— Par Philippe Charvein —
« Verre de Terre » : expression allusive, construite sur un rapprochement phonique entre les deux termes qui la constituent et qui suggère d’emblée une correspondance entre ces deux matières…d’où la vie a surgi ; d’où tout a commencé en somme. La paronomase (Verre/Terre) nous rappelle que le minéral, la silice, qui constitue une majeure part de la croute céleste, entre dans la composition du verre ; comme si le retour à un élément premier de la Nature portait en lui une puissance créatrice, signifiée ici par des formes arrondies, des contenants, des objets…procédés suggérant la créativité humaine. Les maîtres verriers ne sont-ils pas, symboliquement, investis du pouvoir magique de transformer l’épaisseur de la matière en pure transparence comme en cristaux colorés ?
Le verre, ce médium privilégié au moyen duquel les artistes conviés-conviées s’efforcent de restituer une présence, de saisir une identité – tant intérieure que collective -, de figer ce mystère de notre condition humaine ; mystère qui lui donne son assise, même confrontée aux périls qui la menacent.
Autant de déclinaisons du verre, donc, comme autant de déclinaisons d’une humanité en quête de sens et de perspectives ; une humanité d’autant plus « forte » qu’elle est « fragile » (menaçant de se casser) et dont chaque tracé, chaque contour, chaque tesson, chaque éclat évoque une permanence de la vie. Le sable originel, symbolisant à la fois l’effritement de la terre et la menace que les terriens subissent, de même que le pouvoir bâtisseur et constructif de l’homme : voilà, en quelques mots, illustrée la philosophie qui caractérise l’oeuvre de Fabienne CLAU. OEuvre qui s’inscrit dans la série des « Génome » et dont la particularité est de présenter une sphère posée sur du sable. Sur cette sphère, nous remarquons des signes et des formes énigmatiques évoquant la vie multiple qui résulte précisément de ce pouvoir, en témoigne la multiplicité de ces signes et de ces formes qui s’imposent réellement comme une…écriture première ; laquelle écriture est inscrite en profondeur, nous inscrivant – par la même occasion – dans les profondeurs d’une cellule-mémoire de notre patrimoine génétique, de notre mémoire.
Après le sable et la sphère, place à la carapace de la tortue proposée par Anaïs PEGOURIE. Carapace massive, évoquant métonymiquement la présence de la tortue ; l’un des animaux illustrant le mieux notre milieu marin, à la fois dans sa richesse et sa fragilité du fait des actions humaines. Malgré l’absence effective de l’animal, cette carapace – sans défaut – suggère toutefois une certaine idée de permanence propre à cet être vivant. Permanence illustrée notamment par l’emploi de la couleur marron ; sorte de glaise originelle, elle aussi, inscrivant l’animal dans une longue lignée vitale (bien avant notre humanité) rehaussée, qui plus est, par les mystérieux signes qui la parsèment à l’intérieur (comme un ADN premier ?) …Nouvelle illustration de cette plongée à la rencontre de notre monde ; de notre mémoire…de notre histoire ; notre humanité découlant du milieu aquatique, forgée qu’elle est par ces premiers gènes.
Le verre est ce médium au moyen duquel l’artiste signifie le jaillissement de la vie, à l’instar de cette forme féminine émergeant de la pierre que nous propose Laëtitia BONTEMS. Forme féminine (à laquelle est lié un érotisme manifeste) saisie par le biais du bleu, symbole d’éternité conférée par l’élément marin. Forme féminine illustrant donc toutes les possibilités vitales de notre humanité…Notre humanité qui a dû lutter pour s’extraire de l’informel et gagner ainsi son droit à l’expression, à la quête de sens. Les mains jointes au-dessus de la tête sont symptomatiques de cette lutte pour l’existence ; pour la pleine réalisation d’une identité…Laquelle identité qui reste d’ailleurs à parachever, en témoignent les jambes encore « prisonnières » de la pierre originelle.
Grâce au verre et à sa symbolique, par ailleurs, Laëtitia BONTEMS parvient à restituer la forme d’un être vivant ayant disparu depuis fort longtemps : l’ammonite. « Ammonite 2022 », du nom de cette autre sculpture proposée par l’artiste et qui affiche – fièrement – la matérialité de sa présence, de son être…surplombant, dominant de sa masse la frêle roche volcanique de laquelle il a émergé et qui – maintenant – lui sert d’écrin.
Apprécions le mouvement ample de cet être – figé par le verre – et qui fait ressortir la vie qui « continue » de l’animer ; ce mouvement d’aile, comme un « doigt » levé traduisant une volonté d’exister parmi les flots ; de montrer encore sa présence et son appartenance à un milieu auquel il a donné sens au cours des premiers moments du monde.
