–— Par Jean-Marie Nol —
L’économie guadeloupéenne, déjà marquée par des fragilités structurelles et une forte dépendance à la fonction publique, s’apprête à affronter une révolution d’ampleur inédite. Avec le développement technologique actuel, l’intelligence artificielle est de plus en plus présente dans nos vies. Son impact se ressent particulièrement dans le secteur économique à travers l’innovation, la croissance de la productivité et l’aide à la prise de décision.
Toutefois, à l’instar de toute nouvelle technologie, l’utilisation de l’IA dans l’économie présente des limites et de gros défis restent encore à relever. Qu’est-ce que l’IA nous réserve dans l’économie de la Guadeloupe à horizon 2035 ?
Que nous réserve l’emploi dans le secteur public dans les prochaines décennies ?
L’irruption de l’intelligence artificielle (IA) et de l’automatisation dans tous les secteurs de l’activité humaine annonce une transformation profonde du tissu économique de l’archipel guadeloupéen à l’horizon 2035. Cette transformation du marché du travail s’annonce comme l’une des plus importantes depuis la fin de l’ère esclavagiste et l’avènement de la première révolution industrielle .
Plusieurs tendances technologiques alimentent cette mutation. L’IA générative en est un moteur récent : depuis l’apparition de modèles comme ChatGPT fin 2022, les investissements dans l’IA générative ont été multipliés par huit et améliorent sans cesse les capacités d’automatisation. Dans ce contexte, il est crucial d’identifier quels métiers sont les plus menacés par la digitalisation et l’automatisation et quels nouveaux métiers connaîtront une forte expansion, afin d’anticiper les compétences à développer pour s’adapter à l’horizon 2035. L’ampleur de ces bouleversements s’inscrit dans une dynamique globale, où les algorithmes remplacent de plus en plus les humains dans des tâches répétitives, mais aussi, désormais, dans des fonctions à haute valeur cognitive ou créative. Dans ce contexte, la Guadeloupe, éloignée des grands centres de décision, mais connectée aux tendances mondiales, n’échappera pas à cette mutation. Et force est de constater que la Guadeloupe n’est pas du tout prête à affronter ce bouleversement majeur de la société guadeloupéenne à horizon 2035 .
Nous en voulons pour preuve l’exemple affligeant qui nous est donné de voir à travers la récente nomination d’un retraité de 70 ans, à la direction par intérim du Syndicat Mixte de Gestion de l’Eau et de l’Assainissement de Guadeloupe (SMGEAG), et qui met crûment en lumière une problématique structurelle qui gangrène l’économie guadeloupéenne depuis des décennies : l’absence criante de cadres supérieurs locaux qualifiés pour occuper des postes de responsabilité stratégique. Si l’expérience de ce cadre compétent et retraité dans le domaine de l’eau justifie en apparence cette décision, il n’en demeure pas moins que devoir rappeler un septuagénaire à la tête d’une institution aussi cruciale et en grande difficulté financière constitue un signal d’alarme révélateur du déficit de renouvellement managérial sur le territoire. Cette situation met en évidence le retard accumulé par les structures économiques locales à générer une élite dirigeante, apte à répondre aux besoins managériaux complexes de demain. Alors même que la révolution technologique portée par l’intelligence artificielle s’impose à marche forcée dans tous les secteurs d’activité, la Guadeloupe semble manquer à l’appel des grandes transitions, non seulement par l’insuffisance de ses infrastructures d’innovation, mais surtout par l’absence de formation adaptée à l’université des Antilles pour anticiper les métiers émergents et les compétences de haut niveau que nécessitera l’économie de 2035.
D’ici 2035, les effets conjugués de l’IA et de l’automatisation impacteront de manière différenciée les secteurs d’activité locaux. Les métiers administratifs, très représentés dans le paysage guadeloupéen du fait du poids prépondérant de la fonction publique, sont en première ligne. Des tâches telles que la saisie de données, le secrétariat, la gestion de dossiers ou la comptabilité de base seront largement automatisées. Les services publics eux-mêmes devront se réorganiser face à l’émergence d’agents virtuels capables de traiter des demandes administratives avec une rapidité et une précision inégalées.Plusieurs secteurs et métiers sont identifiés comme particulièrement à risque de disparition ou de réduction significative en Guadeloupe d’ici 2035 : Administratif et support de bureau : Les tâches de secrétariat, saisie de données, tenue de dossiers ou comptabilité de base peuvent être largement confiées à des logiciels d’IA. Selon une étude de l’OCDE, plus de 90 % des emplois de bureau pourraient être automatisés d’ici 2035 .Cela en fait l’un des domaines les plus exposés à la disparition de postes en Guadeloupe .
De même, les postes d’agents de saisie de données ou de standardistes sont amenés à décliner fortement. Une telle réorganisation pourrait fragiliser un grand nombre d’emplois considérés comme stables aujourd’hui, provoquant une onde de choc sur le marché du travail local.
Le secteur du transport, autre pilier de l’économie guadeloupéenne – notamment à travers les livraisons, le fret maritime et routier ou les services de taxi – sera profondément bousculé par l’arrivée des véhicules autonomes. Dans un territoire insulaire où les échanges intercommunaux reposent en grande partie sur la route, l’automatisation des véhicules promet une efficacité accrue, mais au prix d’une réduction significative des besoins en conducteurs humains. D’ici dix ans, une grande partie de ces métiers pourraient disparaître ou se restreindre à des fonctions de supervision technique, accentuant le besoin de requalification.
