Faire des biodéchets une ressource : la révolution de la fermentation environnementale

— Par Claire Dumas & Éric Trably.(*)  —

Les biodéchets comprennent les déchets alimentaires, les déchets verts issus des jardins, et d’autres matières organiques biodégradables provenant des ménages, de la restauration et des industries agroalimentaires. Parmi les voies de valorisation, le compostage et la méthanisation (dégradation biologique en absence d’oxygène de la matière organique en méthane) sont des procédés connus du plus grand nombre.

La fermentation environnementale est un type de biotechnologie qui propose d’utiliser un ensemble de microorganismes pour réaliser un processus fermentaire naturel dans un environnement contrôlé pour convertir les déchets complexes en produits utiles (bioénergies, molécules biosourcées d’intérêts pour utilisation en chimie verte, etc.).

Une très grande diversité microbienne dans les biodéchets

Alors que les processus microbiens sont identiques à ceux des fermentations alimentaires qui produisent yaourt, vin, bière, etc., la particularité des fermentations environnementales est de devoir faire face à une multitude de biodéchets différents qui varient en composition et dans le temps. La conversion de cette grande variété de déchets nécessite l’implication d’un grand nombre de bactéries fermentaires qui cohabitent de manière naturelle pour dégrader les déchets organiques. Ces cultures bactériennes, dites cultures mixtes, sont présentes au sein même des déchets ou peuvent être ajoutées ; leur diversité permet de s’adapter aux différents déchets à traiter.

Les fermentations environnementales constituent donc une solution de traitement et de valorisation des biodéchets de l’activité humaine en produits pouvant être intégrés aux différents secteurs de la bioéconomie : vecteurs énergétiques (hydrogène, méthane), molécules plates-formes (acides carboxyliques, alcools), fertilisants organiques utilisables en agriculture, etc.

Schéma du processus de fermentation environnementale. Silÿam Illustration, Fourni par l’auteur

Optimiser et stabiliser la conversion des déchets

Nos travaux de recherche actuels ont pour objectif d’acquérir des connaissances tant sur les procédés de fermentation que sur les interactions microbiennes. Ces connaissances permettront de mieux maîtriser la conduite de la fermentation environnementale pour optimiser et stabiliser la conversion des déchets. La fermentation en cultures mixtes constitue un modèle d’étude en biotechnologie particulièrement intéressant, car parfaitement adaptée à l’étude des interactions entre microorganismes.

En effet, au regard du peu de leviers d’action disponibles (pH, température), la maîtrise des cultures mixtes bactériennes et de leur métabolisme passe par l’utilisation de mélanges de bactéries, autrement dénommés consortia, qui peuvent être enrichis en bactéries d’intérêt et maîtrisés.

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Vers une production de biohydrogène

Les nouvelles voies de valorisation ouvertes par la fermentation environnementale permettent notamment de produire de l’hydrogène, autrement dénommé biohydrogène. L’hydrogène (H2) représente à l’heure actuelle un vecteur énergétique très intéressant pour de nombreuses filières (transport, chimie, etc.) et constitue une alternative possible aux vecteurs énergétiques traditionnels basés sur les ressources fossiles.

De plus, la production de biohydrogène est une étape intermédiaire de la méthanisation. Cette dernière se réalise par combinaison de plusieurs bactéries ayant des rôles bien distincts. Les premières, les bactéries hydrolytiques, coupent la matière organique en molécules plus petites (sucres, acides aminés, lipides…). Les deuxièmes, dites bactéries fermentaires, vont transformer ces molécules en acides organiques, alcools, hydrogène et dioxyde de carbone qui seront transformés au cours de la dernière étape par d’autres microorganismes (des archées) qui finalisent la transformation des déchets en méthane, gaz naturel vert.

