Faut-il s’inquiéter de perspectives éconmiqques peu réjouissantes?

Les perspectives économiques pour 2025 ne semblent guère réjouissantes : alors faut – il s’inquiéter ?

—Par Jean-Marie Nol —

Les perspectives économiques pour 2025 semblent incertaines dans de nombreux pays, en raison de plusieurs facteurs tels que l’inflation persistante, les tensions géopolitiques, la hausse des taux d’intérêt et les défis liés à la transition écologique et énergétique. Cependant, il est important de nuancer et de ne pas céder à un pessimisme excessif.Il est légitime de rester vigilant, mais il faut aussi garder à l’esprit que l’économie est cyclique et qu’elle peut rebondir grâce à des ajustements stratégiques. Cela passera nécessairement par une réforme du  modèle économique antillais sans le casser par une autonomie politique jugée illusoire . C’est là une stratégie prudente et nécessaire !

Les Antilles françaises, en particulier la Guadeloupe, s’inscrivent dans un cadre économique marqué par l’héritage de la départementalisation. Ce modèle, bien que actuellement à bout de souffle et critiqué pour sa dépendance à l’égard des transferts financiers de l’État français, a permis d’assurer une stabilité économique et sociale dans un environnement insulaire soumis à des contraintes structurelles importantes. Aujourd’hui, la question de l’autonomie politique revient régulièrement dans le débat public, souvent présentée comme une solution pour relancer une responsabilité locale et un développement économique plus dynamique. Cependant, envisager avec l’autonomie une rupture brutale avec le modèle actuel, sans un financement supplémentaire garanti par la France hexagonale, serait une aventure périlleuse. Disons le tout net, en dépit des critiques prévisibles, l’autonomie politique prôné par certains élus reste de la poudre aux yeux, car si l’approche conceptuelle de l’autonomie politique au moment de la convention du Morne rouge des partis communistes de l’outre-mer était légitime ,fondée et pertinente dans le contexte de décolonisation à l’époque des années 50/60 , ce n’est plus actuellement le cas . Car ce qui était valable hier ne l’est plus forcément aujourd’hui, car le monde a changé avec les mutations technologiques et sociologiques . Donc à l’évidence, l’autonomie que prône nos élus est un rideau de fumée destiné à masquer l’impuissance d’agir sur le réel , et il convient d’en tirer les conclusions qui s’imposent à savoir que le soubassement idéologique de l’autonomie est aujourd’hui obsolète , car les paramètres du modèle économique , social et financier ont totalement changé de nature. À l’inverse, une réforme progressive et ciblée de ce modèle, visant à impulser un nouveau type de développement productif, apparaît comme une voie plus réaliste et bénéfique.

Les données économiques récentes sur la Guadeloupe mettent en évidence un tissu entrepreneurial relativement actif, avec 20 500 entreprises marchandes générant un chiffre d’affaires de 13,8 milliards d’euros en 2022. Ce dynamisme, qui traduit une certaine résilience malgré les crises successives (notamment la pandémie de Covid-19), repose en grande partie sur les transferts publics, les avantages fiscaux et les dispositifs d’accompagnement issus de la départementalisation. Selon les données de l’INSEE, les entreprises locales ont dégagé une valeur ajoutée de 3,3 milliards d’euros, dont 68,9 % sont consacrés aux charges de personnel. Cela montre que le modèle actuel contribue significativement à l’emploi et au pouvoir d’achat, essentiels pour maintenir la cohésion sociale sur l’île.

Les risques d’une autonomie sans moyens financiers accrus et dans un contexte économique déprimé sont réels. Ainsi l’IEDOM confirme dans son dernier rapport mes analyses prospectives antérieures sur la dégradation accélérée de la situation socio-économique de la Guadeloupe et la Martinique. Et je cite l’IEDOM pour ce qui concerne l’évolution de la conjoncture en Guadeloupe : « Au troisième trimestre 2024, le climat des affaires se détériore, de nouveau. Les professionnels interrogés font part d’une activité en baisse exacerbée par les délestages électriques liés au conflit social d’EDF-PEI fin septembre. Outre une détérioration de leur trésorerie et un alourdissement de leurs charges d’exploitation, les chefs d’entreprise s’inquiètent de l’allongement des délais de paiement de leur clientèle. En parallèle, l’incertitude politique et fiscale à l’échelle nationale pèse sur les décisions d’investissement. La consommation des ménages est atone, dans un contexte de tensions croissantes autour du sujet de la vie chère ».

Dans cette atmosphère morose, et compte tenu des fortes incertitudes financières au niveau national et international, vouloir adopter un régime d’autonomie politique sans soutien financier supplémentaire de la France poserait plusieurs défis majeurs. Premièrement, les entreprises locales, déjà confrontées à des coûts structurels élevés (énergie, importations, logistique), ne pourraient pas compenser un retrait des subventions et dispositifs fiscaux qui soutiennent leur compétitivité. Avec un excédent brut d’exploitation (EBE) de seulement 951 millions d’euros, soit un taux de marge moyen de 28,9 %, la capacité d’investissement des entreprises reste limitée. En l’absence de transferts publics, ces marges pourraient s’effondrer, entraînant une cascade de faillites et une hausse du chômage.

