Existe-t-il une « nouvelle politique haïtienne d’enseignement en kreyòl » ?

 —Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —

Depuis plusieurs années, l’enseignement en langue maternelle créole est une préoccupation majeure chez un grand nombre d’enseignants, de directeurs d’écoles, de parents d’élèves, de rédacteurs et éditeurs de manuels scolaires, de cadres du ministère de l’Éducation nationale et de linguistes-didacticiens. Pour la première fois dans l’histoire du pays, une singulière association professionnelle d’enseignants a vu le jour le 28 août 2016, il s’agit de l’Asosyasyon pwofesè kreyòl ayisyen (APKA), et l’action de cette instance professionnelle pourrait aboutir un jour, grâce à son dynamisme, à une diplomation spécifique –à l’attribution d’un diplôme d’État–, résultant d’une formation spécialisée en didactique du créole. Il est attesté que l’enseignement en langue maternelle créole –qui n’est toujours pas sanctionné par un diplôme émis dans le cadre d’un programme spécifique de formation des enseignants à l’École normale supérieure de l’Université d’État d’Haïti–, a fait l’objet de plusieurs études élaborées à partir d’enquêtes de terrain, entre autres celles contenues dans un ouvrage collectif de premier plan, « L’aménagement linguistique en salle de classe – Rapport de recherche » (les Ateliers Grafopub, 2000). De la parution de cet ouvrage de référence au cours de l’année 2000 à aujourd’hui, les recommandations consignées dans cette ample étude de terrain n’ont jamais été mises en application alors même que ce travail de recherche a été effectué à la demande du ministère de l’Éducation nationale.

Il est également attesté que la question de l’enseignement EN créole et de l’enseignement DU créole est abordée diversement et avec constance en Haïti et en outre-mer sur différentes tribunes, dans la presse et dans des revues spécialisées. Cette problématique a en effet été étudiée par plusieurs linguistes, principalement par Wilner Dorlus (2008), Renauld Govain (2013, 2014, 2018, 2021), Lemète Zéphyr (2010, 2018, 2021), Fortenel Thélusma (2018, 2021), Guerlande Bien-Aimé (2021), Bartholy Pierre Louis (2015), ainsi que Benjamin Hebblethwaite en collaboration avec le philosophe Michael Weber (2012). Pour notre part, en ce qui a trait à la question de l’enseignement du/en créole, nous avons publié plusieurs articles, notamment « De l’usage du créole dans l’apprentissage scolaire en Haïti : qu’en savons-nous vraiment ? » (Fondas kreyòl, 11 novembre 2021) et « L’état des lieux de la didactique du créole dans l’École haïtienne, une synthèse (1979 – 2022) » (Fondas kreyòl, 28 mai 2022).

Dans une étude d’une grande amplitude analytique qui nous a aimablement été acheminée par l’auteur, « La didactique du créole en Haïti : difficultés et axes d’intervention », le linguiste haïtien Wilner Dorlus dressait en 2008 un état des lieux similaire pour l’essentiel aux observations de terrain formulées quelques années plus tard par d’autres linguistes, en particulier par Lemète Zéphyr, Renauld Govain, Fortenel Thélusma, Guerlande Bien-Aimé, Bartholy Pierre Louis et Benjamin Hebblethwaite. L’étude de Wilner Dorlus a été élaborée en vue de sa participation aux Journées d’études sur la graphie et la didactique du créole organisées en 2008 par le CRILLASH (Centre de recherches interdisciplinaires en lettres, langues, arts et sciences humaines) de l’Université des Antilles en Martinique. Professeur de communication créole au Lycée Anténor Firmin et enseignant-chercheur à l’Université d’État d’Haïti, Wilner Dorlus examine avec pertinence (1) « le contexte dans lequel a émergé [le créole] comme discipline dans l’enseignement haïtien » ; (2) « la façon dont l’enseignement de la discipline en question est défini par le curriculum de l’École fondamentale » ; (3) « le discours didactique à travers lequel passe cet enseignement, sans négliger l’imbroglio terminologique que reflète (…) « le champ conceptuel de la grammaire du créole en Haïti », alimenté par tous ceux-là qui, pour une raison ou pour une autre, s’estiment bien placés pour marquer de leur empreinte le domaine de la réflexion sur le créole ».

