et théâtre. Une voix off masculine joue les exhausteurs et vient souligner ou conclure le propos. Était-ce nécessaire ? Comme tout travail en cours d’élaboration permanent ( work in progress) les prestations sont inégales, avec les petits défauts inévitables du comédien amateur, qui accentue la première syllabe de chaque mot, qui répète la même gestuelle selon la règle des trois fois, pour des propos différents, etc.
Il n’en reste pas moins que le travail présenté est intéressant en ce qu’il restitue des luttes d’émancipation et de libération des femmes et ne serait-ce qu’à ce titre il mérite, une fois revisité, peut-être par un regard extérieur, une large diffusion, notamment auprès des publics scolaires.
Fort-de-France, le 09/02/2020
R.S.
Une exposition des toiles réalisées par Hélène se tiendra à La Guinguette de Saint-Pierre, les 6 et 7 mars, dans le cadre des Journées des droits des Femmes. Une autre lecture théâtralisée de Femmes Combattantes, Femmes Influentes aura lieu à ces dates.
Texte et mise en scène Marie Alba
avec Marie Alba, Eugénie Destin, Hélène Jacob, Philippe Mehn, Sandrine Zédame, Chantal Nottrelet, Lydia Rousseau
Affiche Hélène Jacob et Jérôme Sainte-Luce
Technique Rachid Arab