— Par Eric Vincent et Gabriel Jean-Marie, SMPE-CGTM —
« Ni rire, ni pleurer, comprendre » Spinoza
« Il n’y a qu’un pas du fanatisme à la barbarie » Diderot.
« Il n’existe que deux choses infinies: l’univers et la bêtise humaine, mais pour l’univers je n’en n’ai pas la certitude absolue ». Einstein
« Le monde est plein d’idées chrétiennes devenues folles » Chesterton
“C’est l’ignorance, et non la connaissance, qui dresse les Hommes les uns contre les autres”. Kofi ANNAN
Laquelle de ces citations pourrait le mieux illustrer les évènements tragiques qui viennent de se dérouler en France. Toutes certainement. Mais on pourrait encore trouver des dizaines d’autres pour résumer ces faits qu’ont vécu des millions de personnes après le massacre opéré par deux frères au siège de l’hebdomadaire Charlie Hebdo, et par un autre homme dans un magasin d’alimentation tenu par des commerçants juifs. Des actes abominables commis par des jeunes délinquants, paumés, vulnérables. Et tout cela à Paris.
Un immense gâchis. Qu’on en juge.
20 morts se décomptant de la manière suivante :
3 policiers dont une martiniquaise de 26 ans, policière municipale stagiaire, originaire de Sainte-Marie et qui, moins d’un mois avant sa mort tragique, passait les fêtes de fin d’année 2014 dans sa famille en Martinique.
4 clients de confession juive dans un supermarché
10 personnes tuées au siège du journal Charlie Hebdo dont 5 dessinateurs réputés et reconnus : Wolenski, Cabu, Tignous, Charb et Honoré
3 jeunes français fanatisés, armés et révoltés, qui ont été finalement abattus par la police et la gendarmerie.
Sans oublier les nombreux autres blessés.
Oui. Un immense gâchis.
Les raisons de cette situation : ce qui est dit et ce qui est caché
Pour justifier leurs actes, les jeunes ont mis en avant les provocations que constitueraient selon eux des dessins humoristiques dénigrant le prophète Mahomet.
Ceux qui planifient, exécutent et justifient de tels actes mettent principalement en avant le manque de respect et le dénigrement dont serait l’objet la religion musulmane.
Souvenons nous qu’il y a déjà plusieurs années, l’écrivain Salman Rushdie avait fait l’objet d’une fatwa (ordre de le tuer) émis par l’ayatollah Khomeiny à cause d’un de ses écrits, « Les versets sataniques ».
Souvenons-nous de cette femme du Bangladesh, Taslima Nasreen, médecin, athée, accusée d’avoir « blasphémé » contre l’islam, qui a dû fuir son pays pour avoir tenu des propos et affirmé des idées en opposition avec les défenseurs de cette religion.
Et nous pourrions trouver encore des dizaines et des dizaines de soi-disant justifications pour cautionner les actes commis contre Charlie Hebdo.
En fait, cette justification d’être des croyants indignés et heurtés dans leur foi n’est qu’un vernis religieux. En réalité, c’est la défense d’une idéologie politique et la volonté de l’imposer qui prédominent chez les « idéologues » qui arment ceux qui commettent ces actes.
C’est le cas pour le port du voile par la femme. Certains parlent de reconnaitre la tradition et ne voient qu’un objet vestimentaire, alors que ce voile imposé aux femmes n’est ni plus, ni moins qu’un drapeau qu’on leur impose de porter et qui symbolise leur soumission et leur infériorité.
Pour également justifier les actes commis par ces jeunes, sont cités ceux commis par les armées de certains pays qui détruisent, répriment, asservissent, tuent les populations d’Irak, de Syrie, Afghanistan, Libye, Egypte, etc., et qui pillent leurs ressources notamment pétrolières.
Le journal argentin Pagina 12 a publié le 29 juillet 2004 un article du poète argentin Juan GELMAN intitulé ¿Por qué los odian tanto?. (pourquoi on les détestent autant ?
(http://www.pagina12.com.ar/diario/contratapa/13-38915-2004-07-29.html). Ce titre vient d’une réflexion de George W. Bush qui se serait plaint ainsi : « No sé por qué nos odian tanto » (je ne sais pas pourquoi on nous déteste autant). Propos hypocrites, bien sûr ! « Nous faisons semblant de ne pas comprendre le lien entre notre confortable niveau de vie et les dictatures que nous imposons et protégeons par une présence militaire internationale ». (Jerry Fresia, cité par LGS)
« La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens » (Clausewitz). « Nous sommes en guerre » : N’est-ce pas cette expression qu’ont employée les responsables politiques, français et autres ? Oui. Le prétexte religieux et le prétexte démocratique sont deux expressions qui masquent une seule et même chose : une idéologie politique.
Les uns pour justifier leurs guerres de conquête, de pillage, de brigandage, parlent d’étendre la démocratie, la liberté, leur civilisation. Leurs victimes et adversaires (ou ennemis), pour justifier leur volonté de garder une main mise sur les populations victimes des exactions des premiers parlent de l’injure faite à leur religion et à leurs croyances. Les deux, en définitive, font leur politique sur le dos des pauvres de deux camps qui ne comprennent pas toujours, voire rien du tout, quant aux véritables motivations des uns et des autres.
Tous ensemble ? Non ! Dénoncer, mais tout en gardant toute sa lucidité.
Ces faits ont suscité émotion, indignation, solidarité avec les victimes et leurs familles, et colère dans la population. Ces sentiments ont conduits des centaines de milliers de personnes à manifester après le dénouement tragique (lorsque policiers et gendarmes ont abattu les trois auteurs des faits) à envahir les rues pour manifester leur désapprobation, leur rejet de la démarche des jeunes fanatisés avec ce slogan « Je suis Charlie ».