Même le tourisme et l’industrie locale, bien que réduite en taille, seraient concernées . L’IA bouleversera les métiers du tourisme et l’industrie du tourisme en transformant la façon dont les voyageurs planifient, réservent et vivent leurs expériences.
Les rares usines de transformation ou d’embouteillage, notamment dans l’agroalimentaire et la restauration , intégreront davantage de robots intelligents dans leurs chaînes de production. Cela pourrait assurément nuire à l’emploi des ouvriers peu qualifiés, au profit de techniciens en maintenance automatisée, dont la formation fait aujourd’hui défaut dans l’offre éducative guadeloupéenne. Le risque d’un décrochage technologique est donc réel si la montée en compétences n’est pas anticipée.
Mais cette révolution n’est pas que destructrice. Elle est aussi porteuse d’opportunités que la Guadeloupe semble aujourd’hui incapable de saisir. Le Forum économique mondial prévoit la création de 170 millions de nouveaux emplois liés à l’IA d’ici 2030, contre 300 millions supprimés . Dans une note d’analyse publiée le 26 mars dernier, la célèbre banque d’investissement Goldman Sachs prédit que « jusqu’à 300 millions d’emplois à temps plein » seront automatisés à travers le monde, et ce « en raison de la dernière vague d’intelligences artificielles ». Aux États-Unis et en Europe, pas moins des deux tiers des emplois actuels seraient « exposés à un certain degré d’automatisation ». L’enjeu pour la Guadeloupe sera donc d’anticiper les destructions massives d’emplois et de capter une part de cette nouvelle économie numérique. Cela suppose de s’orienter vers des métiers émergents : data analysts, techniciens en cybersécurité, spécialistes en gestion de l’automatisation, développeurs d’applications ou encore opérateurs de drones pour l’agriculture et la surveillance des milieux naturels. L’essor des énergies renouvelables, couplé à l’intelligence artificielle, pourrait aussi faire naître une filière locale de production, maintenance et gestion intelligente des réseaux électriques, propice à une moindre dépendance énergétique et à une nouvelle dynamique d’emploi.
Cependant, cette transition exige un effort massif d’anticipation et d’accompagnement. Les systèmes de formation professionnelle et les cursus scolaires doivent être radicalement repensés. L’arrivée de l’IA bouleverse déjà la manière dont la jeunesse envisage ses études. De plus en plus de jeunes diplômés, notamment de la génération Z (nés entre 1997 et 2012), estiment que leur parcours universitaire est en décalage avec les exigences du marché. Initialement encouragés par leurs parents et enseignants à poursuivre des études supérieures coûteuses, ils constatent aujourd’hui avec amertume que leurs compétences durement acquises peuvent être rapidement surpassées par des systèmes d’intelligence artificielle sophistiqués, capables d’effectuer des tâches complexes à moindre coût et en moins de temps. Selon une étude récente, près de la moitié d’entre eux considèrent leur diplôme comme obsolète face à l’IA. Cette perte de sens dans l’investissement éducatif alimente une crise de confiance, qui pourrait se révéler particulièrement aiguë dans un territoire où l’exode des jeunes diplômés est déjà préoccupant.
L’université et les organismes de formation doivent donc se réinventer. Il ne s’agit plus uniquement de délivrer des savoirs, mais de cultiver des compétences difficilement automatisables : créativité, pensée critique, intelligence émotionnelle, adaptabilité. La Guadeloupe ne pourra pas concurrencer les centres urbains nationaux et mondiaux sur le terrain de la technologie brute, mais elle peut miser sur une hybridation des savoirs, à l’intersection du numérique, de l’humain et du vivant. Cela implique de valoriser les métiers ancrés dans le territoire – culture, tourisme, agriculture durable, artisanat – en les connectant aux outils numériques et à l’intelligence artificielle.
Enfin, les pouvoirs publics locaux ont un rôle déterminant à jouer. Il leur revient de garantir une diffusion équitable des bénéfices de l’IA, d’éviter que les inégalités sociales ne se creusent davantage entre ceux qui sauront maîtriser ces outils et ceux qui en seront exclus. La transition vers l’économie numérique ne peut être laissée aux seules forces du marché. Elle doit s’inscrire dans une vision collective, avec des politiques de soutien à l’innovation locale, au tissu entrepreneurial, à la formation continue, et à l’inclusion numérique dans toutes les communes.
L’avenir économique de la Guadeloupe à l’horizon 2035 risque d’être celui d’un effondrement face à la machine, et c’est pourquoi doit émerger un rééquilibrage entre ce que l’humain sait faire de mieux et ce que la technologie peut faire à sa place. Si l’IA supprime des emplois, elle libère aussi du temps, de l’énergie et des possibilités créatives. Encore faut-il que ces gains soient convertis en progrès partagés. C’est à ce prix que la Guadeloupe pourra tirer parti de cette révolution pour affirmer un nouveau modèle économique plus autonome, plus intelligent et plus humain.
» Piman-la pa ka janmèn montwé fos ay’ «
Littéralement : Le piment ne montre jamais sa force
Moralité : Méfiez-vous de l’eau qui dort , autrement dit de la force inimaginable de l’intelligence artificielle…
Jean Marie Nol économiste