— Par Dominique Daeschler —
La ville de St Claude dans le Haut Jura est traditionnellement connue pour le travail de l’ébauchon de bruyère (pour la fabrication des pipes), ses lapidaires et lus encore comme un lieu fondateur des coopératives ouvrières et de l’anarcho-syndicalisme. Elle est aussi le siège d’un musée singulier, le musée de L’abbaye qui abrite les donations de deux peintres (Guy Bardone et René Genis) où l’on croise Bonnard, Vuillard, Picasso, Buffet et tant d’autres. …dont Rebeyrolle. Choix de peintre à l’œil exercé, acéré.
C’est autour des œuvres de Rebeyrolle et du mouvement de la Jeune Peinture que la conservatrice a construit une exposition subtile dont le succès envoie le mot Province aux oubliettes !
Focus sur un Rebeyrolle proche de Courbet et du retour du réalisme
Dès 1948, Paul Rebeyrolle s’engage dans le Manifeste de l’Homme Témoin aux côtés de Bernard Carjou, Yvonne Mottet, Michel Thompson, Simone Dat et Michel de Gallard. L’exposition présente essentiellement des œuvres de la période 1949_1955, années d’appartenance à la Ruche où les peintres ont à cœur, au lendemain de la seconde guerre mondiale, de replacer l’homme au cœur de leurs préoccupations en créant le mouvement de la Jeune Peinture. Temps des engagements politiques mais aussi d’une peinture qui aborde des thèmes classiques ( natures mortes, paysages, portraits) dans des tons de terre brûlée : l’agneau mort ( 1954) ; l’atelier de la Ruche( pointillisme et unité de brun mordoré 1952) ,la chienne attachée(1953)saisissante de résistance, le paysage à l’échelle ( du rouge à l’ambre 1953),la femme au gant ( dans la position de l’homme au gant du Titien 1950) qui rappelle fortement Courbet.
La période matiériste
A partir de 1968, Rebeyrolle commence des séries exprimant des prises de position selon les évènements sociaux et politiques : Guérilléros(1968), Faillite de la science bourgeoise(1973), Natures mortes et pouvoir (1975)…Peu à peu Rebeyrolle intègre des matériaux organiques à ses peintures. De cette période, matiériste, la plus connue du peintre le choix a té judicieusement fait sur ce qui pouvait faire écho et lien avec ses huiles plus classiques. Le poisson carpe et lapin( 2001) qui introduit dans la toile fils et coton, le lapin étant en travers de la carpe ;l’arbre ( 2000) avec un vrai nœud d’arbre intégré et une composition en mille cellules comme une explosion de vie et le sanglier fait de foin, de colle, de coton peint, laissant parfois la toile à nu cernant le mot.
Le film de Gérard Rondeau
Comment ne pas parler du film de Gérard Rondeau ? Photographe, journaliste, ambassadeur, j’ai eu la chance de rencontrer cet homme curieux à Reims. De façon exceptionnelle Rebeyrolle lui a ouvert son atelier en bourgogne (1994-1999), rondeau mettant son talent à laisser voir et plus encore entendre cet affrontement têtu et rêveur avec la matière. Des maîtres anciens (Le Caravage, Delacroix, Rubens, Titien, Le Tintoret) et d’admirables plans séquence sur le martyr de St Laurent à Venise, on passe à l’ancienne scierie ou Rebeyrolle peint, courbé sur la toile posée à plat sur des lits de camp (les formats sont gigantesques). Il manie les résines, empâte la toile, utilise la fourchette, la bombe, les pinceaux plats, la spatule, les doigts. Sa démarche hésitante, due à une tuberculose, est une poétique.
Sartre parlait du plaisir charnel de ses toiles, Foucault de leurs vibrations, d’une force bouillonnante : des qualités chères à Courbet.
Dominique Daeschler