Il y a communauté de vue entre le diagnostic exposé dans le fort éclairant article de Wilner Dorlus et celui de Renauld Govain consigné dans deux articles de grande amplitude analytique : (1) « Enseignement du créole à l’école en Haïti : entre pratiques didactiques, contextes linguistiques et réalités de terrain » (article paru dans « Contextualisations didactiques. Approches théoriques », sous la direction de Frédéric Anciaux, Thomas Forissier et Lambert-Félix Prudent, Éditions L’Harmattan, 2013) ; et (2) « L’état des lieux du créole dans les établissements scolaires en Haïti » (article publié dans Contextes et didactiques 4 / 2014).

Au regard du titre du présent article, « Existe-t-il une « nouvelle politique haïtienne d’enseignement en kreyòl » ? », l’article de Renauld Govain paru dans Contextes et didactiques 4 / 2014 livre de précieux et rigoureux enseignements.

En effet Renauld Govain, au creux du générique « aménagement linguistique », passe en revue diverses interventions de l’État haïtien en ce qui concerne le français et le créole (divers textes constitutionnels, lois et décrets). Il nous enseigne que « Le 28 septembre 1979, l’État promulgua une loi introduisant le créole dans le système scolaire à la fois comme langue d’enseignement et langue enseignée (en Haïti en général on parle de préférence de « langue-objet » pour langue enseignée et « langue-outil » pour langue d’enseignement). L’article 1er de cette loi stipule : « L’usage du créole, en tant que langue commune parlée par les 90 % de la population haïtienne est permis dans les Écoles comme langue instrument et objet d’enseignement ». En cette même année, on assiste au lancement officiel de la réforme éducative initiée par le ministre de l’Éducation nationale, Joseph C. Bernard, à la faveur de laquelle le créole a pu être introduit à l’école non sans résistance. Beaucoup de directeurs d’écoles, d’enseignants, de parents avaient manifesté une grande résistance, voire un grand désaccord à l’introduction du créole dans l’enseignement, où il devait être langue d’enseignement au cours des quatre premières années du cycle fondamental. Mais les écoles qui acceptèrent de l’enseigner le firent comme une matière au même titre que les sciences sociales ou les mathématiques. L’objectif principal de cette réforme était d’utiliser le créole comme langue enseignée et langue d’enseignement (IPN [Institut pédagogique national], Direction de planification, 1982), dans la perspective de relever le niveau de l’enseignement en Haïti. Y arriver implique, d’après ce document officiel,  « une approche méthodologique du français comme langue seconde ; l’élimination systématique de la routine ou de la mémorisation à outrance ; une formation plus pratique, plus complète, plus adaptée de l’enfant de chez nous ; une philosophie de l’éducation basée essentiellement sur une connaissance réelle des problèmes du milieu haïtien et de l’homme haïtien […] Notre langue nationale le créole devient Instrument et Objet d’enseignement au cours des quatre premières années du cycle fondamental ».

Poursuivant son analyse, Renauld Govain précise que « Dans l’état actuel des expériences linguistiques en Haïti, il se pose le problème de la standardisation, voire de la « didactisation » du créole comme objet et outil d’enseignement, afin qu’il puisse remplir convenablement sa fonction de langue d’enseignement. La standardisation est « un processus rationnel d’imposition d’une variété stabilisée et grammatisée (une variété écrite et décrite, évidemment dans un procès de grammatisation) sur un territoire donné, unifié par des institutions entre autres culturelles et linguistiques » (Baggioni, 1997). La didactisation est, selon nous, un processus qui s’appuie sur des procédés scientifiques (mais aussi sur des techniques particulières et contextuelles selon les caractéristiques du public cible, du milieu dans lequel l’enseignement/apprentissage doit avoir lieu, des objectifs visés, etc.) qui rendent la langue apte à être enseignée selon une démarche qui minimise les risques des fuites dus à une orientation aléatoire du processus d’enseignement/apprentissage de la langue. « Didactiser » une langue, dans cette perspective, consistera en l’établissement d’une série de démarches ou dispositifs permettant de modéliser son enseignement/apprentissage en situation formelle et institutionnelle afin de maximiser l’intervention d’un facilitateur (côté enseignement) et l’activité d’apprentissage (côté apprentissage). Cette modélisation a pour rôle de rendre le contenu à enseigner/faire apprendre plus « potable », plus concret en essayant de le rapprocher le plus possible du vécu et des réalités quotidiennes des apprenants ». [À propos de la didactisation du créole, voir aussi l’article de Renauld Govain rédigé en collaboration avec Guerlande Bien-Aimé, « Pour une didactique du créole haïtien langue maternelle » paru dans le livre collectif de référence « La didactisation du créole au cœur de l’aménagement linguistique en Haïti » (par Robet Berroouët-Oriol et alii, Éditions Zémès et Éditions du Cidihca, 2021).

