Dernier jour dimanche 30 juin!
— Par Philippe Charvein —–
Hélène JACOB a très souvent représenté des portraits de femmes célèbres pour réhabiliter des personnalités que nous avons tendance à oublier. Dans l’exposition qu’elle nous propose et qu’elle intitule : « Silhouettes », son engagement féministe prend une autre dimension ; universelle. En effet, à travers les corps des femmes et leurs silhouettes, elle célèbre et esthétise à la fois leurs souffrances et leur dignité, leurs meurtrissures et leur beauté.
« Silhouettes » au pluriel, en effet, à l’image de toutes ces femmes saisies dans leur diversité, dans la multiplicité de leurs visages, de leurs expressions… autant de portraits ; autant de visages reflétant une humanité elle-même multiple et variée, riche de toutes ses différences et de toutes ses sensibilités… une humanité épaisse et dense qu’Hélène JACOB se fait un devoir de réhabiliter, de défendre, de célébrer.
Cette exposition prend en fait une valeur de célébration de ces corps et de ces visages féminins sublimés parvenant ainsi à l’éternité.
Lorsque nous regardons les toiles proposées par l’artiste peintre, nous sommes d’emblée frappés par un élément déterminant : le corps de la femme, en effet, devient le support de son histoire. Un corps tatoué qui, par un jeu de surimpressions, de photomontages, d’inscriptions verbales, récapitule une destinée à la fois individuelle et collective. On pourrait penser qu’Hélène JACOB renouvelle profondément le procédé artistique initié à la Renaissance par ARCHIMBOLDO et par le biais duquel ce dernier construisait des corps et des visages par une somme d’objets, de plantes, de fruits. Parmi les toiles proposées par Hélène JACOB, certaines affichent d’emblée l’une de ses préoccupations majeures : réhabiliter la femme exposée aux outrages et à la vindicte. Cette perspective est illustrée à travers toute cette série de toiles construites précisément autour des « femmes fantasmées », récapitulant les désirs et les convoitises de toutes sortes. Désirs et convoitises qui marquent, parsèment, lacèrent même leur intégrité physique. Relevons alors ces toiles : « Ce n’est pas de ma faute », « Vini Wé Vénus », « Vénus Fantasmée ». Toiles dont la particularité est de mettre en évidence un corps de femme surchargé, saturé de photos, de photomontages superposés les uns à la suite des autres. Une surcharge telle qu’elle en vient à occulter l’identité réelle de la femme ainsi exposée. Sans multiplier les faits, évoquons ce geste marquant la honte et le dégoût de soi effectué par la silhouette féminine présente sur la toile « Ce n’est pas de ma faute ». Silhouette qui masque son visage… pour préserver ce qui lui resterait comme humanité ?
Evoquons aussi cette autre silhouette féminine nous tournant le dos, offrant ses formes plantureuses aux regards avides et déshumanisants. D’un point de vue symbolique et artistique, Hélène JACOB figure un dos qui se révèle d’emblée un miroir reflétant les pensées les plus inavouables… comme s’il s’agissait, pour l’artiste peintre, de placer le voyeur face à lui-même ; à sa conscience. Manière pour, Hélène JACOB, de réhabiliter la figure et la personne de la Vénus Hottentote ! L’emploi de couleurs vives n’est pas totalement sans participer de cette réhabilitation de la femme qui, d’un point de vue artistique, se « détache » de l’ombre qui aurait dû l’avaler. La silhouette de la « Vénus Fantasmée » par exemple, est entourée d’une sorte d’aura bleue lui donnant une certaine dimension irréelle ; laquelle dimension accentue la souffrance et le tragique de sa condition. La femme qui se relève en dépit des coups et des attaques. Autre obsession chez Hélène JACOB et qui se retrouve sur la toile intitulée fort justement… « Résistante ». Toile dont la particularité est de mettre en évidence une silhouette féminine au sol, mais cherchant d’emblée à se relever, en témoigne la position des bras et des mains. Que dire de toutes ces couleurs qui parsèment son corps (au point de devenir une autre « peau ») si ce n’est qu’elles confèrent une aura d’absolu à cette silhouette refusant de s’avouer vaincue ; cette silhouette qui mobilise en elle toute son énergie et sa détermination ? D’un point de vue symbolique, il est intéressant de remarquer que les lignes en arrière-plan rappellent le décor d’un ring. Notons, par ailleurs, l’expression « par amour » inscrite sur la main gauche de la silhouette féminine… allusion tragique aux violences exercées contre les femmes et évocation métaphorique, sous le pinceau d’Hélène JACOB, de cette « résistance » affichée et affirmée face à ces fléaux !
