Exposition « Expériences de femmes »: à voir de toute urgence!

— Par M’A —

Le gros 4X4 de la Gendarmerie s’est garé devant le portail de la Poste. Deux imposants militaires, armés, vêtus de leurs gilets pare-balles sont sortis et se sont dirigés vers l’entrée de la Galerie. Les deux autres sont restés dans le véhicule qui chevauchait une partie du trottoir. Marlène, a eu un mouvement de recul. Je lui ai fait signe de continuer ce que nous avions décidé, visiter l’exposition. Au bout du couloir devant le comptoir où l’on vend les plats à emporter la silhouette des deux gendarmes masquait presque totalement, la vendeuse et le fond de la boutique. Marlène s’est dirigée vers la salle, aujourd’hui déserte, où il est possible habituellement de prendre son repas, et moi je me suis penché pour savoir de quoi il était question entre les gendarmes et la jeune femme derrière sont comptoir. Un des deux hommes s’est retourné et m’a souri tandis que son compère trop occupé à choisir un des bacs en plastic noir que lui montrait la vendeuse, continuait à me tourner le dos. Et j’ai compris! Non, pas d’enquête, pas d’investigation, pas de contrôle, ils étaient venus passer commande pour leur cantine de la semaine!

Ainsi a commencé notre visite guidée de l’exposition collective «  Expériences de femmes » au CAC ( Créole Art Café) à Saint-Pierre.

Après avoir salué la régente du lieu, qui promit de nous rejoindre un peu plus tard nous nous sommes dirigés vers le « lieu de naissance », proprement dit de l’exposition, signalé par un voile rose, cet espace confiné par lequel tout un chacun d’entre nous est venu au monde  et rebaptisé par Jehann Pognon et Betty Garçault, Uter IN. Cocon-prison qui balance du rose tendre au rouge sang dans une ambivalence revendiquée et assumée. A sa sortie, postée de coin, une horde de 20 femmes d’acier, veille au respect, hic et nunc de ce qu’elles sont, avec une détermination dont nul ne peut douter. Découpées au laser dans des feuilles de tôle, vieillies à l’acide, habillées de diversité, à l’image de leurs vies, les poings sur les hanches, elles jouent entre rugosité et finesse du détail, la partition, oh combien nécessaire !, de gardiennes d’un éco-féminisme en devenir.

Dès la première salle, nous entrons dans le vif du sujet, dans ce qu’il y a de spécifiquement féminin non seulement pour le genre humain, mais pour l’ensemble des mammifères, en dehors de quelque espèce de poisson. Un organe uniquement et exclusivement destiné au plaisir et dont seules les femmes sont pourvues : le clitoris. Une partie de la gent masculine, confrontée à la limite de sa capacité de jouissance, mise en regard à celle des femmes, n’a pu et ne peut encore le supporter. L’excision concernait en 2015, plus de 200 millions de femmes dans le monde ( 53 000 en France). Pratiquée dans 29 pays d’Afrique et du Moyen–Orient et, dans une moindre mesure, dans certaines communautés en Asie (Malaisie, Indonésie, Irak, Inde, Pakistan), en Amérique du Sud (Colombie, Pérou) ainsi que parmi les diasporas dans les pays où elle n’est pas traditionnelle (Europe, États-Unis, Canada et Australie), elle est l’expression particulièrement violente de la domination masculine.

Nadia Burner présente un tableau « Fanm joumon » et un dyptique « Chéloïde », sur la mutilation physique et « Clit-Test » en hommage au travail de Frances Rayner et Irene Tortajada qui, « fatiguées de la représentation hétéronormative, pénétrative et phallocentrée du sexe », ont créé le test éponyme, qui mesure la représentation du clitoris dans la pop culture. Les œuvres, dans un dégradé de gris, du plus sombre au plus clair, avec matériaux divers, un aplat métallique par exemple, dégagent une infinie mélancolie. En soutien et en contraste assumé avec l’identité visuelle du travail présenté par Nadia Burner, dans ses poèmes Françoise Foutou, sur écran, affirme qu’elle se « voue à l’éclat du triomphe des cimes”, « au désordre bouillonnant de [ses] volontés propres” et « remise les peurs aux pudeurs inaudibles ». Une petite installation « Squelette de table à repasser, debout et dorée » stigmatise l’inégale répartition des tâches domestiques au sein d’un couple.