Deuxièmement, l’autonomie politique impliquerait une prise en charge intégrale des politiques publiques locales, avec des ressources budgétaires autonomes largement insuffisantes. La Guadeloupe ne dispose pas, à ce jour, d’un secteur productif capable de générer des recettes fiscales suffisantes pour financer ses infrastructures, ses services publics et ses politiques sociales. La dépendance aux importations pour les produits de première nécessité aggraverait encore les tensions inflationnistes, nuisant au pouvoir d’achat des ménages.

Enfin, le contexte insulaire et les contraintes géographiques (éloignement, faible taille des marchés) limitent les possibilités de diversification économique rapide. Une autonomie mal préparée risquerait d’amplifier ces fragilités structurelles, avec un impact social dévastateur.

Mieux vaut donc réformer pour promouvoir un développement productif avec une alternative réaliste de coopération avec en priorité le Canada. Pour rebondir à certaines préoccupations ainsi qu’à une contre argumention concernant une réorientation économique des Antilles françaises vers le Canada , je dirais que cela mérite une analyse approfondie pour distinguer les réelles contraintes des obstacles perçus ou exagérés. J’entends les arguments critiques qui soulignent à juste titre certains défis structurels et techniques, mais une lecture plus stratégique et une vision prospective montre que ces obstacles peuvent être surmontés par des politiques adaptées, des partenariats ciblés et une vision à long terme.

L’un des premiers arguments avancés est la faiblesse du tissu économique antillais. Il est vrai que la majorité des PME locales ont des moyens limités, ce qui complique leur accès aux marchés internationaux. Cependant, cela ne signifie pas qu’une orientation vers le Canada soit irréaliste. De nombreuses petites économies insulaires dans le monde ont su s’intégrer à des marchés globaux grâce à des stratégies de spécialisation et de mise en réseau. Les Antilles françaises disposent déjà d’atouts, notamment dans l’agroalimentaire (rhum, produits tropicaux, épices), qui pourraient répondre à des niches spécifiques au Canada, particulièrement dans le Québec francophone. Le développement des exportations ne nécessite pas que toutes les entreprises se lancent simultanément : il s’agit de sélectionner des secteurs stratégiques, de former des alliances commerciales et de tirer parti des instruments de soutien comme Business France ou la COFACE.

Le droit anglo-saxon, souvent évoqué comme un frein, ne constitue pas un obstacle insurmontable. Certes, les entreprises antillaises devront investir dans des compétences juridiques adaptées et dans la traduction de contrats bilingues, mais cela relève d’un ajustement nécessaire pour toute entreprise cherchant à opérer sur un marché étranger. De plus, le Québec, qui partage un système juridique mixte avec une forte composante de droit civil, pourrait servir de porte d’entrée naturelle pour les Antilles, réduisant ainsi la complexité initiale. Il existe également des talents et des compétences au sein de la diaspora antillaise, et des cabinets spécialisés en droit international et des organisations comme l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) qui peuvent accompagner cette transition.

L’argument selon lequel seules les grandes entreprises avec un chiffre d’affaires important peuvent réussir à l’export mérite également d’être nuancé. Bien que les grandes entreprises disposent de moyens plus conséquents, les PME peuvent se regrouper en consortiums ou coopératives pour mutualiser les coûts et les risques liés à l’exportation. Ce modèle a fait ses preuves dans d’autres contextes insulaires ou fragiles économiquement. Les chambres de commerce et les collectivités territoriales antillaises peuvent jouer un rôle clé en soutenant ces initiatives.

Les critiques sur la fragilité financière des entreprises locales et les risques juridiques en cas de litige doivent être prises au sérieux, mais elles ne justifient pas un immobilisme. Le développement économique implique toujours une part de risque calculé. Plutôt que de se concentrer sur les échecs passés de grands groupes comme Bernard Hayot en République dominicaine, il serait plus constructif d’apprendre de ces expériences et de mettre en place des mécanismes de sécurisation : recours à des assurances-crédit, renforcement des capacités juridiques locales et soutien institutionnel des collectivités.

Enfin, l’argument historique sur les liens avec la Caraïbe et le Québec doit être replacé dans une perspective actuelle. Les relations passées avec la région Caraïbe sont indéniables, mais elles ne suffisent pas à garantir un futur économique viable à la Martinique et à la Guadeloupe. En effet en tant qu’ancien banquier d’affaires, je répète depuis toujours que c’est une erreur monumentale de s’aventurer dans la Caraïbe et pour cause à ma connaissance 90% de ces dossiers de financement pour des investissements dans la Caraïbe traités par les banques des Antilles françaises se sont soldés par des échecs cuisants sur le plan entrepreneurial, et ont occasionné des créances douteuses et litigieuse pour ces dernières. Par ailleurs, il faut bien avoir à l’esprit que les pays de la zone Caraïbe ont des priorités bien définies, souvent alignées avec les intérêts des États-Unis ou de l’Amérique du Sud. Les Antilles françaises, bien que géographiquement proches, ne bénéficient pas d’un accès privilégié à ces marchés en raison de leur statut spécifique et des contraintes de listes négatives. À l’inverse, le Québec partage une langue et une histoire commune avec les Antilles, ce qui peut être un levier puissant pour développer des relations économiques et culturelles solides.

