— Par Philippe Charvein —
« Mes oiseaux de confiance » : telle est le titre de cette exposition de Catherine Le MOAL et qui suggère d’emblée la foi esthétique de cette artiste peintre qui veut styliser le réel jusqu’à le rendre aérien, comme exonéré de la pesanteur terrestre, allégé de toute tristesse ; un monde où tout n’est plus qu’ailes. Expression qui désigne l’ensemble des êtres – qu’ils soient « humains », vivants, fantastiques ou mythologiques – qui constituent l’univers de Catherine Le Moal.
Autant de présences qui traduisent cette volonté, chez l’artiste, de dire, de restituer un monde riche de ses diversités ; où se reflètent les questionnements et les préoccupations relatifs à l’être précisément, à son identité, son devenir, ses centres d’intérêts, son rapport à sa terre et à sa culture. Questionnements et préoccupations relatifs au… visage ; le visage souvent porteur d’émotions et d’expressivités illustrant la présence et la permanence d’une certaine humanité. Le visage humain qui donne à lire une intériorité, en même temps que les yeux ouvrent sur le mystère de l’âme.
Les toiles de Catherine Le Moal sont d’abord une plongée au cœur d’un monde multiculturel. Un monde mythologique même. Cette perspective est illustrée dans les toiles suivantes : « Karaibdream », « Caribbean Melanesianstories6 », « Bluemanicou ». Autant de toiles, en effet, qui ont ceci de commun qu’elles mettent en lumière un monde multiculturel, saisi dans toutes ses couleurs et ses richesses. Un monde dans lequel notre Caraïbe trouve pleinement sa place. Sans multiplier les exemples, relevons quelques faits parmi les plus notables. Ce colibri magique d’abord, représenté sur la toile « Karaibdream » et qui se révèle d’emblée l’un des acteurs incontournables de cette ronde – entraînante – à laquelle prennent part des êtres de nature variée. L’aile – magique – de cet oiseau, ensuite, qui semble porter la jeune fille représentée en haut. Evoquons aussi ces nombreux tracés qui parsèment la toile (ceux qui zèbrent le bras gauche de l’être au visage humain ; ceux qui constituent le corps de l’oiseau et se fondent et se confondent avec le zandoli ; le bec du colibri assurant la jonction avec les cheveux de la jeune fille située à sa droite). Autant d’éléments qui marquent d’emblée une ronde vitale et dynamique caractérisant ce monde caribéen au cœur duquel chacun prend place et participe à une fête collective. Multiples embranchements, superposition des visages, des corps et des êtres (de cultures différentes semble-t-il) ; présences, couleurs.
Tel est ce qui caractérise la toile intitulée « Melanesianstories6 » : un véritable Kaléidoscope de ce monde du Pacifique et de l’Océanie que l’artiste connaît bien pour y avoir vécu longtemps. Toile dont la réalisation est inspirée par les arts premiers des diverses cultures. Les oiseaux représentés sont souvent épurés, avec des lignes géométriques qui les représentent comme une quintessence du vivant, hors de tout contexte précis… mais réunissent aussi, de manière très concrète, le colibri emblématique de notre espace avec le quetzal, l’oiseau sacré des Mayas.