Toutes les données documentaires et analytiques exposées jusqu’ici dans le déroulé du présent article renvoient nécessairement à la question centrale de la politique linguistique éducative de l’État haïtien et singulièrement à celle du binôme didactique/didactisation du créole au creux de l’acquisition des savoirs et des connaissances en langue maternelle créole. C’est donc pour prolonger et enrichir une quête analytique entreprise depuis un certain temps que le présent article explore quelques pistes d’une indispensable réflexion induite en partie par la relecture d’une entrevue accordée à Peter Dizikes par le linguiste Michel DeGraff. Cette entrevue est parue sur le site MIT News Office le 20 juillet 2015 et elle a pour titre « 3 questions : Michel DeGraff on Haiti’s new policy for teaching in Kreyòl » [« 3 questions à Michel DeGraff à propos de la nouvelle politique haïtienne d’enseignement en kreyòl »]. Le titre de l’entrevue renvoie, comme nous l’avons brièvement exposé dans les lignes précédentes, à une problématique complexe qui a été diversement étudiée par plusieurs linguistes, à savoir l’enseignement EN langue maternelle créole / l’enseignement DE la langue maternelle créole. Le titre de l’entrevue comprend un qualifiant, il s’agit du terme « nouveau » conjoint au segment « politique haïtienne d’enseignement en kreyòl », ce qui signifie qu’au moment où l’entrevue a été menée l’État haïtien disposait déjà, semble-t-il, d’une « politique (…) d’enseignement en kreyòl ». Et par rapport à une période antérieure –en particulier celle de la réforme Bernard de 1979–, l’État haïtien aurait, semble-t-il, élaboré et mis en route une « nouvelle politique haïtienne d’enseignement en kreyòl ». Cela mérite réflexion car toute entreprise majeure d’aménagement du créole, présumée langue de scolarisation de 3 millions d’élèves en contexte d’apprentissage scolaire dans nos écoles, doit être examinée avec la meilleure attention, notamment quant à ses objectifs, à ses méthodes et aux qualifications didactiques des intervenants. Afin d’enrichir et de diversifier ce parcours réflexif-analytique, nous avons sélectionné les parties de l’entrevue de Michel DeGraff qui nous ont semblé les plus pertinentes : elles sont citées intégralement, en anglais, et ces citations sont immédiatement suivies d’une traduction française. Au fil du propos nous avons consigné nos commentaires analytiques assortis d’éclairantes références documentaires.  

Le déni réitéré des travaux des enseignants-chercheurs en didactique créole et en didactisation du créole

Au cours de l’entrevue parue sur le site MIT News Office le 20 juillet 2015, Michel DeGraff, selon sa vision de la promotion du créole, se prononce comme suit sur le « Pwotokòl akò ant ministè Edikasyon nasyonal ak fòmasyon pwofesyonèl (Menfp) ak Akademi kreyòl ayisyen (Aka) signé le 8 juillet 2015 :

« The core objective of this new agreement between MENFP and AKA is to further promote Kreyòl, and Kreyòl speakers’ linguistic rights. MENFP and AKA have now created a formal framework to work together to expand the use of Kreyòl as a teaching tool at all levels of Haiti’s system, from kindergarten to university. This also entails the standardization of Kreyòl writing, and the training of teachers for instruction of, and in, Kreyòl. »