Derrière le slogan, on a tout de suite entendu des nombreux appels d’horizons divers (gouvernement, très nombreux dirigeants de partis politiques, responsables religieux, etc.) pour réclamer que l’«Unité nationale» se fasse pour dénoncer ces actes.
Oui, il n’y a aucun doute là-dessus. Les actes commis par ces jeunes sont ignobles et doivent être dénoncés comme tels. Et donc il faut le dire et le faire savoir. Mais pas n’importe comment et surtout pas à n’importe quel prix.
« Ah ! Cette immense messe en plein air dans une inédite communion nationale : il n’y a pas de partis, pas de religions, pas de riches, pas de pauvres, pas d’ouvriers, pas de banquiers, pas de pacifistes, pas de va-t-en guerre, pas de chômeurs, pas de milliardaires, pas de journaux bourrés de thunes et de journaux de gauche qui crèvent ou qui se vendent au CAC40, seulement des Français. La farandole fraternelle des pompiers et des pyromanes, main dans la main, dans la forêt » Le Grand Soir, 11 janvier 2015)
Au-delà de l’émotion, de la colère, etc., on ne peut qu’être choqués par l’exploitation politique qui est faite maintenant de ces pénibles évènements.
« Ce devait être une grande marche pour défendre les « valeurs républicaines ». C’est devenu une triste polémique politicienne. Nombre d’associations, de syndicats et de représentants des forces de gauche regrettent la façon dont le PS et le gouvernement se sont emparés de l’organisation de la manifestation de dimanche ». (Médiapart, 11 janvier 2015).
En appelant à l’unité nationale, les politiques ont choisi de taire les véritables raisons ayant conduit ces jeunes délinquants français à commettre ces atrocités. Ces mêmes politiques ont entrepris d’exploiter à leur profit l’émotion soulevée par ces actes. Ces mêmes politiques ont juste oublié de dire qu’ils commettent les mêmes crimes en Afrique et au Moyen-Orient, mais sous d’autres formes, avec d’autres moyens, avec la caution de l’ONU, avec l’étiquette de « la Communauté internationale ».
La République, qui n’a pas fait grand-chose pour intégrer ses immigrés, se la joue aujourd’hui digne et irréprochable.
Cet appel à « l’unité nationale », voire internationale, puisque le gouvernement a su habilement récupérer ce drame pour tenter de redorer son blason, s’est traduit par la présence en France le dimanche 11 janvier 2015 aux côtés de Hollande, du :
premier ministre israélien Netanyahou qui, en juillet 2014, il y a donc moins d’un an, « tondait le gazon palestinien » à Gaza ;
président de l’autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, à la tête Gaza, une prison à ciel ouvert que l’armée israélienne a récemment rasé sous des bombes en tuant des milliers d’habitants, et de la Cisjordanie, un lopin de terre transformé en gruyère par les israéliens.
La fameuse « Communauté internationale » refuse à Abbas et aux palestiniens la création d’un état.
roi de Jordanie, fils de son père, qui a massacré des milliers de jordaniens pour se maintenir au pouvoir et pour y installer son fils ;
Sarkozy, qui a lancé la guerre contre la Libye de Kadhafi, le même Kadhafi qu’il avait reçu en grandes pompes en France.
Représentant de l’Egypte, pays qui fait un procès à des journalistes de la chaine Al Jaazira
Représentant de la Turquie dont les dirigeants musèlent et répriment des journalistes, refusent toujours de reconnaître le génocide arménien, et tentent de profiter du conflit en Syrie pour se débarrasser d’une partie de sa population kurde.
Etc., etc.
Des millions de personnes se sont donc déplacées, en toute sincérité, pour signifier leur rejet de ces actes et pour témoigner ainsi leur solidarité à toutes les familles. Elles ont réclamé la liberté d’expression, la liberté de conscience, etc.
« Alors, oui, je suis en deuil, je l’assume, je le revendique. Il y a danger, il faut se rassembler. Oui, j’ai mal, mais je ne veux pas partager ce deuil et cette douleur avec ceux qui ont contribué à créer le climat nauséabond et létal qui ronge notre pays depuis des années. Oui, l’islamisme, comme tous les intégrismes, est un danger. Mais qui arme et entraîne ces monstres ? Le Qatar, l’Arabie Saoudite, les Emirats, ces Etats voyous, extrémistes, obscurantistes, valets de l’impérialisme français, qui blanchissent les milliards sales dans des paradis fiscaux, garantissent aux multinationales occidentales une chasse gardée pétrolière, piétinent les droits de l’homme et des femmes, combattent les laïques et la gauche. Comment peut-on à la fois s’ériger en gendarme international contre les groupes terroristes, et livrer, par exemple, le Paris-Saint-Germain au Qatar ? Alors, oui, je manifesterai, le coeur et la colère gros, mais en prenant soin d’éviter les infréquentables. Je ne veux pas, je le redis, partager ce deuil et cette douleur avec eux ». (Jean Ortiz, le Grand Soir, 8 janvier 2015).
Alors, au nom de l’indignation que suscitent ces actes répugnants commis par ces trois jeunes français, se retrouver côte à côte avec toute cette clique qui porte une immense responsabilité dans le développement des idées ayant conduit à ces drames? NON ! Même en ayant pris la précaution de dire de les éviter physiquement, il fallait éviter de participer à une manifestation organisée dans ces circonstances et sous ces conditions.
Par respect pour les journalistes assassinés, par respect pour toutes les personnes victimes. Surtout que c’était au nom et sous le couvert de … « l’unité nationale ».
Fort de France le 13 janvier 2015.
Eric VINCENT (Smpe-Cgtm)
Gabriel JEAN-MARIE (Smpe-Cgtm)