INTERVIEW – Femi Kuti, le fils du père de l’Afro-Beat, sort un nouvel album. Rencontre.
—Par Eric Mandel —
Appartenir à la caste des « Fils de… » peut se révéler un cadeau empoisonné, un privilège et une malédiction. Comment perpétuer l’héritage d’un paternel héroïque, tout en affirmant sa propre identité, sans sombrer dans le mimétisme? Femi Anikulapo Kuti le sait trop bien. Il est le fils d’une légende: Fela, le génial inventeur de l’afro-beat nigérian, cette musique de transe née au début des années 70 de la fusion entre musiques africaines (high-life, tradition yoruba) et musiques afro-américaines (jazz, funk)… Un personnage charismatique, parfois controversé, mais unanimement salué comme le champion du petit peuple et la bête noire des militaires qui se sont succédé à la tête du Nigéria depuis l’indépendance du pays, jusqu’en 1999. A sa façon, Femi a su affirmer sa marque sous l’ombre tutélaire de son illustre paternel, explorant des pistes plus personnelles pour s’affranchir de l’orthodoxie afro-beat, sans jamais trahir son essence. Interview à l’occasion de la sortie de son nouvel album ; No Place for my dream. Interview
La pochette de votre dernier album est une illustrée par la photo d’une femme au milieu d’une montagne de décharge d’un bidonville de Lagos. Elle résume la situation au Nigéria?
Oui car la pauvreté gangrène toujours le pays, qui reste pourtant le premier exportateur de pétrole en Afrique. Une minorité s’enrichit avec la manne pétrolière quand l’immense majorité croule sous la misère. Mais je refuse de rester focalisé sur les seuls problèmes du Nigéria. Nous vivons tous sur la même planète, un tremblement de terre au Japon a aujourd’hui des répercutions nucléaires aux Etats-Unis. Tous ces enjeux sont tellement liés, ils concernent l’Afrique mais aussi l’Europe, ne pensez pas que vous êtes dans une zone de confort préservée du chaos du monde. En Europe, aux USA aussi vous affrontez une crise économique, des problèmes sociaux et climatiques. Bien sûr, je parle de l’Afrique et du Nigéria, mais je veux élargir mon propos. Le problème n’est pas seulement mon pays, mais la marche du monde.
Vous pourriez faire de la musique sans parler politique? Ou la politique est indissociable de l’Afro-Beat crée par votre père?
L’afro-beat est une musique de combat, une musique politique et sociale, en phase avec son environnement et son époque. C’est la magie de l’Afro-Beat, une musique faite pour réfléchir, s’élever spirituellement et pour danser aussi. Elle est la voix des sans voix comme le reggae le fut durant son âge d’or. C’est sans doute cette conscience, cette urgence de dénoncer la corruption et les injustices qui donnaient toute sa puissance à la musique de Fela. A titre personnel, j’ai déjà abordé d’autres thèmes dans mes chansons, comme sur Bang Bang, mais je serai bien stupide de dire, « oh cette fille m’a brisé le cœur, je suis triste ». Mes problèmes personnels sont bien secondaires comparé à la situation.
Depuis l’instauration de la démocratie en 1999, la situation s’est-elle améliorée au Nigéria?
Ce gouvernement est très hypocrite. Des voleurs de rues sont enfermés, certains exécutés mais combien d’hommes politiques coupables de sommes colossales détournées des fonds publics vivent en toute impunité. Or cet argent pourrait servir à construire des route, développer les réseaux électrique, l’éducation. Mais il existe toujours un aspect positif. Les gens sont plus conscients, débattent, jouissent d’une liberté de parole, ce qui n’était évidemment pas le cas sous la dictature militaire des années 80.
Cet album renoue avec l’Afro-Beat des origines…
Oui c’est la musique que j’ai connue quand j’étais enfant. Elle est ma fondation. Il s’agit du début, des prémices, quand mon père est rentré de sa tournée initiatique aux Etats-Unis en 1969. Une période de créativité et d’invention intense, qui allait donner naissance à l’Afro-Beat au début des années 70. A l’époque, j’avais 9 ou 10 ans, et je savais que je serai musicien, même si mon père a toujours refusé de m’apprendre la musique, ni de m’envoyer dans une école de musique à Londres, même s’il avait appris la musique au Trinity College of London. Mon père n’avait pas le temps de m’enseigner la musique, il disait que je devais apprendre dans la rue. Donc j’ai appris par moi-même. Il m’avait même encouragé à quitter l’école. Ce qui n’était pas plus mal. Il était populaire, mais également très controversé, donc c’était compliqué pour moi d’être le fils de Fela à l’école.
Vous composez de quelle manière vos chansons?
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