Jusqu’au 3 février 2019 au Quai Branly
— Par Pierre Barbancey —
Plus que quelques jours pour aller voir cette magnifique exposition au musée du quai Branly-Jacques Chirac. « Peintures des lointains », de la fin du XVIIIe au milieu du XXe siècle, est une exposition salutaire et intelligente, riche et belle, qui ne cesse d’interroger sur la période coloniale, l’idée de la représentation et de son rôle politico-historique à usage des peuples.
L’exposition actuellement présentée au musée du Quai Branly (1) est étonnante. Etonnante d’abord par son foisonnement, sa richesse. Etonnante encore par l’intérêt historique qu’elle représente. Etonnante enfin par la découverte d’artistes injustement méconnus qui ont pourtant joué le rôle de véritables photos-reporters à une époque où voyager relevait souvent de l’exploit. Il est question de presque deux siècles d’histoire coloniale, du regard porté sur des lieux et des populations d’autres continents. Il est, ici, bien question d’héritage colonial. D’où l’intérêt de cette « promenade » au milieu de ces peintures européennes. « L’exposition s’efforce d’appréhender à travers les oeuvres quelques unes des formes de la relation entretenue par l’Occident avec l’ailleurs, en cette période de la fin du XVIIIe siècle au milieu du XXe siècle, cruciale pour l’exploration d’autres continents et pour l’impérialisme européen », écrit Sarah Lignier, commissaire de l’exposition. Elle ajoute: « Il y est question autant de fascination et de curiosité que de rapports de domination et de racisme » (2).
La collection du musée du quai Branly est issue de deux institutions qui l’ont précédé: le musée de l’Homme (collection d’ethnographie extra-européenne) et celles qui étaient conservées au Palais de la Porte Dorée (auparavant musée des arts d’Afrique et d’Océanie et auparavant encore musée de la Colonisation) devenu aujourd’hui musée national de l’histoire de l’immigration! Autant de restructurations qui, au-delà des oeuvres, témoignent déjà de quelques considérations politiques alors que la mémoire de la colonisation suscite encore pas mal de controverses en France.
La première partie du parcours est consacré à l’imagerie de l’exotisme. Un regard sur l’autre, sur l’ailleurs, bien sûr, où l’on sent le plaisir des peintres à cette lumière nouvelle, aux couleurs, à un imaginaire paradisiaque très « orientaliste », même s’il s’agit de l’Afrique ou de l’Asie. Il n’est qu’à voir « Campement des cavaliers arabes près de Tlemcen, Algérie », d Honoré Boze, datant de 1872 ou « l’Espace » dit aussi « e Sahara » par Maxime Noiré en 1900. Il faut se replacer dans cette époque où l’image ne circulait pas, n’envahissait pas l’espace et les esprits comme aujourd’hui, pour ressentir l’émotion voire la crainte qui pouvait saisir le visiteur de telles expositions. De même que – et c’est la deuxième partie – cette représentation de l’altérité, rendant compte de la diversité humaine (« Intérieur arabe » de Emile Bernard, 1895 ou « Deux indiens en pirogue » de François Auguste Biard, vers 1860).
L’intelligence de cette exposition est son principe initiale: ces collections sont restées près d’un demi-siècle sans voir la lumière. Comment les sortir si ce n’est en les replaçant dans leur contexte mais en essayant de montrer que tous les artistes bien que dépendant de la gangue coloniale n’en étaient pas pour autant de fervents partisans. Il n’empêche, cette entreprise coloniale était là et bien là. A l’entrée de l’exposition, les oeuvres de grands formats de Géo Michel « sont une invitation à réfléchir aux liens entre l’art et la politique ainsi qu’au pouvoir de l’image, écrit Sarah Lignier (2). Ce que Géo Michel dépeint, c’est un jardin d’Eden dans lequel les peuples colonisés mettent la richesse de leur sol à disposition de la métropole et où toute trace de labeur a disparu. De telles visions édulcorées et mensongères relèvent purement et simplement de l’idéologie ». Le pendant de ces (fausses) scènes magnifiées sont, évidemment, les séries de portraits des explorateurs, des conquérants des lointains (« Savorgnan de Brazza » par Jean Coraboeuf, 1920; « Portrait d’André Lebon, ministre des Colonies » par Paul Merwart, 1897). Il fallait bien aider ces peuples à entrer dans l’histoire, comme aurait dit le digne (et fier) héritier de ces périodes coloniales à qui l’on ne saurait trop conseiller de lire un magnifique ouvrage: « L’Afrique ancienne. De l’Accus au Zimbabwe. 20000 avant notre ère-XVIIe siècle » (3). Mais il est vrai que l’on pouvait lire, dans le rapport général, édité en 1933, consacré à l’Exposition coloniale internationale de Paris (1931): « Les voyages lointains, les croisières noires et jaunes ont brisé le cadre d’habitude casanières et ouvert nos yeux à la magie des danses barbares autour des fétiches baroques, des rites de la sorcellerie, des mystères de la forêt, de la savane ou de la jungle » (2)….
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