Dans le monde fictionnel représenté sur cette toile, le merveilleux se nourrit des rêves qui, eux-mêmes, sont alimentés par les mythes et mythologies du monde entier. Un monde qui prend de la place, surchargé qu’il est de ses histoires, de ses rencontres, de ses filiations… de ses expansions. S’agit-il, pour Catherine Le Moal, de souligner l’idée selon laquelle le monde des Caraïbes prend sa place dans cette rencontre collective ? Nous pouvons répondre par l’affirmative, en témoigne la présence de ce manicou, à droite. Dans la toile intitulée « blue manicou, cet animal n’est pas totalement sans représenter la terre et ses forces telluriques évoquées symboliquement par la présence de cette carafe et de ce morceau de pastèque rouge qui nous inscrivent dans l’intimité – presque charnelle – d’une maison… d’un peuple. Notons également que sa couleur « bleue » fait écho à celle de la carafe et de l’oiseau saisi dans un encadré bleu. Oiseau qui, pour sa part, suggère l’envol vers les hautes sphères. Couleur bleue – à la portée d’éternité – qui donne sa force et sa consistance au songe dans lequel semble prise la jeune femme représentée, les mains jointes. Songe-t-elle à ce monde caribéen auquel elle fait partie et qui, lui aussi, affiche sa consistance et sa matérialité ? Le mouvement effectué par l’ange – une sorte de pas de danse – symbolise-t-il ce pas de côté, cette « rupture » d’équilibre donnant son impulsion à toute existence ? Le thème de l’oiseau est un fil conducteur s’agissant de certaines toiles de Catherine Le Moal ; qu’il s’agisse de l’aile (du nom de l’une de ces toiles justement) ; de cet être ailé énigmatique au visage non-européen (représenté dans la toile intitulée « Oiseaux de bonne augure) ; de cet oiseau énigmatique, voire mythologique, s’élançant à la rencontre de « l’enfant » « cracheur d’étoiles ». Aile magique, en effet, que celle qui se trouve dans le dos de l’être à droite et qui survole, par ailleurs, le chien représenté. Aile magique que cette aile – une aile d’or – rassemblant les trois êtres, les protégeant d’une certaine manière… ces êtres qui protègent un nouveau-né du danger symbolisé précisément par le chien. Elément notable : la grandeur physique de ces êtres – rehaussée par les ailes – par rapport au chien ; comme si celui-ci était… maintenu à distance. Une réécriture de telle ou telle scène biblique ? Autre élément notable : ce bras gauche, démesurément long… formant, lui aussi, une sorte d’« aile », accentuant peut-être le geste protecteur.
Sur la deuxième toile que nous avons évoquée, il est intéressant de remarquer ce mouvement du bras gauche effectué par l’être ailé le plus abouti, le plus… « humain » au visage non-européen. Un geste de défi ? Son aile droite semble maintenir son interlocuteur à distance ; lequel figure peut-être une sorte de danger. Deux faits revêtent une charge symbolique non négligeable. L’apparence « humaine » du visage, d’abord. Ensuite, l’étroite association entre le corps de l’être le plus abouti et l’élément aquatique d’où il émerge (qui lui a donné la vie). Sans doute s’agit-il ici, pour Catherine Le Moal, de figurer l’importance d’une humanité, d’une identité ; gage de protection contre les aléas déshumanisants.
L’oiseau, déjà symbole d’absolu en lui-même (en témoignent son apparence et son aspect imposant), vient – pourtant – à la rencontre de l’enfant « cracheur d’étoiles », comme s’il avait l’intuition qu’il devait être au rendez-vous impliquant sa destinée. Il est intéressant de remarquer la forme en « M » renversé de cet oiseau (vaste condor mythologique issu des origines). S’agit-il, pour Catherine Le Moal, de suggérer qu’elle pourrait elle-même être en quête d’une certaine vérité supérieure ?
Les toiles de Catherinz Le Moal nous inscrivent aussi dans une terre vibrante de présences. Cette perspective est illustrée dans la série des toiles « Côté jour » et « Côté nuit ». Toiles dont la particularité est de mettre en évidence des visages qui se fondent et se confondent littéralement avec les éléments de la nature (terrestres ou aquatiques) … comme si ces visages insufflaient leur dynamisme et leur force vitale à cette terre… à moins que ce ne soit le contraire ! Dynamique vitale quoi qu’il en soit, en témoignent ces tracés et ces formes qui insistent bien sur cette vie interne ; ces vibrations vitales en profondeur donnant une sorte d’ « âme » à ces terres porteuses – elles aussi – d’identités.
