Redécouvrir les premiers habitants des caraïbes
Jusqu’au 13 octobre, le Musée du Quai Branly – Jacques Chirac présente « Taïnos et Kalinagos des Antilles », une exposition exceptionnelle qui célèbre les civilisations amérindiennes des Caraïbes, les Taïnos et les Kalinagos, deux peuples qui ont marqué l’histoire des Antilles bien avant l’arrivée des Européens. Cette exposition rend également hommage à une première manifestation tenue il y a 30 ans au Petit Palais, sous l’égide de Jacques Chirac, alors maire de Paris. L’exposition de 1994, dirigée par le collectionneur Jacques Kerchache, fut un succès majeur, contribuant à changer le regard porté sur les arts non-occidentaux et à poser les bases de la création du musée du Quai Branly.
Un voyage dans l’histoire des Antilles
Les Taïnos des Grandes Antilles et les Kalinagos des Petites Antilles étaient les premiers peuples à vivre dans les Caraïbes avant l’arrivée de Christophe Colomb en 1492. Leurs sociétés florissantes furent les témoins directs de la première rencontre entre le Nouveau Monde et l’Europe, une rencontre qui allait bouleverser leur existence. L’exposition retrace cette histoire tragique, marquée par la colonisation, les guerres, et les maladies qui ont décimé ces peuples. Mais elle met également en lumière leur extraordinaire résilience et l’héritage qu’ils ont laissé dans les sociétés contemporaines créoles des Caraïbes.
À travers un parcours composé de 70 œuvres, dont une cinquantaine issues des collections du musée du Quai Branly – Jacques Chirac, cette exposition invite à explorer l’univers complexe de ces premiers habitants des Antilles. Sculptures, objets rituels, dessins, photographies et peintures contemporaines racontent une histoire riche, où se croisent art, spiritualité, et résistance face aux assauts de la colonisation européenne.
Les Taïnos : un monde englouti par la conquête espagnole
Les Taïnos, établis dans les Grandes Antilles (Cuba, Hispaniola, Porto Rico et la Jamaïque), sont les premiers Amérindiens à avoir été confrontés aux Espagnols lors de l’arrivée de Christophe Colomb en 1492. À travers des œuvres saisissantes, l’exposition révèle la richesse de cette civilisation presque éteinte, dont les vestiges, objets en bois, céramiques et pierres sculptées, témoignent d’une spiritualité complexe et d’une organisation sociale avancée. À l’époque de la colonisation, les Taïnos étaient organisés en petites principautés dirigées par des caciques (chefs), et occupaient un territoire vaste et fragmenté. La diversité de leur culture est mise en avant, ainsi que leur artisanat raffiné, en particulier les sculptures de « zemi », objets rituels liés à des divinités tutélaires.
Parmi les pièces emblématiques, on retrouve des pierres à trois pointes, mystérieux objets symboliques qui auraient eu des fonctions rituelles ou magiques, et dont l’usage reste encore débattu par les chercheurs. Une pierre de ce type, découverte à Porto Rico mais retrouvée sur l’île de la Dominique, est exposée, illustrant les échanges et conflits entre les peuples des Grandes et Petites Antilles.
Les Kalinagos : guerriers des Petites Antilles
Contrairement aux Taïnos, les Kalinagos, souvent appelés autrefois « Caraïbes insulaires », étaient connus pour leur organisation guerrière. Ils occupaient principalement les Petites Antilles (Dominique, Saint-Vincent, Grenade), et menaient des raids jusqu’à Porto Rico et sur le continent sud-américain. L’exposition met en lumière leur structuration politique, qui reposait sur des alliances locales et de puissantes coalitions guerrières. Moins hiérarchisés que les Taïnos, les Kalinagos ont opposé une résistance farouche aux colons européens, notamment les Français et les Anglais, jusqu’au XVIIe siècle.
Aujourd’hui, les Kalinagos subsistent principalement à la Dominique, où ils sont environ 3000 descendants à vivre dans une réserve dédiée. L’exposition souligne la résistance de ce peuple face à la colonisation et leur survie à travers les siècles, malgré la violence des conquêtes et la pression exercée par les puissances européennes.
