« C’est l’endroit où vous pouvez trouver de l’espoir » : le critique littéraire François Busnel lance une pétition pour que les librairies restent ouvertes pendant le deuxième confinement. De nombreuses voix politiques, à gauche comme à droite, le réclament également.
Les librairies organisent leur résistance. Considérées comme des commerces non essentiels, elles ont dû à nouveau tirer le rideau à partir de ce vendredi 30 octobre, premier jour du second confinement, se retrouvant soumises à la concurrence des géants de la vente en ligne comme Amazon. De nombreuses voix s’élèvent contre cette décision, dont celle du critique littéraire François Busnel, qui a annoncé ce vendredi matin sur Franceinfo lancer une pétition contre la fermeture des librairies qui, selon lui, prive « du meilleur bataillon pour affronter l’obscurantisme ».
« J’étais hier soir avant la fermeture dans ma librairie de quartier à Paris. Il y avait une queue comme on n’en a jamais vu. Cela traduit un formidable appétit, un désir immense de continuer à se rendre dans ces librairies », explique l’animateur de « la Grande Librairie ». Il espère que le gouvernement revienne sur sa décision. Selon lui, l’ouverture des librairies est particulièrement importante dans cette période. « C’est l’endroit où vous pouvez trouver de l’espoir, trouver de la consolation », explique t-il avant d’ajouter : « Parce que vous avez des livres qui racontent des histoires, qui expliquent que les choses ne sont pas noir ou blanc ». Il craint une précarisation du secteur, soumis à la rude concurrence des géants de la vente en ligne. « C’est malheureusement se condamner dans quelques semaines, dans quelques mois ou dans quelques années, à voir des villes sans librairie, à trouver des zones blanches en France. Et vous faites un cadeau énorme à une entreprise qui commence par Ama et finit par Zon, dont on connaît les pratiques fiscales », explique t-il, toujours auprès de Franceinfo
Une opinion également partagée par des personnalités politiques, de François Hollande à Anne Hidalgo. « Nous ne devons sacrifier ni l’éducation, ni la culture, ni les commerces de proximité », a estimé jeudi la maire de Paris, qui « souhaite que nous gardions nos librairies ouvertes ». Quant à l’ancien Président de la République, il a regretté que « la culture [soit] sinistrée par les décisions prises » face à l’épidémie de coronavirus. S’il dit comprendre la logique de la fin des spectacles, cinémas et théâtres qui reçoivent du public, il désapprouve en revanche la décision de fermer bibliothèques et librairies : « Je pense qu’il faut revoir cette disposition. J’étais [mercredi] dans une librairie. C’est un lieu où les règles sanitaires peuvent être parfaitement respectées. Quand on n’a plus la liberté de circuler, on doit avoir au moins la liberté de penser, de lire. Ça fait partie de notre patrimoine. » (…)
En attendant, les librairies s’organisent, et comptent proposer à leurs clients le système de « click and collect », déjà en place lors du premier déconfinement, et qui permet de commander des livres en ligne puis d’aller les chercher sur place. Elles misent aussi sur le site LaLibrairie.com, qui permet de commander et de réserver son livre chez un libraire indépendant. « On a l’expérience du premier confinement. On devrait être capables de pouvoir répondre à la demande de nos clients », explique Georges-Marc Habib, libraire parisien, à Franceinfo.
« Monsieur le Président de la République,
À l’heure où les salles de spectacles, les musées, les centres d’art et les cinémas sont malheureusement contraints de nouveau à la fermeture, l’ouverture des librairies maintiendrait un accès à la lecture et à la culture dans des conditions sanitaires sécurisées.
En mars dernier, l’absence de masques, de gel, de protocole sanitaire face à ce virus ne permettait pas d’accueillir le public en librairie en toute sécurité. Depuis, les libraires se sont équipés et les gestes barrières sont parfaitement respectés dans leurs magasins. La librairie est un lieu sûr.
