— Publié le 2021-06-22 | lenouvelliste.com —
Les gangs, en majorité du G-9, ont conquis et renforcé leurs positions depuis plus de deux semaines. Ce week-end, ni les menaces du directeur a.i. de la police Léon Charles, ni les envolées du Premier ministre a.i. Claude Joseph, ni la prise de parole du président Jovenel Moïse n’ont empêché le pillage systématique de trois entrepôts sur la nationale numéro un, à proximité des principaux ports commerciaux et du terminal pétrolier de Varreux.
Au boulevard La Saline et dans les parages, l’on est sur le qui-vive. Les containers transportant des marchandises de produits alimentaires aux médicaments, les camions de transport du carburant sont aussi rares que le sourire d’une veuve.
Entre Martissant 1 et 23, les violents accrochages armés ayant débuté le 1er juin n’ont pas cessé. On n’a pas avec précision les chiffres sur le nombre de personnes ayant été descendues par des tireurs embusqués, ni sur celles qui ont fini dans l’estomac des chiens. Après la razzia de logis, des commerces, c’est une succursale de la Sogebank qui a été vandalisée dans la nuit du 21 au 22 juin.
À Laboule 12, pendant tout le week-end et en début de semaine, la peur au ventre, des habitants de ce quartier huppé, perché dans les hauteurs de Pétion-Ville, décrivent des concertos, semblables à ceux des Balkans du temps de Milosevic. Le temps, entre-temps, passe et dévoile l’incapacité des autorités à mettre en déroute les bandits.
Cette «atmosphère chaotique où la société vit dans la peur, l’économie s’arrête, les investissements s’éteignent, les faillites s’accumulent, les services publics s’effondrent, la vie sociale disparaît et la corruption prend de l’essor », est la seconde phase de l’alliance entre des autorités publiques et les bandits, a confié au journal Le Nouvelliste, l’ex-sénateur Youri Latortue, ex-officier des FAd’H et ancien commissaire de la PNH.
« C’est dans cette anarchie criminelle, au gré des luttes entre les gangs et un État affaibli qui ne peut plus intervenir, ni techniquement, ni moralement, que nous nous trouvons pour le moment », a poursuivi Youri Latortue, qui écarte l’option de l’intervention d’une force étrangère qui pourrait, sans doute, globalement stabiliser le pays mais sans garantie « d’effacer le banditisme politisé, tel qu’implanté par les dirigeants ces dernières années ».
« La solution requiert un consensus de la société civile et politique. Il faut rejeter les dirigeants qui entretiennent ces maux, changer le leadership de la force publique et implémenter des corrections intégrées et reliées à tous les secteurs touchés », a prôné l’ex-sénateur Youri Latortue, ancien allié de Jovenel Moïse, irascible opposant du président et des Tèt Kale dont il a provoqué l’ire avec l’enquête sur l’utilisation des fonds PetroCaribe.
Dr Réginald Boulos, leader de MTVAyiti, qui cumule les casquettes d’hommes d’affaires et chef de parti politique, abonde dans le même sens. L’entrepreneur a appelé le secteur privé à exiger la démission du président Jovenel Moïse et la formation d’un gouvernement provisoire face à la « situation quasiment anarchique ».« Le secteur privé doit exiger la démission du Président dans le cadre d’un accord politique et participer activement à la formation d’un gouvernement provisoire. Il doit travailler avec les acteurs/opérateurs politiques, les forces vives de la société civile sur le choix du gouvernement d’entente nationale », a confié au journal Le Nouvelliste, Dr Réginald Boulos.
« Ce qui se passe à Martissant, au bas de la ville et à Laboule témoigne de l’incapacité des dirigeants haïtiens qui n’accordent aucune importance aux droits à la vie et de leur complicité avec les gangs », a estimé Me Gédéon Jean, responsable du CARDH. « Ce que nous vivons aujourd’hui est la conséquence directe de la complicité entre nos dirigeants et les gangs armés bénéficiant de leurs multiples supports dans une double perspective de consolidation du pouvoir et des prochaines élections », a indiqué Me Gédéon Jean, soulignant que cette situation a déjà fait au moins une soixantaine de morts dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince.