En stoppant la transformation à l’étape de production de méthane, l’hydrogène s’accumule. Même si moins intensive, la production d’H2 à partir de déchets par fermentation présente de réels atouts, tel qu’un très faible impact environnemental, une extraction facilitée des gaz de fermentation (production d’hydrogène sous forme gazeuse), un potentiel économique complémentaire à la filière de méthanisation via la production d’acides organiques, éléments précurseurs pour des valorisations en industrie chimique. De plus, cette production de biohydrogène bénéficie de l’implantation territoriale de la filière de la méthanisation – filière mature en expansion – tout en maintenant le service écosystémique de traitement/revalorisation des déchets.

Des essais en cours pour changer d’échelle

Le projet de démonstrateur industriel Métha-Hyn tend justement à intégrer la production d’H2 au sein de filières existantes. Pour cela, des essais en réacteurs pilotes d’environ 300 litres sont en cours de réalisation pour démontrer la faisabilité de la solution en environnement industriel.

Le contrôle des procédés de fermentation est un facteur important de leur stabilité. Les paramètres clés sont le contrôle du pH légèrement acide (autour de 5,5), la sélection de bactéries naturellement productrices d’hydrogène, et également le contrôle du type de déchets à valoriser. En effet, seuls les sucres facilement accessibles peuvent être convertis en H2 et cela nécessite de bien choisir les déchets à traiter, comme les biodéchets qui sont constitués principalement de déchets alimentaires (ex. pelures de légumes, fruits, résidus de pain…).

Des prétraitements favorables à la libération de ces sucres peuvent être utilisés (traitement à l’acide, par extrusion, à haute température, ou par une combinaison de techniques). Néanmoins dans ce procédé de fermentation, l’H2 produit ne représente qu’au maximum un tiers de l’énergie contenue dans les substrats, les deux tiers restants étant sous forme de sous-produits métaboliques (biomolécules, acides gras volatiles, alcools) ou de matières non hydrolysées mais biodégradables. Il s’avère donc indispensable de coupler ce procédé à d’autres moyens de valorisation.

La piste des acides organiques des biodéchets pour une chimie plus verte

Des acides organiques peuvent aussi être produits par des fermentations environnementales et se substituer aux molécules issues de l’industrie pétrolière. Des molécules, essentielles à la production de biopolymères et de carburants de type jet fuel, font l’objet de recherches innovantes. Dans le cadre de plusieurs projets tels que les projets européens Bioctane et Ecoval, la fermentation de biodéchets en acides carboxyliques dites molécules plates-formes constitue une étape clé pour, par exemple, la production de carburants soutenables pour l’aviation. Grâce à un large spectre de substrats, incluant boues urbaines, résidus de protéines et lipides, cette approche permet de diversifier les produits utilisables. La fermentation est ici réalisée dans des conditions proches de la neutralité pH avec un renouvellement fréquent du milieu pour empêcher le développement des bactéries qui produisent du méthane, ce qui favorise une accumulation à haute concentration des acides gras volatils (AGV).

À ce jour, l’extraction de ces AGV en mélange reste un verrou technologique à lever, nécessitant des solutions adaptées pour maximiser leur valorisation. Les fermentations environnementales, alliant durabilité et innovation, ouvrent des perspectives prometteuses dans une économie circulaire.

Complexité microbienne et stratégies innovantes

Les procédés environnementaux de fermentation sont donc riches en potentialités et représentent aussi bien des procédés de traitement de déchets qu’un moyen de recycler et stocker une partie des déchets pour une gestion durable et circulaire des ressources. Toutefois, certains verrous restent à lever notamment leur certaine instabilité inhérente à la variabilité et l’hétérogénéité subie des déchets et à la grande richesse des communautés microbiennes impliquées.

Une meilleure connaissance des interactions entre microorganismes régissant le fonctionnement de ces communautés permettrait de proposer des modes de contrôle innovants. Entre autres, de nouveau procédé d’électro-fermentation, ou fermentation électro-assistée, sont en cours de développement, permettant de lever certaines barrières thermodynamiques associées à ces transformations.

À propose des auteurs :

Claire Dumas. Chercheur en génie des bioprocédés, Inrae.
– Éric Trably. Directeur de Recherche INRAE – Directeur d’Unité.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Source : WeDemain