— Par José Nosel —
Les livres d’histoire racontent que dans la nuit du 4 août 1789, au cours d’une réunion houleuse de l’Assemblée Constituante, la décision a été prise d’abolir les dispositions du système féodal, en vigueur alors, et qui accordait des privilèges, notamment fiscaux, aux seigneurs, aux nobles et au clergé. Cette nuit est connue comme étant la nuit de l’abolition des privilèges. Le retour des privilèges, y compris sous formes de corporatismes, est tel, dans nos sociétés actuelles, que je consacrais deux chroniques à cette question, il y a 4 ans. La seconde s’appuyait directement sur les propos de deux grandes autorités morales de notre époque ; voici ce que j’en disais :
« Quelle belle leçon de courage et d’espérance nous donnent ces deux magnifiques vieillards que sont Stéphane Hessel, 93 ans, et Edgard Morin, 90 ans. L’un, Stéphane Hessel, a écrit un petit ouvrage de 30 pages, « Indignez-vous! » qui, à des millions d’exemplaires, constitue la référence de ces mouvements de masse des « indignés » qui essaiment dans le monde entier en ce moment ; l’autre, Edgard Morin, avec la publication de « la voie, pour l’avenir de l’humanité » , a frappé un grand coup, l’ouvrage vient couronner, en effet, une ?oeuvre déjà prolifique de l’auteur, lequel, depuis un certain temps, fait référence en sociologie et en politique.
Mais voila que nos deux magnifiques vieillards s’associent pour publier ce petit ouvrage de 60 pages aux éditions Fayard, intitulé « le chemin de l’espérance » et qui est appelé, lui aussi à faire date.
On peut lire, page 45 de l’ouvrage, que ces vieux messieurs, en appellent à une « nouvelle nuit du 4 août » , comme en 1789, au moment de la révolution française ; nuit du 4 août plus connue sous l’appellation de nuit de l’abolition des privilèges.
Au train où vont les choses, on peut penser que seule, une sorte de nouvelle « nuit du 4 août » , qui conduirait à abolir les privilèges, serait de nature à remettre un peu de sérénité dans le désordre social, économique, fiscal, psychologique et moral actuel, dans notre partie du monde. A moins que l’effondrement de certains systèmes monétaires et économiques de ce monde ne vienne, très vite, bien avant, confirmer l’effondrement des valeurs morales dans les oligarchies, de la plupart des pays de la planète.
Le contrat social fissuré
Ce « désordre » actuel, rappelions-nous, fissure notre contrat social, démocratique, et républicain. Les aspects visibles de ce qu’il est convenu d’appeler « la crise » , masquent en réalité, nous semble-t-il, comme par un écran (de télévision ou d’ordinateur ?) les raisons profondes d’une dérive des systèmes démocratiques dans le monde. Tous ces systèmes semblent évoluer historiquement vers des systèmes technocratiques, aristocratiques, oligarchiques, voire ploutocratiques, à plusieurs niveaux ; mais qui se caractérisent tous par la constitution de couches de privilégiés, défendant farouchement leurs privilèges, ou corporatismes, face aux autres couches, majoritaires, de la population ; et ceci, dans presque tous les pays.
Dans ces systèmes où, partout, les riches deviennent plus riches ; où les classes moyennes se stressent à maintenir leurs niveaux de vie ; et où les pauvres s’accrochent pour ne pas régresser vers la misère ; des pans entiers de populations auraient perdu une grande partie de leurs capacités à s’indigner.
Chacun semble s’accommoder de la situation, avec une certaine résignation, tout en rêvant de pouvoir adhérer, cependant, au mot d’ordre implicite ambiant : « débrouillez-vous » , « enrichissez-vous » , « c’est la libre concurrence sur le marché » ; « le marché est capable de s’autoréguler, en éliminant tous ceux qui ne sont pas compétitifs » . C’est comme si on était revenu à Guizot ou Adam Smith. C’était sous la 3ième République, au XIXe siècle.
Curieux tout de même, que dans ce XXIe siècle où nous vivons, non seulement les privilégiés, les oligarques qui dirigent, s’adonnent à des gaspillages, à des spéculations, à des dégradations, à des pollutions et autres malversations ; mais mieux encore, avec leurs erreurs techniques de gestion et leurs fautes éthiques de comportement, ils mettent en faillite les systèmes bancaires, les économies du monde, les emplois des gens, sinon, la vie sur la planète ; tout en faisant la promotion de sa préservation, par un discours écologique de plus en plus anxiogène. Et en dépit de cela, ils trouvent, ces privilégiés, la masse des populations pour voler à leurs secours, dans une totale impunité, via les gouvernements qui injectent chaque fois des dizaines, des centaines de milliards d’argent dans leurs circuits financiers, au nom de l’intérêt général, si ce n’est au nom de la sauvegarde de la planète.
Les conséquences de cette générosité, jugée indispensable, à coup de milliards, c’est la soumission des gouvernements aux marchés et à ses agences de notations, c’est le développement de plans d’austérité partout, c’est l’accroissement de la pression fiscale sur les peuples, c’est l’aggravation des fractures sociales, avec le chômage, la précarité, et la souffrance au travail, pour ceux qui ont encore du travail.
Les conditions historiques d’une nouvelle « nuit du 4 août » nous semblent réunies ; car l’ampleur des privilèges et de leurs conséquences devient de plus en plus insupportable.
José Nosel