La position « Debout » est en effet l’un des thèmes rapprochant les toiles. Relevons, à cet égard, des toiles comme : « Vigilance », « Debout » (justement) et « Inspiration citadine » dont la particularité est de mettre en lumière une silhouette féminine… debout, affirmant ainsi sa présence.
Élément central rapprochant d’emblée ces réalisations : le format choisi par l’artiste peintre. Un format vertical, comme pour mieux épouser cette volonté, chez ces silhouettes féminines, de rester debout précisément, de surplomber, de garder de la hauteur, d’affirmer – envers et contre tout – une présence, une identité, une volonté d’être.
Sur la première toile que nous avons évoquée, l’absence de visibilité au niveau du visage de la silhouette représentée est largement compensée par la couleur de sa longue robe et celle de son sac. Couleurs qui donnent une épaisseur et une identité à cette femme créole gardant un œil – vigilant – sur l’enfant en train de s’amuser.
Sur la troisième toile que nous avons évoquée, une femme est…debout entre ce qui s’apparente à des ensembles de constructions… un peu à l’étroit, semble-t-il. Force est de constater pourtant que la position « debout » est rehaussée par le support sur lequel se trouve la femme représentée… comme un supplément de hauteur en fait ! Comme s’il s’agissait, pour Hélène JACOB, de surélever cette femme afin de mieux intégrer cette dernière aux… « inspirations citadines », symboles de place dans la société et d’inclusion.
Cette silhouette féminine, se découpant sur un fond jaune (non dénué d’absolu), prend ainsi de la place malgré tout et ne peut donc être effacée comme cela.
Cette exposition marque l’une des obsessions majeures d’Hélène JACOB : mettre en évidence la beauté et la grâce inhérentes à la femme. Force est de constater, par exemple, que la « baigneuse » se caractérise par sa beauté plastique même si son corps semble marqué de meurtrissures ; lesquelles, par ailleurs, sont sublimées par l’esthétique de l’ensemble : une mer de couleurs, qu’accompagne, précisément, ce corps qui semble avoir la patine du bronze. L’emploi du papier marouflé permet justement à l’artiste peintre d’insister sur ce corps mat, symbole de présence malgré tout ; symbole d’authenticité et de vie. Sur une autre toile, une femme prend la pose… occasion, pour nous, d’apprécier l’élégance qui la caractérise ; l’élégance du geste qu’elle effectue avec son chapeau – une élégance toute féminine – rehaussée par l’épaule gracile qui émerge de sa longue robe blanche (une sorte de fourreau blanc) et les teintes qui parsèment son visage et son cou ! Quelle beauté ! Quelle élégance !
« Silhouettes » ou la représentation de femmes libres, « photographiées », captées par le regard et le pinceau de l’artiste dans leur diversité ; qu’elles soient voyageuses, attablées, assises, confrontées à leurs propres réflexions, leurs rêves… ces femmes qui symbolisent la spontanéité de la vie ; ces instants riches parce que fugaces.
Sans multiplier les faits, relevons ces deux toiles mettant en évidence une « napolitaine » attablée et une femme assise sur une chaise, dans une position langoureuse. Hymne artistique à l’adresse de la femme au cœur de ses pensées, de ses rêves, échappant ainsi aux outrages extérieurs ! Hymne à cette beauté que rehaussent ces couleurs constituant une aura protectrice pour les femmes représentées !
