— Par Jean-Luc de Laguarique – Photographe —
En 2013, un nombre important de manifestations célébrant le centenaire du grand poète disparu ont eu lieu à la Martinique. Il serait vain d’en faire ici un inventaire exhaustif : ont-elles toutes été à la mesure de la pertinence de l’homme et de son legs littéraire ? On peut en discuter, tant celui-ci est novateur, immense, inégalé. Toutefois, si ne serait-ce que quelques unes d’entre elles ont pu donner au public envie de le lire, de le (re)découvrir, ou de simplement suggérer des pistes pour aborder une œuvre aussi complexe, elles auront — du moins en partie — atteint leur objectif et l’on tendrait alors à s’en satisfaire.
Pourrait-on parler, parmi ces manifestations, d’opportunisme ? Même si la sincérité de chacun n’est pas à mettre en doute, nul doute non plus que la récupération politicienne aura également fait partie du lot.
Y en a-t-il eu trop ? On ne peut empêcher un pays — si longtemps tenu sous le boisseau — de s’exprimer à part entière. Chacun est libre de pouvoir témoigner, avec les moyens qui lui sont propres, de l’empreinte que lui a laissée celui qui publiait le Discours sur le colonialisme en 1950. Encore que cela reste dans un premier temps une affaire de talent et, dans un second, une affaire de partage ou de monstration, c’est à dire de lieu. En effet, on ne peut certainement pas dire que les lieux consacrés à l’expression artistique et aux arts plastiques en particulier soient légion dans notre pays… Et s’il est parfaitement inconcevable que l’œuvre d’un plasticien, définie par son projet et ses intentions, et effectuant une réelle recherche esthétique, puisse être présentée au public au même titre qu’un illustrateur, un artisan ou un simple amateur (au sens noble du terme), il est tout aussi inadmissible que n’importe quel travail non qualifié soit présenté aux yeux du monde sur le seul nom de Césaire.
Mais alors, qui serait habilité à décider, à faire le tri ? Voilà bien un autre problème, ici, dans cette île où l’espace critique et la confrontation à l’autre n’existent pas. Plus qu’un problème, c’est même un réel danger. Car aujourd’hui comme hier, la Martinique continuant de se languir d’un manque de reconnaissance, persiste à mettre tout un chacun sur un pied d’égalité, par facilité, par complaisance, par clientélisme. Et aussi par un pitoyable manque de culture de nos responsables politiques.
Ainsi en va-t-il de l’exposition Espace Aimé Césaire à l’aéroport du Lamentin. Outre l’agencement ridicule de cette salle, qui mélange pêle-mêle fauteuils et plantes (probablement dans une volonté de créer une illusion d’intimité), quelques phrases extraites du Cahier et divers portraits dont la réalisation est proche du néant artistique, on ne sait plus très bien si l’on contemple une triviale réalisation d’écolier, ou bien la tragique matérialisation d’un sous-développement culturel endémique, ou encore l’incurie de ceux qui ont autorisé cet ensemble disparate et vulgaire, éclaboussant de toute sa médiocrité.
En fin de compte, cela n’a guère d’importance puisque aucune œuvre véritable n’a besoin d’être défendue et celle de Césaire se passe bien de toute forme d’illustration. Seule la réinterprétation serait digne d’intérêt.
Ce qui est proprement consternant, c’est que l’on donne à tous ceux qui arrivent ou partent de notre pays ce visage improbable, hideux, grossier de notre plus grand poète et penseur. Une véritable insulte à Césaire et à la Martinique tout entière.
Jean-Luc de Laguarigue
Emplacement original du texte :
http://gensdepays.blogspot.fr/2013/10/exposition-espace-aime-cesaire-linsulte.html