— Par Dégé —
Entrer au Créole Arts Café, face à la poste de Saint-Pierre, c’est déjà entrer dans une œuvre d’art en soi : il ne s’agit pas d’un fac-simile à la Walt Disney. Rien de plastique. Les lourds pavés patinés par le temps ont réellement subi les colères du volcan, les diverses fortunes de ses habitants…Juliette Kind, son actuelle et dynamique propriétaire, a su garder avec bonheur, sur les murs et les poutres, les cicatrices d’un passé authentique. Outre de quoi se désaltérer ou se restaurer, choisir un petit cadeau souvenir, elle y accueille les expositions des artistes locaux.
Entrer dans EXPERIENCES de FEMMES c’est aussi rentrer dans l’authentique, la sincérité de la pensée. A commencer par la grotte de rideaux rouge, symbole d’un utérus, où de jeunes créatrices d’art contemporain Jehan Pognon et Betty Garçault, laissent entendre le cri étouffé du ventre des femmes. Il faut prendre le temps de lire les multiples billets évoquant avec pédagogie des réalités encore hélas à connaître…Puis en sortant de l’organe : plein soleil ! Une armée d’Amazones en tôle découpée envahissent de leur variété multicolore et militante une petite cour profonde et étroite. Ce sont l’œuvre, puissante, d’un duo fidèle : Isabelle Pin et Garance Vennat.
Toujours au rez-de-chaussée un autre duo : celui de la poétesse, Françoise Foutou, qui assure une présence continue intime souriante, militante pourtant, avec son dispositif vidéo et celui de Nadia Burner dont l’esthétique décidément aussi forte que sobre dénonce ici l’esclavage ménager, l’excision, les carcans divers, les maltraitances …
A l’étage, les impressions se bousculent. Je vous laisse découvrir la révolutionnaire femme nue de Karin Eliasch ; la vieille au cigare de Colette Wild aux multiples techniques maîtrisées ; le kakémono et les dessins de Fabienne Clément, infographiste sensible ; à jamais liées dans ce pacte artistique : F’âmes, les « sorcières » que sont Catherine Vennat, Gaël Satttier, Corinne Jean-Joseph ; l’ambigüité troublante des genres, une remise en question des assignations sexuelles par Anick Ebion ; le dérangeant miroir brisé de Sandrine Zedame ou encore l’élégante et intrigante robe céramique de la femme invisible de Catherine Bland.
Dans une petite pièce adjacente, de Elisabeth Alexandrine, une magnifique installation à la gloire des femmes, innombrables, trop peu connues qui font la grandeur du monde dont vous pourrez emporter le nom à documenter. En échos, trois tableaux puissants de Hélène Jacob qui invitent à la reconnaissance de grandes figures du féminisme dans trois domaines : l’art, la politique, les affaires ; et encore un petit tableau de Daouïa traitant de l’inceste et surtout du perpétuel travail de résiliences qui constitue la vie d’une femme. Il pourrait sortir de la bibliothèque de Fabienne Cabord, au style reconnaissable, qui présente avec tendresse les lunettes de sa grand-mère, quatre toiles fourmillant de dessins, citations, d’injonctions à la parité…
Voilà, il vous reste à déjeuner ou vous désaltérer sur la longue coursive de cette vieille demeure bourgeoise surplombant la rue, terrasse d’où l’on guettait autrefois les passants. Aujourd’hui les camions trop nombreux n’empêchent pas de réfléchir au Féminicide que dénonce dans la dernière pièce un formidable tableau de Sylviane Fédronic, un témoignage saisissant, la beauté dans l’horreur ; Suzy Bland, sous forme de lettre anonyme, récapitule et paradoxalement dénonce les crimes dont sont victimes les femmes, tandis que Jaddict, dans une tonitruance contemporaine aussi clinquante que nécessaire affiche un clitoris d’habitude si caché. Il fait face à une « Origine du monde » pixélisée par des milliers de photos portraits, « Koukoun pani koulè … » œuvre, au titre rigolard, de Medhi Michalon. La toile de Camille Desmazon exprime la sidération, l’expulsion corporelle subies lors d’un viol : munchénien ! Enfin un éclat de rire avec la Pisseuse, pastiche d’un Picasso, de Michèle Arretche. Provocatrice pleine d’humour et …heureuse présidente du PABE. Elle co-organise avec l’association des jeunes d’ARCAN ‘ et Garance Vennat comme commissaire cette exposition.
Après ce premier survol rapide de celle-ci, il vous viendra la nécessité de revisiter toute entière cette exposition en vous arrêtant cette fois à une lecture attentive des cartels. En lisant leur intention vous y puiserez votre propre vérité. Et pourrez même la confronter à une exposante car il y en a toujours au moins une présente prête à partager une écoute, une discussion.
Ajoutons que le militantisme n’exclut pas le talent. Que la dénonciation des pires mots ne désigne pas des victimes mais des femmes, des êtres humains à part entière capables de distanciation jusqu’à l’humour, au rire franc. Des femmes debout des bois flots plus que des résistantes…des femmes libres épanouies créatrices d’elles-mêmes : des artistes !