L’impérieuse nécessité pour les Antilles françaises d’organiser et d’orienter leurs relations économiques vers le Canada repose donc sur des bases solides. Si les défis sont réels, ils ne sont pas insurmontables. Avec une stratégie ciblée, un accompagnement institutionnel et une volonté politique forte, cette réorientation peut ouvrir de nouvelles perspectives, diversifier les partenaires économiques et poser les bases d’un nouveau modèle de développement durable, tourné vers l’innovation et l’internationalisation. Je tiens pour terminer à préciser que toutes mes analyses ressortent de la vision prospective, c’est à dire à moyen et long terme à savoir entre 5 et 10 ans, donc rien d’étonnant et de normal que cela provoque des incompréhensions dans l’immédiat,  mais si l’affaire n’est pas encore dans le sac, il n’empêche qu’il faut savoir laisser du temps au temps. De fait, plutôt que de rompre avec le modèle actuel, il est plus judicieux de le réformer pour impulser un nouveau type de développement productif. Plusieurs pistes peuvent être envisagées :

1. Encourager la montée en gamme des secteurs stratégiques

Le commerce représente aujourd’hui 47 % du chiffre d’affaires des entreprises guadeloupéennes. Ce secteur peut être dynamisé par une stratégie de montée en gamme, visant à valoriser les produits locaux (agroalimentaire, artisanat) sur des marchés de niche à forte valeur ajoutée.

2. Stimuler l’innovation et la formation

La transformation numérique et la transition écologique offrent des opportunités pour développer des activités à haute valeur ajoutée. Des investissements ciblés dans la formation et l’accompagnement des entreprises vers l’innovation pourraient renforcer leur compétitivité.

3. Renforcer les infrastructures

Une amélioration des infrastructures logistiques (ports, aéroports) et énergétiques permettrait de réduire les coûts structurels des entreprises, tout en facilitant leur intégration dans les chaînes de valeur régionales et internationales.

4. Valoriser le capital humain

Avec 68,9 % de la valeur ajoutée consacrée aux charges de personnel, le capital humain est un atout majeur pour l’économie guadeloupéenne. Renforcer les compétences des salariés et attirer des talents extérieurs peuvent contribuer à dynamiser le tissu économique local.

5. Diversifier les partenaires économiques

Tout en maintenant les liens avec la France hexagonale, il est essentiel de développer des partenariats économiques dans la région Caraïbe, mais aussi avec d’autres zones francophones (Canada, Afrique). Ces relations doivent être basées sur des complémentarités économiques et culturelles, sans pour autant négliger le soutien structurel de la France.

Soyons réalistes et surtout conscients que la départementalisation a permis aux Antilles françaises de bénéficier d’un cadre économique et social relativement stable, qui a permis l’émergence d’une importante classe moyenne aux Antilles, et ce malgré des contraintes structurelles importantes. Si ce modèle montre aujourd’hui ses limites, le démanteler pour se lancer dans un processus d’autonomie mal préparé serait une prise de risque inconsidérée.Cette petite musique de la nécessité d’une responsabilité locale est familière à nos oreilles : elle a bercé les débats des derniers congrès en Martinique et Guadeloupe. Cela étant, nous estimons que l’angélisme n’est plus de mise.Mais, toutes proportions gardées, le danger est le même, la peur d’affronter la réalité du déclin du modèle social français. De congrès en congrès, on gagne du temps mais on ne décide rien, faute d’intérêts politiques convergents et de leadership. Mais le compte à rebours des difficultés financières des collectivités locales  est lancé, car la France hexagonale ne pourra pas continuer à jouer les pompiers avec des plans de redressement financier comme les opérations coeur de ville et COROM , et cela d’autant que se profile en 2025 pour cette dernière un mur de plus de 3300 milliards d’euros de dettes à refinancer. Dans ce contexte délétère d’endettement, il semble d’après les économistes que l’autonomie n’est pas la solution idoine pour parer au mal développement, car ce ne sont pas les institutions qui sont en cause mais les dysfonctionnements du modèle économique. En conséquence de quoi, réformer en profondeur le modèle économique découlant de la départementalisation en s’appuyant sur ses acquis tout en corrigeant ses dysfonctionnements, offre une voie plus sûre et durable pour impulser un nouveau type de développement productif. Cette stratégie permettrait d’allier l’ambition d’autonomie économique à la prudence financière et sociale indispensable dans un contexte insulaire.

« Imité ka détenn gwo blé »

Traduction littérale : Imiter déteint.

Moralité : A force d’imiter les autres , on perd sa personnalité.

Jean marie Nol économiste