« Malheureusement, la Police nationale d’Haïti (PNH), dont la mission est de protéger et servir, est dépassée par les évènements », a regretté le militant des droits de l’homme, qui déplore le manque de moyens, la politisation de la PNH. « La société civile doit accompagner la population pour exiger le redressement de la situation. Ce qui passera par la démission de certains responsables, la mise en infériorité psychologique des gangs, des engagements pour la mise en place d’un programme de désarmement sérieux », a appelé Me Gédéon Jean.
Bourbier du pouvoir PHTK-Jovenel Moïse
« La situation dans laquelle nous pataugeons est le fait du pouvoir PHTK-Jovenel Moïse. C’est leur mode de gouvernance. Nous ne pouvons donc compter sur eux pour nous sortir de ce bourbier. Cette situation est inhérente à leur présence à la tête de l’État », a confié au journal Le Nouvelliste, Vélina Charlier de Nou pap Dòmi. « Ce gouvernement, a-t-elle poursuivi, pratique le terrorisme d’État. Il ne faut pas se leurrer et espérer mieux d’eux. Tant et aussi longtemps que les de facto seront au pouvoir, notre pays sera invivable et nous mourrons tous ».
« Pour résoudre les nombreux problèmes et notamment le grand problème de l’insécurité programmé, il faut le départ sans condition du pouvoir de facto et un gouvernement de transition de rupture. Une transition portée et soutenue par des citoyens intègres, patriotes qui feront montre de rigueur et de compétence. Dans un sens plus large, les citoyens. La société tout entière. Le moment est à la rupture. Pour nous en sortir, nous devons rompre avec les pratiques antidémocratiques, antirépublicaine et anti-peuple », a-t-elle appelé.
S’organiser pour faire échec à un plan machiavélique
« Nous, citoyens, devons nous organiser pour faire échouer cette volonté machiavélique de tuer Haïti. Le moment est venu de nous rassembler entre gens de bien pour mettre une fin à la mafia. Les citoyens ne doivent plus se taire, car aujourd’hui plus que jamais leur silence donne force aux bourreaux. La société civile doit prendre les devants et apporter sa contribution pour trouver une solution qui sera en faveur des revendications populaires. Chaque personne doit contribuer à sa manière. Il nous faut faire face à nos démons et sortir de notre indifférence. Nous ne pourrons pas tous quitter Haïti. Nous ne pourrons pas continuer à faire semblant que notre petit monde va bien. Il faut donc s’impliquer socialement et politiquement. Le temps de fuir les sphères politiques est révolu. Pour résoudre nos maux, dont la gangstérisation du pays, il faudra une volonté politique, d’abord et avant tout. Et, cette volonté politique devra être portée par des citoyens intègres et compétents », a confié au journal Le Nouvelliste Vélina Charlier de Nou Pap Dòmi.
« La population doit ouvrir les yeux et se rendre compte de la réalité. Il ne s’agit pas de gangs qui quittent le bas de la ville pour s’installer dans les quartiers chic. Non ! Il s’agit d’une volonté politique d’installer une milice pour éliminer toute opposition à cette situation invivable. Ce n’est pas seulement nos vies qui sont en danger mais l’avenir du peuple haïtien car nous assistons, impuissants à l’éradication de l’être haïtien », a appelé Vélina Charlier, qui dézingue la communauté internationale.
« Il faut aussi parler du fait que la PNH est quasiment 100% financée par les États-Unis d’Amérique, cette police inefficace, passive, répressive et violente envers la population est de fait une police formée et payée par des étrangers, soi-disant amis d’Haïti. Il faut souligner la complicité et le support indéfectible du CORE Group au gouvernement corrompu, impuni, de facto de Jovenel Moïse. Cette complicité pouvoir-gang s’est faite ailleurs au détriment des peuples. Il suffit de penser à la Somalie ou au Rwanda pour craindre le pire pour notre pays», a indiqué Vélina Charlier.
R. Alphonse