« L’objectif principal de ce nouvel accord entre le MENFP et l’AKA est de promouvoir davantage le kreyòl et les droits linguistiques des locuteurs du kreyòl. Le MENFP et l’AKA ont créé un cadre formel pour travailler ensemble afin d’étendre l’utilisation du kreyòl comme outil d’enseignement à tous les niveaux du système haïtien, de la maternelle à l’université. Cela implique également la normalisation de l’écriture en kreyòl et la formation des enseignants pour l’enseignement du kreyòl et en kreyòl. »

Et Michel DeGraff conforte son propos en y ajoutant des considérations d’ordre idéologique et politique de la manière suivante :

« (…) MENFP Minister Nesmy Manigat has shown an extraordinary amount of political will to promote Kreyòl. He is wholeheartedly supporting AKA and its agenda, as shown in the signing, on July 8, of this MENFP-AKA agreement. As he explained at the signing ceremony, Haitian schools have for too long wasted the potential of too many students by ignoring their native Kreyòl, and he trusts that this agreement will help ensure that all Haitian students have the same opportunity to succeed in school. »

« (…) le ministre de l’Éducation nationale, Nesmy Manigat, a fait preuve d’une volonté politique extraordinaire pour promouvoir le kreyòl. Il soutient sans réserve l’AKA [Akademi kreyòl ayisyen] et son programme, comme en témoigne la signature, le 8 juillet, de cet accord MENFP-AKA. Comme il l’a expliqué lors de la cérémonie de signature, les écoles haïtiennes ont trop longtemps gaspillé le potentiel de trop d’élèves en ignorant leur langue maternelle, le kreyòl, et il est convaincu que cet accord contribuera à garantir que tous les élèves haïtiens aient les mêmes chances de réussir à l’école. »

L’entrevue de Michel DeGraff parue sur le site MIT News Office le 20 juillet 2015 est instructive à plusieurs titres –notamment en ce qu’elle ne se réfère à aucun moment aux travaux antérieurs et connus des linguistes haïtiens dans le domaine de la didactique/didactisation du créole : Wilner Dorlus, Renauld Govain, Lemète Zéphyr, Fortenel Thélusma, Guerlande Bien-Aimé et Bartholy Pierre Louis (en sociodidactique)… L’on observe en effet que durant son entrevue Michel DeGraff se prononce sur un sujet, le « Pwotokòl akò ant Ministè Edikasyon nasyonal ak fòmasyon pwofesyonèl (Menfp) ak Akademi kreyòl ayisyen (Aka) » signé le 8 juillet 2015, dans la plus totale ignorance de la dimension didactique et de planification linguistique que ce protocole d’accord aurait dû comporter puisque ce protocole était destiné à « étendre l’utilisation du kreyòl comme outil d’enseignement ». Or c’est précisément sur ces deux registres liés –la dimension didactique et de planification linguistique–, que Michel DeGraff aurait dû, s’il en avait le souci et la compétence analytique, élaborer un argumentaire crédible et démontrer que l’Accord du 8 juillet 2015 aurait dû comporter un cadre conceptuel et réglementaire au centre duquel aurait été placé le binôme didactiique/didactisation du créole. Il est attesté que c’est justement sur ces deux registres liés que se situe la plus flagrante et la mieux maquillée des lacunes scientifiques du MIT Haiti Initiative Project et de ses fondateurs-activistes, Vijay Kumar, Haynes Miller et Michel DeGraff, tous enseignants au MIT, ainsi que Paul Belony, détenteur d’un doctorat de physique et enseignant à Kean University. Les fondateurs-activistes du MIT Haiti Initiative entendent instituer un apprentissage scolaire en créole en dehors de toute dimension de didactique/didactisation du créole et en dehors des standards de la didactique du créole langue maternelle repérables dans les travaux de Wilner Dorlus, Lemète Zéphyr, Renauld Govain, Fortenel Thélusma, Guerlande Bien-Aimé et Bartholy Pierre Louis (voir plus haut l’appareillage conceptuel élaboré par Renauld Govain sur la didactisation du créole ; voir également les diverses contributions rassemblées dans le livre collectif de référence « La didactisation du créole au cœur de l’aménagement linguistique en Haïti » (par Robet Berroouët-Oriol et alii, Éditions Zémès et Éditions du Cidihca, 2021). Le déni réitéré des travaux des enseignants-chercheurs en didactique créole et en didactisation du créole est attesté dans les termes mêmes de la « mission » du MIT Haiti Initiative tel que consigné sur le site de cette institution :

« Our Mission / Our mission is to promote technology-enhanced active learning and the use of Kreyòl in science, technology, engineering and math (STEM) disciplines, to help Haitians learn in the language most of them speak at home ».

