— Par Vincent Monadé, président du Centre national du livre —
Le temps consacré à la lecture baisse, inexorablement. Ce résultat, confirmé par la récente étude publiée par le Centre national du livre (CNL), est celui de nombreuses enquêtes depuis plusieurs années. Le phénomène est d’ailleurs plus prononcé encore chez les jeunes. Que faire de ce constat ? Une discussion de café du commerce ? Un essai réactionnaire de plus sur la fin de la France qui était mieux avant ? Ou un point de départ, un levier pour agir ? C’est ce choix-là que nous avons fait. Répondant à la demande de Fleur Pellerin, la ministre de la Culture et de la Communication, nous avons, accompagnés de Sylvie Vassallo, directrice du Centre de promotion de la lecture jeunesse de Montreuil, initié une fête de la lecture pour la jeunesse. Elle se tiendra du 17 au 31 juillet dans toute la France. Le pari est ambitieux. Sauf erreur, aucune des grandes fêtes nationales voulues par l’État n’a été organisée au cœur de l’été, lorsque les Français sont en vacances. Pour nous, ce choix était nécessaire : il s’agit de toucher les jeunes lorsqu’ils ont du temps de loisir, lorsque l’école, les activités parascolaires, les devoirs… ne laissent pas à la lecture une portion congrue.
Nous sommes entrés dans un autre temps, accéléré. D’autres loisirs ont surgi, les jeux vidéo, Internet, les réseaux sociaux, tous concurrents de la lecture. Lire, loisir par excellence de l’intime, se confronte au monde, à de nouvelles formes de socialisation, toutes séduisantes, toutes parées de l’attrait de la nouveauté et de la mode. Or il faut affirmer le rôle de la lecture. Lire, c’est s’évader, développer son imaginaire, s’amuser, s’émouvoir, se détendre. Mais c’est aussi s’ouvrir au monde, aux cultures, aux autres. Lire, c’est vivre ensemble. C’est porter les valeurs de la République. Cette fête au cœur de l’été, c’est une réponse. Une conviction aussi, celle que le plaisir de lire est communicatif, qu’il suffit d’y mordre pour en être mordu, que la lecture est source d’évasion et de joies, qu’elle peut être partagée à haute voix, portée par des comédiens et des auteurs, nourrir des événements festifs et conviviaux. Mais cela ne peut pas être la seule réponse. Dans cette concurrence des loisirs, la lecture est sans doute celui qui sait le moins se vendre, avec les plus faibles moyens. Il est urgent de repenser la communication autour du livre et d’oser des campagnes nationales. Il existe, dans notre pays, de grandes campagnes de ce type en matière de prévention ; je crois que faire lire, encourager à lire, est un acte de santé publique. Depuis le 7 janvier, j’en suis même certain.
J’ai annoncé déjà que le Centre national du livre s’engagerait dans cette voie. À la fin de cette année, si possible, au plus tard l’année prochaine, nous lancerons une campagne nationale de communication dédiée au plaisir de lire. Nous avons le devoir de promouvoir la lecture, sans jugement de valeur sur ce que les gens lisent, sans nous ériger en arbitres des élégances. Le Centre national du livre soutient une littérature exigeante et des œuvres difficiles, et nous pouvons en être légitimement fiers ; mais nous devons promouvoir toutes les littératures, tous les genres, pour tous les publics. Mais, au-delà du CNL, le combat pour faire lire est l’enjeu de tous, de l’école et des bibliothèques, de l’État et des collectivités, des auteurs, des éditeurs, des libraires, des festivals… Il me semble que le temps de la mobilisation générale doit être décrété, qu’il faut aider plus et mieux ceux qui, sur le terrain, se font passeurs de livres et de rêves. De notre place, celle d’un établissement public, nous essayons de le faire. L’enjeu, aujourd’hui, est sans doute que d’autres s’emparent de cette question et la portent à leur tour, plus haut et plus fort que nous ne le pourrions. Si nous ne faisons pas de la lecture une cause nationale, nous ferons chaque année, impuissants, le même constat, celui d’une baisse inexorable de la lecture. L’enjeu dépasse, de très loin, les résultats d’une étude ou les moyens d’un établissement public. C’est un choix de société.
Lire le dossier sur L’Humanite.fr : Par quels moyens peut-on enrayer la baisse de la lecture ?