Héritages et influence sur les sociétés créoles
L’exposition ne se contente pas de présenter ces civilisations disparues comme des vestiges du passé. Elle montre aussi l’empreinte durable qu’ont laissée les Taïnos et les Kalinagos sur les sociétés contemporaines créoles des Caraïbes. Techniques agricoles, pratiques de pêche, pharmacopée tropicale, et même vocabulaire, les premiers habitants des Antilles ont transmis un riche patrimoine à travers les siècles. Dans des îles comme la Dominique, Porto Rico ou Saint-Vincent, leurs descendants perpétuent ces traditions, fusionnées avec les cultures africaines et européennes arrivées par la traite et la colonisation.
Des découvertes récentes en archéologie et en génétique révèlent que, malgré les ravages de la colonisation, les traces des populations taïnos perdurent. À Porto Rico, par exemple, une large partie de la population présente des marqueurs génétiques taïnos, ce qui souligne la persistance de cet héritage malgré les siècles d’oppression.
Les nouveaux regards sur les Taïnos et Kalinagos
Sous la direction d’André Delpuech, conservateur général du patrimoine, l’exposition s’inscrit dans une perspective contemporaine, avec une approche renouvelée de l’histoire et de l’anthropologie des Taïnos et Kalinagos. Le commissaire met en évidence l’importance des liens culturels et commerciaux entre les différentes îles caribéennes, ainsi que leur mobilité et leurs échanges, longtemps sous-estimés. Cette nouvelle lecture de l’histoire montre que les Taïnos et Kalinagos étaient loin d’être des entités culturelles isolées, mais faisaient partie d’un réseau complexe de relations à travers la mer des Caraïbes.
Enfin, l’exposition se termine par une réflexion sur la place des peuples autochtones dans les sociétés modernes, et sur la manière dont leur héritage est perçu et transmis aujourd’hui. Les œuvres contemporaines exposées résonnent avec cette question, offrant un dialogue entre passé et présent, et rappelant que les premiers habitants des Caraïbes continuent de marquer l’identité de cette région du monde.
« Taïnos et Kalinagos des Antilles », au Musée du Quai Branly – Jacques Chirac, est une invitation à découvrir l’histoire fascinante de ces peuples amérindiens, à travers une diversité d’œuvres qui nous rappellent l’importance de leur contribution à l’histoire des Caraïbes et à l’humanité.
Hélène Lemoine
Le samedi 14 septembre 2024 de 16h00 à 18h45
Projection suivie de débat dans le cadre de l’installation dans l’Atelier Martine Aublet de l’exposition Taïnos et Kalinagos des Antilles (4 juin-15 octobre 2024)
Projection du film Ici s’achève le monde connu d’Anne-Sophie Nanki
A la suite de la projection, il sera débattu du devenir des Kalinagos après la colonisation des Petites Antilles par les Français et les Anglais au 17e siècle : des guerres contre les envahisseurs européens, de leurs résistances jusqu’à nos jours où ils restent présents dans quelques îles : ainsi les Kalinagos à la Dominique ou les Garifunas à Saint-Vincent . Il sera aussi question des nombreux héritages que les Kalinagos ont laissé dans les sociétés créoles contemporaines avec André Delpuech, Conservateur général du patrimoine, Centre Alexandre Koyré (EHESS), Benoît Roux, Université de Rouen Normandie, et Anne-Sophie Nanki, réalisatrice.
Ici s’achève le monde connu de Anne-Sophie Nanki (2022, 25 minutes, VOST, FR)
1645. Guadeloupe. Ibátali, indigène Kalinago épouse d’un colon français, entraîne Olaudah, captif africain en fuite, dans un périple où il peut perdre la liberté et la vie. Elle est prête à le sacrifier pour sauver sa peau. Mais leurs blessures les rapprochent. Cela suffira-t-il pour qu’ils deviennent autre chose que ce que la colonisation a décidé qu’ils seraient : une sauvage à exterminer, un Africain à esclavagiser ?
Un mot de la réalisatrice : « J’ai écrit cette histoire pour porter un regard différent sur les premiers temps de la présence française aux Antilles, en proposer un contre-récit méconnu. En Guadeloupe, dont je suis originaire, les Kalinagos, nation indigène qui peuplait les Petites Antilles, ont disparu.
J’ai voulu me pencher sur le sort de ces oubliés, raconter les conséquences de la colonisation et de l’esclavage dans l’intimité de la chair, des affects, des subjectivités, des familles aussi, avec une attention particulière portée aux corps des femmes, entravés, violés, mutilés vivants, marchandés. »
Source : verticalproduction.fr