« Notre mission / Notre mission est de promouvoir l’apprentissage actif assisté par la technologie et l’utilisation du kreyòl dans les disciplines scientifiques, technologiques, techniques et mathématiques (STEM), afin d’aider les Haïtiens à apprendre dans la langue que la plupart d’entre eux parlent à la maison ».

L’on observe que le simple fait de déclarer « promouvoir l’apprentissage actif assisté par la technologie et l’utilisation du kreyòl dans les disciplines scientifiques » ne constitue en rien une approche scientifique sur le registre précis de la didactique/didactisation du créole. L’approche essentiellement techniciste du MIT Haiti Initiative et de ses fondateurs-activistes se caractérise précisément par l’ignorance de la didactique/didactisation du créole car il suffit que cet apprentissage soit étiqueté « actif assisté par la technologie » pour qu’il prétende à la scientificité alors même qu’il est conçu et mis en œuvre en dehors de la didactique/didactisation du créole. À cet égard il est hautement significatif qu’aucune des rubriques informatives du site du MIT Haiti Initiative Project (« Sa nou fè », « Nouvèl », « Atelier », « Resous ») ne consigne la moindre étude de terrain, le moindre document de référence traitant spécifiquement de la didactique/didactisation du créole.

En résumé, il faut prendre toute la mesure que sur le registre de l’apprentissage scolaire en langue maternelle créole –l’apprentissage à l’aide de la « langue-outil » comme le rappelle très justement le linguiste Renauld Govain–, l’approche essentiellement techniciste du MIT Haiti Initiative évacue toute la dimension didactique/didactisation du créole, elle privilégie une vision pédagogique déclarative où prédomine « l’apprentissage actif assisté par la technologie » : dans cette vision le créole joue non pas le rôle central de « langue-outil » mais plutôt, en réalité, le rôle de « langue d’appoint » devant conforter la dominante « apprentissage actif assisté par la technologie » en dehors de toute approche qui privilégie l’indispensable apport de la didactique/didactisation du créole. Il s’agit là non pas d’un banal biais pédagogique mais plutôt d’une lourde lacune conceptuelle et méthodologique, et cette lourde lacune est au fondement du fait observable que le « modèle pédagogique » préconisé par le MIT Haiti Initiative n’a jamais pu être implanté en Haïti de 2010, année de la fondation de cette institution, à l’année 2024.

Existe-t-il une « nouvelle politique haïtienne d’enseignement en kreyòl » ? En réalité, le « modèle pédagogique » préconisé par le MIT Haiti Initiative de 2010 à 2024 n’a jamais été adopté par l’État haïtien alors même que le site Platfòm MIT-Ayiti énonce toute une gamme d’activités présumées… (NOTE / Le protocole d’accord paraphé entre l’État haïtien et « MIT-Haiti Initiative », d’un montant total de 1 310 811 dollars américains, dont 1 million de la « U.S. National Science Foundation » et des dons du corps professoral et du personnel du MIT », date d’avril 2013.) Il est hautement significatif que les présumés 5 vastes champs d’activités pédagogiques identifiés sur le site Platfòm MIT-Ayiti n’ont fait l’objet d’aucun bilan analytique public élaboré par le MIT Haiti Initiative de 2013 à 2024. Ces 5 présumés vastes champs d’activités pédagogiques sont les suivants :

  1. « Fòmasyon pwofesè nan nivo segondè epi nan ansèyman siperyè. Fòmasyon sa yo ap benefisye nivo ki pi ba yo tou. Atelye MIT-Ayiti yo ap fòme plis pase 60 pwofesè pa ane nan teknik pedagoji entèraktif, epi kolèg nou yo ap kontinye fè pwòp atelye fòmasyon pa yo pou lòt pwofesè tou patou nan peyi a.