A l’étage, le regard est saisi par F’âmes, une œuvre collective de Catherine Vennat, Gaëlle Satier, Corinne Jean-Joseph qui couvre tout un mur de la salle. La disposition retenue, une mise en cases qui se défait et se libère progressivement à mesure que le regard s’éloigne du centre, met en valeur la cohérence du propos, l’émergence à partir d’une multiplicité de lieux d’« une seule et unique voix, celle des femmes ensemble contre le patriarcat », en chemin vers « Liberté, Égalité, Féminité ». Un grand nombre de petite pastilles rouges sous les éléments, déjà vendus, de la composition témoignent d’un réel succès auprès du public nombreux venu admirer le travail exposé.

Au débouché de l’escalier, sur la droite, un bandeau suspendu sur lequel figurent deux dessins aux crayons et dix-huit dessins info-graphiques de Fabienne Clément, invite à réfléchir à la répétition du même dans la différence qui le constitue et à l’utilisation de nouveaux outils, à ne surtout pas laisser accaparer ou monopoliser par le monde masculin. En arrière plan, se détache flamboyant le portrait d’ « Une femme au cigare », qui ne baissera pas les yeux, ridée et provocante, dans un patchwork de couture et de peinture. Colette Wild s’inspire librement, comment pourrait-il en être autrement? du travail de l’afro-américaine Faith Ringgold dont le domaine artistique extrêmement vaste et diversifié, se promène des peintures mosaïques aux courtepointes, de la sculpture aux livres d’enfants.

Au milieu de la pièce, sur une petite table, devant une autre femme d’acier, « Une robe sans femme » de Catherine Bland, dans le vide et la solitude de son être, souligne l’invisibilité sociale d’une moitié de l’humanité. Les femmes sont la moitié du ciel disait Mao.

Une autre pièce avec une table aux pieds-racines, avec ses rubans, ses morceaux de bois flottés comme des corps de femmes, arrachés à leur pays natal et voués à l’échouement sur des terres lointaines. Élisabeth Alexandrine, dit ce qu’il en est d’une universalité de combat, dans les rubans multicolores qui surplombent son planisphère et au dos desquels, pays par pays, s’égrainent les noms de celles qui ont su dire non et qui l’ont, trop souvent, cher payé.

Et puis, et puis…, nous ne pourront les dire toutes, nous en sommes désolés, mais  nous ne saurions terminer sans évoquer ce qui nous a touché au plus près, sans nous consulter, nous les deux que nous étions lors de cette visite, à savoir les trois tableaux d’Hélène Jacob Elles Caponnent, Ardentes militantes et Affranchies et libres. Les œuvres sont construites avec des fonds, très élaborés, floutés, dont les personnages, comme pour s’extraire d’un nuage d’oubli, se détachent progressivement, pour faire valoir au premier plan des détails très précis. Hélène Jacob, avec le souci constant et permanent d’un dessin extrêmement fin des visages mettant en relief le volume des têtes et des corps, fait preuve d’une dextérité et d’une maîtrise de son art qui suscitent pour le moins le respect et au mieux l’admiration. Perspective et profondeur de la représentation participent à faire vivre les personnages dans leur dimension historique et présente au regard qu’ils/elles saisissent et peuvent plus lâcher. Les yeux de femmes tournés de tous côtés, passé, présent et futur mêlés dans un hors temps infini, nous disent une sororité de tout temps et de tout lieu s’appuyant sur elle-même et n’ayant besoin d’aucune autre caution que l’acte posé qui la fonde. Nous avions découvert le travail d’ Hélène Jacob à travers la superbe affiche du spectacle « Femmes combattantes, Femmes influentes » de l’association l’Art Gonds Tout à laquelle elle participe. À la sortie de l’exposition les deux que nous étions se sont confiés avoir eu, chacun de leur côté des élancements du coté de leur carte bancaire. Mais petits joueurs nous étions, petits joueurs nous sommes restés. Avec regrets !

Encore une fois il nous faudra revenir au CAC, pour de nouveau évoquer cette exposition qu’il ne faudrait en aucun cas, et sous aucune prétexte, et surtout pas celui de la pandémie, manquer de visiter.

M’A

le 04/04/2021, révisé le 05/04/21

Fort-de-France