Quand la peinture dévoile l’être intérieur de l’individu ; ses rêves, ses désirs ; sa vision du monde, en même temps que s’opère une célébration de celui-ci, du cosmos qui porte en lui ses propres forces de transfiguration… comme si l’imaginaire de Michèle se mettait à l’unisson des forces créatrices et métamorphosantes qui parcourent le monde du Tropique, l’univers martiniquais… comme si les éléments premiers du monde se vivaient eux-mêmes en rêve dans l’imaginaire de l’artiste peintre.
La plupart des toiles exposées vont, de ce fait, bien au-delà de la simple valeur figurative afin d’entrer dans le monde onirique des forces premières et élémentaires qui sont à l’œuvre dans toutes les formes de la vie. Michèle Arretche nous donne donc à voir les « univers » qui peuplent et colorent son imaginaire… « univers » qui portent en eux une ligne directrice commune : mettre en évidence un monde – tropical – à la beauté sauvage et saisissante, transcendé par toutes les pulsions vitales… un monde dont la beauté est précisément accentuée par la force du rêve lui conférant une aura d’absolu.
« J’aime la Martinique » : c’est bien cette ferveur de la sensibilité qui nous donne le sentiment de dépasser, d’effacer les poncifs de l’exotisme pour nous faire entrer dans les mystères de la Création. Tout, dans ces aquarelles, en effet, porte ces mystères ; mystères auxquels sont liés le bonheur et l’invitation au bonheur ; que ce soit à travers l’évocation d’un paysage au couchant, portée par le jeu des couleurs et des reflets sur une mer elle-même colorée ; l’évocation d’une plage idyllique rehaussée de palmiers s’élevant fièrement. Notons également cette petite maison et ces arbres semblant sur le point de s’effacer, de s’estomper. Procédé artistique permettant paradoxalement à Michèle de figurer un certain mystère propre à la Martinique, une beauté dissimulée qu’il importe précisément de déceler et d’apprécier.
Un bonheur dissimulé – une dimension mystérieuse – voilà qui, précisément, caractérise cette petite aquarelle disposée sous le premier ensemble. Petite aquarelle sur laquelle il est possible de distinguer une maison quasi-masquée par la végétation dense au cœur de laquelle elle se situe. Élément notable à ce propos : la correspondance entre le vert de la toiture et le vert des feuilles qui la surplombent… ce vert tropical dont l’injonction est un gage de vitalité naturelle ; cette vitalité si caractéristique du monde tropical et qui s’impose comme un écrin et se diffuse comme un fluide magique.
L’exposition de Michèle ARRETCHE est véritablement un hymne à la beauté multiple de ce monde tropical, en témoigne, par exemple, cette série de toiles : « La plage habitée », « Le chemin vers la plage », « Le soleil a rdv avec la lune », « La rivière », « Au pied de la montagne », « Manicou ». Autant de déclinaisons de paysages à chaque fois différents, d’une nature riche et luxuriante, d’une nature vivante, alimentée, en permanence, par les rivières et les cours d’eau que rien n’arrête. Une nature qui déploie – elle-même en somme – ses nombreux attributs. Sans multiplier les exemples, nous pouvons relever l’immensité des lieux par rapport à la petitesse des demeures. Manière, pour l’artiste peintre, de figurer cette idée selon laquelle la nature ne se laisse pas cerner, dominer par l’humain ! Manière, pour l’artiste peintre, de nous inviter à nous interroger sur notre place au cœur de ce monde ! Relevons également cette dimension cosmique inhérente à la nature tropicale, en témoigne la toile intitulée « Le soleil a rdv avec la lune ». Dimension cosmique qui met en lumière une proximité impossible entre les deux astres.
Proximité impossible ! Rencontre – amoureuse ? – impossible, selon toute vraisemblance ! Est-ce à dire que Michèle donnerait raison à Charles TRENET qui, dans l’une de ses chansons, mettait précisément en avant l’attente vaine du soleil (symbolisant les rencontres manquées) ? L’artiste peintre ne rend-il pas possible ce qui ne l’est pas ? Force est de remarquer que cette rencontre, sous le pinceau de Michèle, a lieu par le biais de cette mer – bleue – se fondant, se confondant avec le ciel, la voie lactée ; cette petite maison qui se retrouve mise en évidence par la lumière de la lune. Paysage enchanté que celui mis en évidence par cette toile !