  2. N ap fè konbit ak edikatè ann Ayiti pou kreyasyon kourikoulòm ki baze sou pedagoji entèraktif an kreyòl pou nou demokratize aksè nan ansèyman S.T.En.M.. Pwofesè ki byen tranpe nan apwòch sa yo ap ka ede amelyore sistèm eskolè ann Ayiti epi y ap rive pote chanjman sistematik sa a ki nesesè nan sistèm lekòl ann Ayiti.

  3. Fellowship MIT-Ayiti” se konbit nan MIT ant edikatè MIT epi pwofesè ann Ayiti k ap patisipe nan Inisyativ la. Chak ane MIT ap envite 4 a 6 pwofesè ki ann Ayiti pou yo vin patisipe nan sesyon fòmasyon avanse pou yo kreye bon jan materyèl pedagojik an kreyòl epi mete sou pye aktivite ki baze sou teknoloji pou aprantisaj aktif.

  4. Konsiltasyon ak kolèg ann Ayiti sou devlòpman kourikoulòm epi pratik pedagojik ki pou aplike nan sal klas ann Ayiti. Ekspè nan MIT yo ap kolabore avèk anseyan inivèsite epi lekòl ann Ayiti pou ede nan amelyorasyon pwogram eskolè epi pratik pedagojik nan S.T.En.M.

  5. Kreye bon jan engredyan pou kourikoulòm ki ka ankadre aprantisaj aktif ki baze sou pratik ansèyman S.T.En.M. an kreyòl. »

À titre d’illustration, lorsque l’on consulte le site Platfòm MIT-Ayiti en ciblant la rubrique « Fòmasyon pwofesè nan nivo segondè epi nan ansèyman siperyè » (voir le premier volet ci-haut identifié sur le site Platfòm MIT-Ayiti), l’on constate que :

–le MIT Haiti Initiative ne donne accès à aucun document, à aucune information chiffrée permettant de vérifier que ces formations « nan nivo segondè epi nan ansèyman siperyè » ont véritablement eu lieu de 2013 à 2024 ;

–le MIT Haiti Initiative ne fournit aucune information relative au nombre total d’enseignants formés en Haïti de 2013 à 2024 dans le cadre de ses activités ;

–le MIT Haiti Initiative ne fournit aucune information relative au nombre total d’écoles qui, en Haïti, de 2013 à 2024, auraient adopté le « modèle pédagogique » préconisé par le MIT Haiti Initiative.

–le MIT Haiti Initiative ne fournit aucune information permettant de confirmer que 720 enseignants auraient été formés, de 2013 à 2024, dans les « Ateliers » du MIT Initiative (« Atelye MIT-Ayiti yo ap fòme plis pase 60 pwofesè pa ane nan teknik pedagoji entèraktif »).

De surcroît, la consultation du site officiel du ministère de l’Éducation nationale, de celui du ministère de la Coopération externe et de celui du ministère des Affaires étrangères d’Haïti ne donne accès à aucun document analytique permettant de confirmer l’effectivité des activités des « Atelye MIT-Ayiti yo » pour la période allant de 2013 à 2024.

Il y a lieu de préciser que le « Pwotokòl akò ant Ministè Edikasyon nasyonal ak fòmasyon pwofesyonèl (Menfp) ak Akademi kreyòl ayisyen (Aka) », signé le 8 juillet 2015, a été rédigé uniquement en créole, ce qui constitue une violation flagrante de l’article 40 de la Constitution haïtienne de 1987 qui fait obligation à l’État rédiger et de promulguer tous ses documents dans les deux langues officielles du pays, le créole et le français.

