Féminisme et psychanalyse : l’ingratitude…

par Guillaume Suréna —

 Le grand mérite de la psychanalyse est et sera pour toujours d’agacer les porte-paroles de ce qui est convenu, de ce qui est institué, y compris dans les rangs de ceux qui se réclament d’elle. L’ingratitude des divers mouvements féministes à l’égard de Sigmund FREUD est d’une dimension telle qu’elle frise souvent l’absurdité. Il est vrai que FREUD, pessimiste s’il en est sur la nature humaine, (le 20ème siècle et le début du 21ème ne lui ont pas encore donné tort), n’a pas été de ceux qui ont crû que « la révolution s’arrêtera à la perfection du bonheur » et qu’il s’agira de modifier le cadre de vie démocratiquement ou pas pour que cessent les drames existentiels collectifs et individuels.

 

« Madinin’art » journal bien connu pour sortir des sentiers battus a un goût pour la provocation contre l’orthodoxie psychanalytique que j’accepte de représenter contre sécheresses, cyclones et tsunamis. Il donne consciemment un petit avantage à toutes les psycho-philosophies qui cultivent l’illusion de dépasser FREUD. A l’occasion de la journée internationale des femmes, ce journal électronique a donné la une aux femmes et à la plus célèbre et conséquente d’entre elles : Simone DE BEAUVOIR. Intellectuelle exceptionnelle, écrivaine couronnée par le prix Goncourt, militante anticolonialiste passionnée et non folklorique, compagne de Jean-Paul SARTRE, l’un des plus grands philosophes de l’histoire mondiale de la philosophie, à partir d’un pacte que personne dans notre société coloniale n’a tenté de mettre en acte (d’où l’admiration qui n’engage à rien) , je sais ce que les femmes, y compris les antillaises mais aussi les hommes libres doivent à cette dynamiteuse dont les actes n’ont pas fini de bouleverser les relations hommes/femmes. Du même coup, je constate qu’il est contradictoire de présenter DE BEAUVOIR à la fois comme celle qui rejette les idées psychanalytiques et celle qui n’en aurait qu’une connaissance limitée tant elle en fut sortie dégoutée des écrits freudiens. La résistance de DE BEAUVOIR à l’égard de la psychanalyse est sérieuse et repose sur des arguments dont les bases philosophiques sont honorables mais discutables. Il arrive si souvent à ceux qui accusent les freudiens de dogmatisme de faire preuve d’un autre dogmatisme malgré leur éclectisme cognitif. Le notre ne menace personne !

 


Pour Simone DE BEAUVOIR

 

Le malheur dans la vie intellectuelle c’est d’être précurseur, car n’importe qui arrive après vous, vous enterre glorieusement, s’empare de vos idées et les vide de leur substance. C’est ce qui est en train d’arriver à Simone DE BEAUVOIR avec les féministes d’aujourd’hui dont l’audace dans la liberté sexuelle et intellectuelle est de loin moins exemplaire.

 

DE BEAUVOIR est caricaturée en fait par ses thuriféraires : elle ne serait plus qu’une militante caractérielle qui n’a pas eu à perdre son temps à élaborer son opposition à la psychanalyse. Ce ne serait qu’un cri de sa part, au point qu’aujourd’hui les unes mais aussi les uns et les autres croient qu’il suffit de crier leur haine contre-phallique de FREUD pour être à la hauteur de cette femelle qui s’est qualifiée elle-même de « salope ». Il est urgent de rétablir la vérité de la démarche intellectuelle de celle-ci.

 

La base philosophique de la position de DE BEAUVOIR à l’égard de la psychanalyse est la phénoménologie de Edmund HUSSERL, philosophe juif allemand. Cette phénoménologie qui a renouvelé la psychologie de la conscience, s’est posée en rivale de la psychanalyse au point de produire plus tard une « psychanalyse existentielle » notamment avec Ludwing BINSWANGER, correspondant et ami de FREUD de 1908 à 1939. Cette nouvelle démarche, dont les bases et les buts furent baptisés humanistes, s’oppose réellement à la psychanalyse freudienne. En effet, si l’être humain est libre quel que soit ses investissements dans le monde réel, il n’y a pas de raisons pour qu’il ne surmonte point les déterminismes qui le conditionnent y compris et surtout le déterminisme biologique. Cette psychologie dont les liens avec DESCARTES furent clairs pour HUSSERL suppose le fameux clivage : Corps/Esprit qui n’a pas fini d’égarer les hommes les mieux intentionnés dans leur effort pour saisir le sens caché de ce qui nous échappe, à cause de l’insuffisance de nos sens.