Derrière le matériau qu’est le verre, il y aurait la possibilité de figurer cette assise dont a besoin notre humanité…surtout en ces temps aussi incertains. C’est dans cette optique que s’inscrit « La Cale » proposée par Thomas PARMENTIER…Une structure en verre comme… « aplatie » sur une sorte de tronc et supportant – éprouvant ? – le poids d’un autre tronc : symbole fort, en effet, que cette structure en verre qui supporte (qui porte) sans se briser et qui garde intacte l’intégrité (physique) de son être tout en répondant à la tâche qui lui est assignée : assurer la stabilité d’une construction qui la dépasse ! Nous pouvons, ici, apprécier une antithèse symbolique entre le roseau qui ploie et le verre qui se brise : deux modalités de l’être et, peut-être, une philosophie de la conciliation des contraires.
Le verre, matériau à la fois solide et fragile…à l’instar de notre Terre. Cette idée est illustrée par les réalisations de Pascal LEMOINE. Réalisations qui se font l’écho des questions environnementales qui mettent notre société face à la responsabilité de ses actes et de ses décisions ; qu’il s’agisse de l’érosion de nos côtes (« Erosion ») ou de la problématique de l’eau (« Erigée aqua »). La situation est, certes, grave, en témoignent les nombreuses craquelures qui symbolisent la sécheresse et que l’on voit sur « Erigée aqua ». S’agissant de l’érosion évoquée sur la sculpture du même nom, nous voyons qu’elle s’affiche comme une béance manifeste.
Situation grave et critique, donc…peut-être pas inexorable, en témoigne, là encore, l’emploi d’un bleu évoquant malgré tout la permanence d’une chape nourricière…que l’on peut encore restaurer. Pour en revenir à l’« Erosion » qui nous est proposée, force est de constater que celle-ci est restituée par le biais d’une certaine beauté esthétique, comme le suggèrent les couleurs qui la parsèment…comme autant de possibilités de renaissances, de régénérescences.
« Rusted Days », du nom de cet ensemble que propose Thibaut NUSSBAUMER…Sept objets (des bouteilles, un vase, une jarre…) rongés par la rouille ; laquelle rouille symbolise le temps qui passe (et détruit tout). Mais cette rouille…figée, rendue esthétique par le verre, ne pourrait-elle pas symboliser également cette part – intime – de l’être qui demeure malgré tout ? N’y a – t – il pas, ici, trace d’une fulgurance – encore tapie – ne demandant qu’à s’exprimer de nouveau ? N’y a – t – il pas ici trace d’une…mémoire ne demandant qu’à se réinscrire dans le parcours d’une condition ? Cette rouille stylisée n’est pas, en effet, sans rappeler cette glaise originelle à l’origine de tout et qu’il importe, pour le maître verrier, de retrouver. Les brisures manifestes que nous observons à nouveau – blessures existentielles – n’empêchent pas cet ensemble d’objets de faire corps (de construire une certaine « humanité ») ; d’assurer une présence à la fois individuelle et collective…face au néant ; de s’inscrire dans une certaine verticalité, symbole d’élévation.
Que peut l’action violente d’un lion – le roi des animaux – face à cette capacité, qu’à le verre, de figer…pour l’éternité ? Pas grand-chose, si l’on se fonde sur la réalisation d’Antonio COS, intitulée « L’onde charrie des lions fauves ». Apprécions d’abord, d’un point de vue langagier, ce rapprochement phonique entre les termes « L’onde » et « lions », de même que l’opposition entre le pluriel « lions fauves » (qui s’impose comme une redondance sur la thématique de la violence bestiale) et le singulier « L’onde » … « L’onde » qui suffit à balayer (à contrecarrer) les ennemis puissants, si sûrs de leur force physique. L’onde qui balaie : voilà qui précisément est illustré par ces tracés verts qui entourent, enserrent le lion ; lequel ne peut résister au mouvement qui le contraint à l’impuissance. Notons également le rouge de la langue (rouge de la colère) rendant sensible – presque audible – l’impuissance du rugissement (que l’on n’entend pas) qui se perd dans les flots. Inversement, la prévalence du vert des tracés entourant le fauve, suggère la violence des flots qui l’entraînent…Condition pathétique, presque tragique de celui qui se retrouve prisonnier de rets, le contraignant à une posture humiliante ; cela, à l’instar de son semblable littéraire et dont le célèbre fabuliste a narré la mésaventure.
Citons enfin les réalisations d’AE-YOUNG-JEONG et de Jonathan DRI dont la finalité est de nous rappeler les questions philosophiques auxquelles est confrontée notre humanité : la liberté, le bien, le mal…Autant de questions nous invitant à prendre position, à contribuer à un changement de mentalité.
Philippe CHARVEIN, le 16/07/2023