L’on observe également que le « Pwotokòl akò ant Ministè Edikasyon nasyonal ak fòmasyon pwofesyonèl (Menfp) ak Akademi kreyòl ayisyen (Aka) » a été signé le 8 juillet 2015 : mais de juillet 2015 à octobre 2024, aucun des deux signataires n’a présenté le moindre bilan public attestant que les objectifs fixés ont été atteints. Le « protocole d’accord » n’a pas eu de suite connue et mesurable de 2015 à 2024, et l’Académie créole, qui se plaint désormais dans la presse locale d’être « marginalisée » et sous-financée par l’État et dont l’action est quasi nulle à l’échelle nationale, s’évertue à identifier publiquement le ministère de l’Éducation nationale comme étant la principale institution qui s’oppose à la « promotion » du créole dans les écoles. L’Académie créole rejette ainsi sur « les autorités de l’État haïtien » le très maigre bilan de son action. Dans un article publié par Le Nouvelliste le 1er mars 2018, « L’Académie du créole haïtien réclame le support de l’État », les représentants de l’AKA exposent que « Faisant face à d’innombrables difficultés, les académiciens ont fait remarquer que les autorités de l’État haïtien ne soutiennent pas les actions et les travaux de l’Académie du créole haïtien. Selon Pierre Michel Chéry, l’État devrait prendre des mesures exigeant l’usage du créole dans toutes les sphères de la société. Rien n’en est fait cependant [sic] ». En demandant à l’État de « prendre des mesures exigeant l’usage du créole dans toutes les sphères de la société », l’AKA signe l’échec flagrant de sa mission et atteste que c’est à l’État et non pas à elle de prendre de telles mesures.

Le naufrage de la lexicographie créole au MIT Haiti Initiative

Tel que nous l’avons exposé plus haut dans le déroulé du présent article, l’approche essentiellement techniciste du MIT Haiti Initiative évacue toute la dimension didactique/didactisation du créole et elle privilégie une vision pédagogique déclarative où prédomine « l’apprentissage actif assisté par la technologie ». Cette vision a des effets directs et mesurables sur le registre de la lexicographie créole.

En effet le MIT Haiti Initiative a mis en ligne, entre 2015 et 2017, le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative », un lexique anglais-créole d’environ 800 termes. Élaboré en dehors de la méthodologie de la lexicographie professionnelle, ce lexique amateur et pré-scientifique comprend un grand nombre d’équivalents créoles souvent fantaisistes, erratiques, a-sémantiques et non conformes au système morphosyntaxique du créole. En voici des exemples : « grafik ti baton », « rezistans lè », « epi plak pou replik sou », « nan eta repo », « konpayèl bazik », « vitès chape poul »… L’une des caractéristiques majeures du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » est l’absence du critère de l’exactitude de l’équivalence lexicale conjoint à celui de l’équivalence notionnelle : ce critère essentiel et central de la méthodologie de la lexicographie professionnelle est absent dans un grand nombre de pseudo équivalents « créoles » du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative ».

L’on observe que le MIT Haiti Initiative, qui a élaboré le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative », ne comprend aucun linguiste spécialisé en lexicographie générale ou en lexicographie créole et que la lexicographie n’est pas enseignée au Département de linguistique du MIT. Malgré cela, le MIT Haiti Initiative affiche l’invraisemblable prétention de modéliser le domaine de la néologie créole… Voici en quels termes l’élaboration du « Glossary » est présentée, sur le site du MIT – Haiti Initiative, au chapitre « Kreyòl-English glosses for creating and translating materials in Science, Technology, Engineering & Mathematics (STEM) fields in the MIT-Haiti Initiative » : « (…)  l’un des effets secondaires positifs des activités du MIT-Haïti (ateliers sur les STIM, production de matériel en kreyòl de haute qualité, etc.) est que nous enrichissons la langue d’un nouveau vocabulaire scientifique qui peut servir de ressource indispensable aux enseignants et aux étudiants. Ces activités contribuent au développement lexical de la langue » créole. » [Notre traduction] 

Le pseudo « nouveau vocabulaire scientifique » du MIT – Haiti Initiative n’ayant jamais pu être implanté dans le système éducatif national, le directeur de cette institution, le linguiste Michel Degraff, a livré une toute autre version de la mission et des objectifs du « Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative » dans l’article « Verite se tankou lwil nan dlo » (Le National, 10 février 2022). Il précise en effet ceci : « Enben, fòk nou klè sou sa : travay sou Glosè MIT-Ayiti a se pa te janm yon aktivite « leksikografi syantifik » ditou pyès.  Nou pa te janm gen pretansyon sa a.  Depi an lagan, se te yon aktivite pratik, entèraktif e dinamik sou teren (se pa nan « laboratwa », non !). Objektif Glosè MIT-Ayiti a se ede nan devlope epi aplike bibit vokabilè kreyòl la nan ansèyman lasyans » (…)  se sa ki toujou fèt pou tout lang k ap pran jèvrin.  Se moun k ap sèvi ak lang lan nan aktivite tou lè jou ki souvan kreye tèminoloji ki nesesè nan aktivite sa yo ».

