Jusqu’au 27 janvier 2024, du lundi au vendredi 8h/19h
— Par Philippe Charvein —
Dire le monde dans ses différents aspects, ses éléments les plus divers ; permettre l’expression de multiples approches dans l’appréciation d’un monde lui-même multiple, avec, peut-être pour ligne de mire, la quête d’une unité improbable : tel est le leitmotiv de cette exposition réunissant quatorze artistes. Quatorze artistes, de sensibilités différentes certes, mais qui se rejoignent dans une même volonté : mettre en évidence un monde au pluriel ; saisi dans son espace géographique et naturel, son patrimoine, son histoire, son évolution.
Un monde au pluriel, qui laisse affleurer les questions essentielles et urgentes que sont la préservation des ressources, la communication moderne, les interrogations sur nos origines. Un monde multiple enfin qui suscite nos propres réflexions s’agissant de la place qui est la nôtre, du rôle que nous y jouons pour un avenir et un devenir viables, sans oublier les régressions qui nous menacent. Autant de toiles et de réalisations artistiques diverses, mises en dialogue et en relation les unes avec les autres afin de mieux faire ressortir une vitalité à la fois commune et diverse.
Le monde qui nous est présenté à l’occasion de cette exposition collective, est d’abord celui des éléments premiers. Cette perspective est illustrée dans des toiles aussi diverses que celles de Pierre MONTAGARD (« La pluie », « La nuit »), Marie GAUTHIER (« Seuil », « Là où creuse le vent »), Dora VITAL (avec ses toiles sans titre représentant des nuages, des ensembles rouges), Carole BUTTIN (« Tambour »), Julie BESSARD (« Lunaire »).
Monde des éléments d’où émane une beauté poétique indéniable, rendue par des jeux de couleurs notables. Ainsi en est-il, par exemple, de cette « pluie » représentée par Pierre MONTAGARD et dont la force est rendue par le contraste entre le noir et le bleu (lequel, nimbé de blanc, s’impose comme une ligne de démarcation entre deux univers). Apprécions enfin ces multiples stries blancs qui traduisent le déchaînement et l’injonction vitale de cette pluie à l’origine d’un agencement inédit. Autant d’éléments qui confèrent à cette « pluie » une aura originelle de « commencement » du monde.
Après la « pluie », place à la « nuit » dont le mystère est particulièrement rendu par ce bleu foncé en arrière-plan (tirant sur le noir) et qui surplombe une mer. Nuit mystérieuse donc que celle représentée par l’artiste peintre et qui s’impose comme une sorte d’ensemble opaque bouchant l’horizon. Cette « nuit » n’est toutefois pas totale, en témoignent le bleu de la mer et le blanc du rivage qui constituent un repère, un point d’ancrage. Occasion, pour Pierre MONTAGARD, de mettre en avant la beauté esthétique et poétique d’un site naturel qui, la nuit venue, s’anime d’un éclat particulier… d’une « vie » insoupçonnée qui surgit du noir !
L’élément céleste et cosmique est à l’œuvre dans ce monde des éléments, à l’image de ce vent figuré par Marie GAUTHIER ; lequel vent imprime sa marque, « creuse » comme pour agrandir les possibilités d’infini. Ce vent qui s’impose, impose une ouverture, une brèche sur un ensemble déjà réalisé. Ce vent qui, sous le pinceau de Marie GAUTHIER, s’inscrit dans une dynamique vitale permanente. Sans multiplier les exemples, relevons cette petite toile saturée de tracés sur fond blanc. En haut, un nouvel espace attire notre regard dans la mesure où il s’impose justement comme une ouverture invitant à une nouvelle perspective, à une sorte d’au-delà caractérisé – lui-même – par une énergie interne soudainement révélée. Illustration esthétique d’un « vent » qui s’impose comme un surplus de présence animant les êtres et les choses tout en apportant une énergie redoublée !
Monde des éléments chez Dora VITAL et Julie BESSARD à travers la représentation de ces nuages et de ces éclairs doués de vie, colorant et saturant l’espace selon leur impulsion propre.