 

FREUD, par contre, matérialiste intransigeant s’il en a jamais eu, a toujours déclaré que le Moi est « avant tout » le Moi-Corps. Je me suis contenté d’ajouter qu’ « après tout » il est toujours le Moi-Corps (voilà une contribution, la mienne, qui ne marquera pas l’histoire de la pensée). Du même coup, la mise entre parenthèse de la vie psychique malgré ses investissements est une impossibilité théorique et pratique, pour tout vrai psychanalyste.

 

Oui Simone DE BEAUVOIR connaissait la psychanalyse de façon livresque et du même coup insuffisante, et je ne lui en ferai pas grief… On dit, dans les milieux bien informés, qu’elle fut plus philosophe que SARTRE. On sait qu’ils travaillaient ensemble et se lisaient et se critiquaient l’une l’autre. Quand on lit SARTRE on s’aperçoit vite avec quelle admiration, quelle sympathie, il critique la psychanalyse. Il va jusqu’à produire deux scénarii sur la création de la psychanalyse par FREUD. On ne saurait donc séparer DE BEAUVOIR de l’attitude d’honnêteté intellectuelle de SARTRE vis-à-vis de FREUD, à une époque où l’œuvre de ce dernier n’avait pas pignon sur édition.

 

Je tire comme conséquence que DE BEAUVOIR, partageant l’attitude de SARTRE, n’était nullement choquée par la place primordiale de la sexualité. Ce n’était pas non plus le processus psychanalytique qu’elle a dû surement considéré, avec SARTRE, comme une psychologie empirique qui lui posait problème. Ce ne fut probablement pas la place importante de la différence anatomique des sexes qui l’a heurtée. C’est plutôt que cette différence impliquait des processus opposés entre garçon et fille que l’on pouvait analyser certes, mais pas changer. Ceci en effet s’oppose aux principes onthologiques d’un sujet transcendantal, capable de s’abstraire, du corps, du social, de l’histoire, … etc, reposant donc sur la liberté absolue. D’ailleurs Jacques LACAN qui a révisé l’œuvre de FREUD en la pliant aux canons de la phénoménologie husserlienne n’a-t’il pas promis de dépasser le roc biologique de la castration et de l’envie du pénis. Avec ce genre de promesse rédemptrice il n’était plus étonnant que le succès médiatique fut au rendez-vous.

 

 

FREUD face à l’ingratitude

 

Je ne citerai pas les nombreux livres, articles, discours qui s’attaquent à FREUD, au nom de la cause de femmes. Ils sont si divers, si inégaux, si peu informés des exigences d’une démarche scientifique dont FREUD annonce en 1925 qu’il n’y a aucune chance de la voir devenir ennuyeuse tant les recherches sur les conséquences de la différence anatomique des sexes sur la vie psychique demeurent ouvertes et riches en promesses.

 

La malveillance de beaucoup de féministes à l’égard de la psychanalyse, je dis bien freudienne (ou freudiste), les conduit à disqualifier une méthode qui remet tout en cause, qui ose être éternellement neuve, pour privilégier des psychothérapies adaptées au système et basées sur la compétition, la rentabilité, la dévalorisation de la faiblesse… et autres symptômes de l’idéologie patriarcale.

 

La psychanalyse est la première pratique scientifique au début du 20ème siècle à mettre en acte l’égalité homme-femme. Toutes les autres, la physique, la chimie, la biologie… etc, ont pratiqué jusqu’à il n’y a pas longtemps la politique des quotas. Celles et ceux qui connaissent le minimum d’histoire de la psychanalyse, c’est-à-dire ce que l’honnête-homme ou femme se doit de savoir, savent que les femmes psychanalystes n’étaient là ni pour servir le café viennois dans les réunions enfumées ni pour assurer le repos des guerriers de l’Inconscient. On sait à quel point leurs idées ont pesé. Je pense à la pétulante Lou ANDREA SALOME ; à Hélène DEUTCH la grande théoricienne de l’adolescence et de la sexualité féminine ; à Muriel GARDINER l’américaine dont l’œuvre théorique est immense et dont l’action antifasciste à Vienne fut exemplaire ; à Marie LANDER combattante révolutionnaire contre le nazisme, pour la République espagnole de 1936 à 1939 et plus tard dans la révolution latino-américaine ; à la dernière des BONAPARTE, Marie princesse de Grèce pivot dans la pénétration de la psychanalyse en France, le pays de la résistance à Sigmund FREUD par excellence et ce n’est pas fini.