Le retour en nombre des lecteurs en librairie, jeunes ou adultes, à l’issue du premier confinement a illustré cette soif de lecture, porteuse de mille imaginaires, et cette volonté de défendre nos lieux de vie, de débats d’idées et de culture au cœur des villes. Sachons l’entendre.
À la veille du quarantième anniversaire de la Loi sur le prix unique du livre, rappelez avec nous, Monsieur le Président, que le livre n’est pas un produit comme un autre : c’est un bien qui doit être défendu par la nation, en toutes circonstances et en tous lieux.
Désormais, seul internet est autorisé à vendre des livres. Que les librairies indépendantes soient contraintes de fermer est totalement incompréhensible.
Comme vous le savez, ces librairies jouent un rôle que nul autre ne peut tenir dans l’animation de notre tissu social et de notre vie locale, pour la transmission de la culture et du savoir et le soutien à la création littéraire. Elles sont en outre un des plus efficaces remparts contre l’ignorance et l’intolérance.
Nous tous, libraires, éditeurs, écrivains, lecteurs sommes prêts à assumer nos responsabilités culturelles et sanitaires.
Ouvrir toutes les librairies, comme toutes les bibliothèques, c’est faire le choix de la culture. C’est un choix citoyen.
Monsieur le Président de la République, nous vous demandons, aujourd’hui, de laisser les librairies indépendantes ouvrir leurs portes, et de bien vouloir recevoir les représentants des signataires de cette lettre ouverte qui vous la remettront, masqués et en respectant les gestes barrières, dès que vous nous y inviterez. »
Une pétition qui compte parmi ses premiers signataires de grands écrivains, artistes et figures de la culture, comme Joann Sfar, Erik Orsenna, Delphine de Vigan, Renaud Capuçon, Philippe Delerm, l’ex-ministre et éditrice Françoise Nyssen, et de nombreux libraires et éditeurs.
— La réaction du gouvernement —
Le gouvernement s’efforce de calmer la colère des libraires. « Par souci d’équité », les rayons livres des hypermarchés et autres grandes surfaces ferment temporairement (…) Le gouvernement tente ainsi d’étouffer la polémique issue de la distorsion de concurrence qu’entraîne l’exploitation d’un rayon de produits « non essentiels » par Carrefour, la Fnac et autres distributeurs de « produits essentiels ». Plusieurs voix avaient évoqué l’aberration de la fermeture des libraires, alors que la Fnac, ouverte parce que pourvoyeuse d’ordinateurs, de téléphones et de ramettes de papier dits essentiels au télétravail, pourrait vendre ses livres. C’est « dans un souci de responsabilité » que l’enseigne fermera l’accès à « ses rayons culture », a finalement fait valoir son directeur général, Enrique Martinez, vendredi soir.
Et qu’en pensent les premiers concernés ?
Écrivains et acteurs du monde du livre ont trouvé cette décision absurde. Joann Sfar réagit à cette mesure avec ses mots de juste et légitime colère : « Prix littéraires repoussés. Championnat du monde de la connerie maintenu ». Les Académiciens Goncourt, par exemple, solidaires des libraires, n’annonceront pas le Prix ce mercredi 10 novembre, ainsi que c’était initialement prévu : sa proclamation ultérieure sera liée à l’évolution des décisions gouvernementales et de la situation sanitaire.
Les Syndicats aussi montent au créneau :
Et pourquoi considérer que les livres ne sont pas essentiels ? Dans un communiqué officiel, les Syndicats nationaux de l’Édition et de la Librairie française se sont associés au Conseil permanent des Écrivains pour faire savoir leur désaccord avec la décision du gouvernement : « La lecture de livres est une activité essentielle à nos vies citoyennes et individuelles ». Les librairies, prises d’assaut jeudi 29 octobre, ont d’ailleurs prouvé leur importance en ces temps difficiles puisque les ventes avaient augmenté de 12% par rapport à la même période (de mai à septembre) en 2019, selon le Syndicat de la librairie française.
Fort-de-France, le premier novembre 2020