Les couleurs qui s’enchevêtrent sur la forme ronde figurée par Julie BESSARD, ne sont pas sans conférer une aura magique et joyeuse à ce monde qui se pare donc de toutes ses potentialités et autres manifestations d’énergies à venir. Un chaos de couleurs comblant le néant ! Perspective totalement différente sur la belle toile de Carole BUTTIN dont la particularité est d’inscrire un humain, un « tambouyé », au cœur même de ce monde des éléments… comme pour mieux le célébrer justement. Célébration d’une nature vivante, vibrante, s’animant au rythme magique de ce tambour qui la célèbre.
Ce dynamisme de la nature est rendu par ce bouleversement de la terre et des végétaux, comme « soufflés » par une énergie intense. Que dire de ce « tambouyé » en lui-même, si ce n’est qu’il semble se fondre – et se confondre – avec cette glaise marron ; cette terre des origines lui conférant peut-être sa propre force tellurique ? Magnifique symbiose de l’homme et de la nature, pris tous deux dans un cercle vital infini. La coiffe verte nimbée de bleu, les tracés de peinture sur le visage, la correspondance entre le blanc du tee-shirt et celui du sommet du tambour, participent précisément de cette union vitale entre l’homme et la nature (la nature qui s’imprime en lui) ; l’homme qui parvient presque à une dimension d’absolu. S’inscrivant dans le sillage de la toile de Carole BUTTIN, les deux photographies de Henri TAULIAUT (« Offrande Vatable 1 et 2 ») illustrent cette célébration de la nature par le biais d’offrandes gustatives. Manière, pour l’artiste, d’insister sur le rapport presque « charnel » avec cette nature d’où précisément sont issus les aliments indispensables à la survie de l’humanité !
S’agissant de l’une de ces photographies, enfin, il est intéressant de relever l’orientation géographique stratégique (et symbolique) de cette grande feuille comportant les mets : face à la mer ; cet autre espace nourricier que se partage également l’humanité.
Le monde représenté à l’occasion de cette exposition collective est également saisi dans ses mystères et ses fragilités. Mystères et fragilités qui nous amènent à nous interroger sur son origine et sur la nôtre par extension. Cette perspective est particulièrement illustrée par ce « dialogue », cette mise en relation entre les toiles d’HAMID (ce triptyque composé de deux toiles sur fond noir et d’une toile blanche avec le propos suivant : « K lee Réveille-toi, ils sont devenus fous ») et celle de MAURE, situées en dessous (triptyque présentant des réalisations peintes sur un parchemin) et intitulées « Palette et mystère ». Mise en relation particulièrement symbolique dans la mesure où elle semble insister sur un espace de possibilités… en train de perdre en consistance, de diminuer… Une sorte de régression de notre humanité ou, plus simplement, un retour au monde originel ? La supplique adressée au peintre Paul KLEE prend alors toute son importance dans la mesure où elle souligne peut-être, chez HAMID, son souhait de voir revenir une certaine approche esthétique abstraite dans la manière de saisir les êtres et les choses. Approche esthétique abstraite (et souvent déconcertante) qui, précisément, caractérisait Paul KLEE et qui serait à même de restituer une vie et une épaisseur intérieures ; lesquelles feraient cruellement défaut à notre époque moderne caractérisée – souvent – par une forme de déshumanisation, en témoigne la présence de cet animal énigmatique – une sorte de porc ? – fixant un horizon connu de lui seul. Attend-il que se réalise une sorte d’idéal ? A travers la supplique qu’il formule à l’endroit du peintre de nationalité allemande (qu’il tutoie et auquel il s’adresse comme à un intime, en témoigne le diminutif « lee »), HAMID cherche-t-il la perspective ou l’occasion qui, précisément, agrandirait l’horizon, comme possibilités d’ouvertures et de projections ? (Cet horizon qui est aussi le nôtre). Est-il encore possible de régénérer le « cœur » de l’humanité et ses multiples connexions lorsque ce dernier est pris dans une sorte de « gangue » blanche, matérialisée, semble-t-il sur les trois ensembles que propose MAURE ? MAURE répond par l’affirmative en insistant – paradoxalement – sur la fragilité de notre être et de notre monde. C’est précisément cette fragilité qui nous confère cette valeur essentielle et qu’il nous appartient de « conserver » et de mettre au jour. Cette perspective s’illustre dans la réalisation intitulée « la peau des mystères ».
Réalisation bien singulière puisqu’elle prend la forme d’un ancien support (en vigueur au cours des premiers moments de l’humanité) … une sorte de « peau » d’animal sur laquelle semble être consignée l’histoire d’une première humanité, justement ; d’une mémoire collective.