Les éléments de la nature, sous le pinceau de Catherine Le Moal, sont d’autant plus importants qu’ils sont le gage de pulsations vitales, d’élévation, de connaissances, d’enrichissements. Cette perspective est illustrée dans des toiles comme « Twins » et « Lucioles ». Sur la première toile évoquée, notre attention se porte d’emblée sur ces deux jeunes filles – quasi identiques – saisies dans un espace jaune symbolisant une certaine totalité, une certaine plénitude, que viennent, par ailleurs, rehausser les fleurs – issues de la plante Tiaré ? – présentes sur leurs longues robes. Ces jeunes filles, à cet égard, sont représentées dans toute leur hauteur ; ce qui les met au même niveau que la mer figurée à leur côté. Manière, sans doute, pour l’artiste, de figurer une osmose entre cette mer – traversée de pulsations vitales – et ces jeunes filles s’en inspirant, s’y « ressourçant ». Soulignons, à ce propos, ces tracés au-dessus de leur tête, les couronnant d’absolu. Dans les bras de l’une des jeunes filles, nous observons un nouveau-né énigmatique, peut-être issu des profondeurs. Nouveau-né apportant sans doute la connaissance des origines et les moyens de…gagner en hauteur. Enigmatique toile que celle intitulée « Lucioles » et qui représente un être – lui-même énigmatique, au visage bleu – regardant avec dépit (imité en cela par l’oiseau posé sur son épaule) cette branche dans laquelle sont incrustés des êtres dorés mystérieux. Ces êtres dorés représentent-ils l’avenir ? Un avenir d’où serait « exclu » l’être énigmatique au visage bleu ? Est-ce pour cela que son visage reflète cette désapprobation ? Sans doute a – t – il l’intuition que ces… « Lucioles » sont porteuses d’une connaissance – encore dissimulée – à laquelle il n’a pas accès totalement.
Les toiles de Catherine Le Moal, enfin, abordent les grandes questions qui traversent notre société ; qu’il s’agisse des violences exercées contre les femmes, du devenir de notre humanité, du rôle joué par la nature. Autant de perspectives illustrées dans les toiles « Rendez-vous », « Mutant », « Mutante », « Bodyguard ». Sans multiplier les faits, relevons, par exemple, la différence entre l’action entreprise par l’être au corps rouge (« Rendez-vous ») et celle effectuée par l’être de présence personnifiant la nature (« Bodyguard »). Alors que le premier, en effet, maintient la sirène de telle sorte qu’elle ne puisse bouger, le deuxième porte, supporte et protège contre les ennemis aux dents acérées. Apprécions, à cet égard, une certaine symbolique de la féminité, restituée par des formes arrondies ou élancées ; une certaine douceur dans le geste (le bras ou la main soulignant l’attitude de celle qui est aux prises avec une réflexion intérieure) ; ce corps féminin occupant tout l’espace de la toile et rehaussé par le sourire de celle qui éprouve le bonheur d’être) ; ces fleurs qui, à l’instar de cellules organiques, se déploient et parsèment le vêtement porté…assurant ainsi, d’un point de vue symbolique, la floraison de l’identité féminine… comme un gage de renouvellement, de permanence !
Atmosphère un peu inquiétante dans la toile intitulée « Mutant », en témoigne la présence de cet être déshumanisé à l’arrière-plan… comme une illustration possible des dangers qui planent sur notre humanité (en passe de perdre la sienne). Même le manicou a changé d’apparence…
Terminons cette relation par cet hymne au bonheur que l’on trouve, par exemple, dans la toile intitulée – simplement – « Tiaré ». Belle évocation esthétique de ces nombreuses fleurs qui parsèment le vêtement de la femme au point de devenir une autre « peau » ; fleurs qui peuvent parsemer et combler une certaine réalité évoquée métonymiquement par le lit représenté… une certaine solitude !
Philippe CHARVEIN, le 14/01/2024
Peinture et littérature : exposition de Catherine Le Moal-Jiori au Centre d’interprétation Paul-Gauguin, Anse Turin au Carbet
Visible jusqu’au 21 janvier – Horaires : du mardi au samedi de 9h30 à 17h – Visite de l’expo : gratuit
Contact : 0696 80 80 96
« Mes oiseaux de confiance » roman paru aux éditions Il est midi.