 

Les femmes de la psychanalyse n’ont pas été que des cliniciennes. Il y en a qui furent de grandes théoricienne divergeant avec des thèses de FREUD sur certains points essentiels, dont la sexualité féminine : Karen HORNEY, Mélanie KLEIN furent les plus connus…

 

La psychanalyse telle que FREUD l’a théorisée a été la première démarche scientifique à affirmer la sexualité de la fille, la première conceptualisation à remettre en cause les fantasmes dévalorisants qui pesaient depuis des millénaires sur la sexualité des femmes… FREUD a été le premier, donc bien avant Simone DE BEAUVOIR à séparer identité féminine et maternité et à détacher la recherche du plaisir sexuel de toute visée procréatrice.

 


C’est l’ingratitude qui empêche aux féministes intellectuelles d’intégrer le travail de libération opéré par FREUD. A moins que ce ne soit un effet du fantasme infantile d’être moins bien équipé que les garçons ? La psychanalyse a aidé plus d’une femme à surmonter ce complexe d’infériorité et à valoriser leur sexualité féminine.

 

En quoi dire que la fille organise sa vie psychique autour de l’envie du pénis qu’elle n’a pas et qui sera remplacé par l’envie d’avoir un enfant est dégradant pour la féminité ? En quoi le garçon est-il avantagé par rapport à la fille lorsque l’on dit qu’il organise sa vie psychique autour de l’angoisse de castration ? Envie du pénis et angoisse de castration sont deux concepts qui permettent de penser une réalité empirique complexe, étant entendu qu’en chaque être humain on retrouve du masculin et du féminin. On peut les contester sur le plan scientifique mais il faut s’y frotter, sachant que si le ridicule ne tue pas il est parfois préjudiciable à la bonne santé. Ce sont deux concepts qui pourrait permettre aux militantes des mouvements féministes qui sont, plus souvent qu’elles ne l’avouent, déroutées par les contradictions des femmes qu’elles veulent défendre, de mieux saisir les structures mentales du sous développement affectif des femmes et aussi des hommes aux Antilles.

 

Ces concepts ont déjà permis, dans le monde développé, aux femmes d’assumer leur condition féminine pour celles qui ont des enfants en tolérant le sentiment de culpabilité inconscient qui naguère les écrasait. Ils leur ont permis aussi d’accepter que leurs fils mais aussi leurs filles puissent vivre au plus près de leurs émotions corporelles, sans se maltraiter en mère indignes.

 

Ce sont ces concepts qui ont rendu possible aussi, et on nous excusera du peu, à des femmes qui n’ont pas procréé de se considérer comme des êtres humains à part entière et ce contre l’obscurantisme ambiant avec lequel nous

 

avons tendance à nous arranger… La psychanalyse a favorisé l’exercice de leur sexualité non dépendante des exigences masculines. Je ne regrette pas d’avoir à faire ces mises au point minimales car les réactions de certaines féministes ressemblent point par point à celles des LYSSENKO staliniens que l’histoire a condamné du vivant même de l’ex U.R.S.S. Je reconnais que ce qu’apporte le freudisme est partiel mais il n’a jamais voulu englober la totalité de l’expérience humaine. La psychanalyse sait seulement que son point de vue est essentiel et qu’elle peut déclencher contre elle les haines les plus mortelles. Sauf qu’elle est capable de les interpréter !

 

Je ne doute pas que, dans les temps futurs, les historiens féministes de la pensée verront dans les générations de psychanalystes la force intellectuelle minoritaire qui aura contribué à émanciper un peu plus l’humanité comme l’ont déjà fait COPERNIC, GALLILE et DARWIN.

 

Encore un effort camarades féministes !

 

Sigmund FREUD est de votre côté : la recherche de la vérité !

 


 

 

GUILLAUME SURENA

 

PSYCHANALYSTE

 

97200 FORT-DE-FRANCE

 

75 rue Victor Hugo

 

Tél. : 0596 60 28 41

 

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