Le thème du rendez-vous, de la rencontre caractérise également cette autre toile construite autour du « manicou ». Rencontre aussi privilégiée que rare : celle de la lune et de l’être des bois, figurant ainsi la richesse du monde tropicale illustrée par les multiples expressions de la vie qui sont là ; aux aguets.
La beauté d’une nature à proximité de soi. Cette perspective est particulièrement illustrée dans cette toile intitulée – fort justement – « Fenêtre sur ». Métaphore de notre esprit qui s’ouvre au monde et qui saisit un arbre improbable doté de fruits un peu inconnus, par rapport à la mer infini qui s’étend en arrière-plan. Notons la présence de cette petite table sur le plancher et qui s’impose comme un « autel » sur lequel l’artiste procède à l’offrande lyrique du monde.
Les Univers rêvés de Michèle mettent en évidence un monde traversé, saturé d’énergies positives, en témoigne cette toile intitulée « loisirs ». Notre attention se porte d’emblée sur cette « cascade » jaune… sorte d’explosion vitale nous introduisant dans un monde absolu où le temps semble arrêté… temps de vacances et de « loisirs » au sens philosophique du terme : celui de la contemplation désintéressée ; ce que ne manque pas de faire le frêle-la frêle cycliste représenté- représentée, à l’instar de tel ou tel mystique oriental.
Dans le jardin absolu du Tropique, les branches des cocotiers sont bleues, rappelant ainsi l’approche des impressionnistes. Les couleurs s’évadent de leurs champs d’action traditionnels pour se transférer sur d’autres réalités, à l’image de cette source magique rose inondant le jardin où est implantée une maison. Éléments qui marquent bien la présence d’une nature vibrante d’énergies, caractérisée par une dynamique vitale permanente et qui confine à une certaine éternité.
Ce monde n’est pas immobile, comme le suggère la présence réitérée de ce-cette cycliste qui symbolise toute la cinétique propre à l’univers intérieur de Michèle.
Les Univers rêvés de Michèle où l’évocation d’un monde en construction perpétuelle, en témoigne cette série des « Petit rayon vert » ; lequel rayon est produit quand le soleil s’enfonce dans la mer dans un ultime rayonnement. Michèle ARRETCHE y consacre plusieurs toiles symbolisant cet insaisissable moment… merveilleux parce que totalement éphémère.
Après le petit « rayon vert », place à la « cascade verte » … cette « cascade », du nom de l’une des dernières toiles de l’exposition et qui montre une réalité s’imposant dans toute la force de son injonction verte. D’un point de vue formel, la force de celle-ci est rendue par le choix même de la toile : une toile de forme allongée, comme pour mieux souligner le caractère infini de cette source magique qui apporte la vie, en même temps qu’elle colore l’espace et remplit le vide de perspectives.
Point d’enfermement dans ces Univers rêvés de Michèle ! Plutôt une invitation à se questionner sur soi ; à trouver les possibilités de résilience, en témoigne cette ratière ouverte et à l’intérieur de laquelle il est possible de déceler – de « lire » – certaines indications à l’adresse de celui ou celle qui s’y retrouverait prisonnier-prisonnière. Sans doute ces petits carrés blancs figurent-ils à ce propos les pans inachevés d’une existence dont il importe de poursuivre la construction… envers et contre tout !
Le monde naturel évoqué sous le pinceau de Michèle ARRETCHE se prête à de précieuses anamorphoses. La nature revêt des formes inédites : gerbes de couleurs, figures inédites au cœur d’une végétation en perpétuel renouvellement ; signes d’une inépuisable créativité. Evoquons, par exemple, cette « main » en direction d’un arbre… sans doute dans une perspective de salut ou d’hommage à l’adresse de cet élément de la nature nimbé de spiritualité.
Le vers poétique « ensemencés d’éclairs et semoncés d’orage » illustre bien cette volonté – enracinée au cœur – de travailler à l’éclosion des perspectives futures. Les figures abstraites, elles- mêmes, prennent une valeur lyrique, chantant une nature qui s’inscrit dans une dynamique perpétuelle… comme si, sous l’impulsion de la Martinique, l’artiste peintre avait appris à conférer une certaine poésie au monde.
Philippe CHARVEIN, le 23/09/2023