— Par Marie Barbier —
La libération de la parole des femmes qui s’opère actuellement sur les réseaux sociaux pour dénoncer les violences sexuelles est concomitante avec le renouveau d’un mouvement qui apparaît plus fort que jamais.
Elles « osent le clito », « balancent leur porc » et « payent leur shneck ». Comme les mots d’ordre de ces campagnes récentes, les féministes d’aujourd’hui ont le vent en poupe. Elles dénoncent les harcèlements sexuels, le tabou des règles, l’emprise des médecins sur leur corps ou la langue française patriarcale avec une audience que leur envieraient leurs ancêtres suffragettes. Cette libération de la parole autour des violences ne sort pas de nulle part. Elle s’ancre dans un mouvement profond qui secoue la France depuis plusieurs années. Nouvelle vague, renouveau, troisième vague ou nouvelle génération, si les mots utilisés font parfois débat, tout le monde s’accorde à dire que le mouvement féministe est aujourd’hui plus fort que jamais. « “Nouvelles féministes”, ça me fait penser à ces pubs qui vantent la nouvelle composition d’un produit, alors que c’est exactement la même chose qu’avant ! » s’amuse la journaliste Élise Thiébaut, 55 ans, autrice de Ceci est mon sang (1).
Le mouvement est aussi protéiforme que massif : des afro-féministes aux intersectionnelles, en passant par les Femen, le collectif La Barbe, les mères féministes ou les queer. « On vit un pic de mobilisation avec un fort intérêt chez les jeunes », confirme l’historienne Christine Bard, qui vient de publier un Dictionnaire des féministes (PUF, 32 euros). « Pendant longtemps, quand on se croisait entre féministes, on se disait : “Ah, on fait partie de la même secte !’’, se souvient Marie-Hélène Lahaye, 44 ans, bloggeuse contre les violences obstrétricales (2). Aujourd’hui, je suis frappée par le nombre de jeunes femmes qui s’affirment féministes sur Twitter. » La reine de la pop Beyoncé a beaucoup fait pour la cause. Le 24 août 2014, Queen B affiche un immense « Feminist » derrière elle aux MTV Video Music Awards. « L’impact de fascination sur les jeunes générations a été extrêmement puissant, salue Élise Thiébaut. Elle a apporté un sentiment de fierté et rendu la cause sexy. » Signe que le féminisme n’a jamais été aussi tendance, il est devenu un objet de consommation. La maison Dior a récupéré la phrase de l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie « We should all be feminists » pour un faire un tee-shirt vendu 550 euros…
« Nous sommes dans une histoire en continu »
Pour la rédactrice en chef du magazine Causette, Iris Deroeux, « on est dans un féminisme de communication, centré sur l’image et la parole, à défaut d’être sur une loi qui nous mobiliserait tous. Les Américains sont très forts pour mettre des mots sur des comportements sexistes comme le manspreading (les hommes écartant les jambes dans les transports en commun – NDLR) ou le manterrupting (les hommes coupant systématiquement la parole aux femmes – NDLR). Cela permet de créer un langage commun sur ce qui dérange ». Les nouvelles générations, souvent élevées par des féministes, ont davantage conscience de leurs droits et ne laissent rien passer. « Pour la génération Y, il y a un effet de saturation, explique Julia Tissier, l’une des trois cofondatrices de Cheek Magazine, premier magazine en ligne entièrement féminin. Les femmes ne veulent plus de cette société-là. On ne réclame plus l’égalité des droits, qui est déjà acquise, mais l’application réelle de cette égalité. Plein de questions n’ont pas été réglées par les premières vagues du féminisme. »
Aux États-Unis, l’élection du très misogyne Donald Trump, le 8 novembre 2016, a relancé le mouvement. « Cette élection a été un catalyseur incroyable, se souvient la journaliste Lauren Bastide, créatrice d’un podcast féministe. L’énergie de la Women March n’en finit pas de déferler. On a toutes pris conscience à ce moment-là que nos droits n’étaient pas acquis. Les Américaines sont en train de se battre pour garder le droit de prendre la pilule ! C’est un coup de semonce. » Plus largement, l’historienne Christine Bard date les débuts de cette « troisième vague » (la première étant celle de la conquête des droits civiques, dans la première partie du XXe siècle, et la deuxième, celle de Mai 68) au milieu des années 1990, avec la lutte pour la parité. « Ce qui différencie le féminisme d’aujourd’hui et celui des années 1970, c’est le contexte économique, social et politique qui n’a plus rien à voir avec l’insouciance d’alors, explique-t-elle. La transformation du capitalisme en néolibéralisme crée des inégalités criantes avec une crise politique rampante dans les démocraties occidentales. » Au contraire, pour la philosophe Geneviève Fraisse, « parler de “vague” est une erreur historiographique grave qui continue à nous placer hors de l’histoire. Nous sommes dans une histoire en continu. Il a fallu deux cents ans pour que les femmes obtiennent les mêmes droits civils, politiques, économiques et familiaux que les hommes. Depuis le début du XXIe siècle, la question du corps reproducteur prédomine, avec les débats autour de la pilule, la PMA, la GPA, mais aussi des violences. Un champ s’ouvre dans lequel la loi n’est plus suffisante ».
Pour cette nouvelle génération de militantes, les réseaux sociaux constituent un outil majeur. Ils permettent un afflux des témoignages, en ce moment sur le harcèlement sexuel avec, …
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