Les femmes célébrées par Hélène JACOB se caractérisent par leur universalité puisqu’elles évoquent, soit le Maghreb, les Antilles ou l’Europe. Relevons également le portrait de cette femme dont le chignon, tenu par des épingles – des kanzashi ? –indique une pratique asiatique. Ce visage féminin, toutefois, est d’autant plus complexe qu’il est surimposé à une carte sur laquelle il est possible de lire : « URSS ». Par ailleurs, nous pouvons y distinguer des traits et des yeux appartenant au phénotype européen. Métissage esthétique tout à fait signifiant ! Ce visage, enfin, est marqué par une écriture illisible ; laquelle écriture se prolonge à l’arrière-plan, comme si l’artiste peintre voulait nous signifier que le corps humain n’est pas la simple propriété du « moi » ; mais qu’il s’inscrit, au contraire, dans une longue histoire, culturelle et spirituelle.
L’image de la Vénus Hottentote que nous avons déjà évoquée permet également à Hélène JACOB d’illustrer l’universalité inhérente à la femme dans la mesure où le portrait qu’elle propose est une allusion au poème de RIMBAUD intitulé justement : « Vénus Anadyomène » avec l’objectif, toutefois, de marquer sa sympathie pour cette femme soumise aux regards lubriques de l’époque. Cette exposition met en lumière l’un des thèmes récurrents dans l’œuvre d’Hélène JACOB : le visage des femmes… ce visage porteur d’identités, de réflexions, de sentiments les plus divers.
Relevons d’abord cette toile où il est possible de voir deux voyageuses (l’une de face et l’autre de dos). Ce visage, finalement, est le seul élément que l’on identifie clairement au cœur de toutes ces constructions colorées informelles… ce visage de femme qui émerge toujours du « chaos », de l’informel ; symbolisant bien cette humanité qui affiche – et communique – son identité (et que d’aucuns souhaiteraient voiler, masquer, gommer).
Ces visages de femmes qui reflètent leur détermination, leurs certitudes, leur sérénité, leurs convictions profondes… autant d’expressions de visages soutenant le regard ou fixant un objectif qu’il importe d’atteindre ; autant de visages traduisant la permanence d’une mémoire féminine résistant aux obscurantismes et au temps qui passe. Permanence d’une mémoire qui se refuse à abdiquer ou à baisser le regard !
Le tableau intitulé : « Introspection » nous montre, par exemple, un visage de femme dont le regard est tourné vers l’intérieur. Par quel songe est-il absorbé ? Par quelle souffrance ? Cette toile, dans sa verticalité, porte en effet une dimension de beauté tragique, comme si l’intériorité dévolue à la féminité pouvait être un enfermement. Notons également ce visage d’une femme des Antilles posé sur un voile d’irréalité, sur un fond indistinct laissant deviner une sorte d’assurance face au réel chez cette femme. Terminons précisément cette relation par l’évocation de cette table ovale réalisée par l’artiste peintre. Une table ovale qui, d’un point de vue symbolique, récapitule toute cette histoire construite par les femmes (une histoire aux allures d’épopée) et dont il n’est pas question qu’elle s’efface comme cela. Relevons la présence de ces deux ampoules dont la finalité est précisément d’ « éclairer » le parcours effectué jusque-là… un parcours à valeur d’exemples ! Cette table est d’autant plus importante qu’elle récapitule précisément tous les messages que l’artiste a voulu transmettre à travers la valeur picturale et symbolique de ses toiles.
Table de concordance où les mots, les formes et les couleurs se répondent en une mystérieuse énigme qui pourrait être celle de la féminité en quête d’elle-même.
Philippe CHARVEIN, le 15/06/2024
Hélène Jacob, Silhouettes, Créole Art Café, Saint-Pierre, du 6 au 30 juin 2024