Les réalisations de Chantal CHARRON reflètent le même désir : explorer et mettre au jour l’histoire – riche et multiple – de notre humanité ; cela, depuis le début de celle-ci. La présentation formelle de l’une des toiles de la série « Dans la marge », s’impose à notre regard : une toile composée de « morceaux » de toiles ; comme si elle était en train d’être travaillée et retravaillée par une couturière. D’un point de vue symbolique, en effet, les retouches ne sont jamais achevées, en témoignent cette « coupure » laissant apparaître un rembourrage, de même que les fils et les tracés ; tracés qui, sur la partie bleue, s’imposent comme des lignes en attente d’écriture ; prêtes à tisser et à retisser les éléments futurs d’une histoire collective.
Sous le pinceau de l’artiste, la « marge » est réhabilitée dans la mesure où elle recèle une énergie à la fois passée et actuelle ; une vie interne foisonnante, toujours en train d’être retranscrite dans ce qu’elle a de plus vif ; une vie qui n’est jamais statique et qui est toujours sur le point de rédiger une partition.
Autre réalisation marquante de Chantal CHARRON : ce « palimpseste » qui, lui aussi, retranscrit une épopée humaine ; depuis cette matière informelle, au centre (mais déjà vibrante des énergies à venir), jusqu’à ces colonnes, en haut et en bas, s’imposant comme une écriture… l’écriture d’une première société ; de ses strates, de son organisation.
Mémoire, Histoire, éléments du patrimoine… autant d’éléments qui caractérisent les réalisations de Victor ANICET… ces plaques de lave (« les grands projetés ») qui figent, dans la pierre issue du feu, les différents aspects du monde antillais : les marchandes, envisagées dans une certaine perspective abstraite, stylisée, concentrée ; leur conférant une valeur d’archétype. (Ces marchandes dont les corps s’incorporent dans toutes les couleurs du monde, dans la force concrète de celui-ci) ; les outils propres au travail de la terre (non dénués d’une certaine violence) ; la faune si particulière. Ces plaques qui gravent une certaine identité collective.
Monde caractérisé par un dynamisme manifeste ; une sorte de « chaos » constructeur, bouleversant un certain ordre établi. Cette perspective est illustrée dans les six toiles proposées par Raymond MEDELICE. Six toiles que l’on pourrait interpréter comme une sorte de discours sur une école en mutation, où la violence n’est certes pas absente, en témoignent, par exemple, cette chaise en retrait, comme mise à l’écart, représentée sur l’une des toiles en haut ; ou cette autre chaise manquante, sur une autre toile. Mais ce qui semble primer, c’est cette aura d’énergie qui nimbe ce mobilier ; comme une énergie latente, traduisant peut-être un certain souffle ; un certain renouveau ; une volonté d’unité malgré tout.
Cette volonté d’unité, précisément, se retrouve dans les toiles de Martine PORRY, intitulées « Conversations ». « Conversations » vraisemblablement plus abouties sur celle qui se trouve en haut, en témoigne ce tracé circulaire rapprochant les êtres représentés. Un tracé qui s’impose comme une auréole et traduit un échange intense et fructueux permettant à ces êtres de gagner en hauteur et en épaisseur. « Conversations » plus intimes s’agissant de la toile inférieure, les êtres représentés semblant saisis dans leur solitude intime… mais « conversations », tout de même, en témoignent ces couleurs qui leur tiennent lieu de « corps », de « peau », de même que ces carrés colorés derrière eux, comme autant d’expressions d’une « conscience » cherchant à agencer le monde.
Terminons cette relation par l’évocation des toiles d’ISKIAS et de Claude CAUQUIL. Les premières, intitulées « Mini nature », représentent une nature antillaise sollicitée jusqu’à l’excès par l’exploitation économique. Une nature qui, toutefois, avant que ne se referme la porte du container, parvient à « montrer » une partie de son être… comme une volonté de résilience. Les deuxièmes s’articulent autour de cette volonté, chez les personnes représentées, de se rapprocher, d’établir une relation (sentimentale ou amicale), de trouver et maintenir une unité par le biais de la main ou du baiser. Autant de mises en relation portant un désir d’unité.
Philippe CHARVEIN, le 25/11/2023
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