RAPPEL / Parmi la trentaine d’articles que nous avons consacrés à la lexicographie créole ces dernières années et qui seront sous peu publiés au format livre aux Éditions Zémès (Haïti) et aux Éditions du Cidihca (Canada), le lecteur pourra consulter les titres suivants :

–« Le naufrage de la lexicographie créole au MIT Haiti Initiative » (Le National, 15 février 2022) ;

–« Le traitement lexicographique du créole dans le « Glossary of STEM terms from the MIT – Haïti Initiative » (Le National, 21 juillet 2022) ;

–« La lexicographie créole à l’épreuve des égarements systémiques et de l’amateurisme d’une « lexicographie borlette » (Le National, 28 mars 2023) ;

–« La « lexicographie borlette » du MIT Haiti Initiative n’a jamais pu s’implanter en Haïti

dans l’enseignement en créole des sciences et des techniques » (Rezonòdwès, 4 juillet 2023).

En lien avec la problématique énoncée dans le titre du présent article, « Existe-t-il une « nouvelle politique haïtienne d’enseignement en kreyòl ? », il y a lieu de préciser que le ministère de l’Éducation nationale dispose de plusieurs « documents stratégiques majeurs » : ils se chevauchent, affichent parfois des contradictions entre elles sans que l’on sache véritablement quel est LE document qui définit et encadre la présumée politique linguistique éducative de l’État haïtien.

Le premier document a pour titre « Cadre d’orientation curriculaire pour le système éducatif haïtien / Haïti 2054 » et pour son élaboration le ministère de l’Éducation a bénéficié du support technique et financier, à hauteur de 8 millions d’Euros, de l’Agence française de développement (AFD) dans le cadre du Projet NECTAR. Sa première mouture date de 2020 et il a été validé en février 2021.

Le second s’intitule « Cadre pour l’élaboration de la politique linguistique du MENFP » / « Aménagement linguistique en préscolaire et fondamental ». Ce document est daté de mars 2016 et il porte la mention « Travail réalisé par Marky Jean Pierre et Darline Cothière sous la direction de Marie Rodny Laurent Estéus consultante au cabinet du Ministre ».

Le troisième document a pour titre « Plan décennal d’éducation et de formation 2018 – 2028 ».

Le quatrième document s’intitule « Plan national d’éducation et de formation (PDEF) » daté de décembre 2020.

Une revue analytique de ces documents est consignée dans notre article du 27 août 2023 paru sur le site Rezonòdwès, « L’aménagement du créole en Haïti à l’épreuve du « Cadre d’orientation curriculaire » du ministère de l’Éducation nationale ».

En toute rigueur il est nécessaire de bien comprendre que le naufrage de la lexicographie créole au MIT Haiti Initiative n’est pas un épiphénomène, il s’apparie aux choix idéologiques et politiques publiquement exprimés par le linguiste Michel DeGraff.

Le MIT Haiti Initiative fait ouvertement la promotion de la collaboration avec un régime patrimonial corrompu, le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste

L’entrevue de Michel DeGraff parue sur le site MIT News Office le 20 juillet 2015 est fort révélatrice de la promotion de la collaboration très tôt instituée par le MIT Haiti Initiative avec un régime patrimonial corrompu, le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste. Sur le registre de la propagande politique, l’on observe que Michel DeGraff, dans cette entrevue, affiche une fois de plus un appui public constant au cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste en vantant la « volonté politique extraordinaire » de Nesmy Manigat, propulsé à la direction de l’Éducation nationale par les grands caïds du PHTK : « le ministre de l’Éducation nationale, Nesmy Manigat, a fait preuve d’une volonté politique extraordinaire pour promouvoir le kreyòl. Il soutient sans réserve l’AKA [l’Akademi kreyòl ayisyen] et son programme (…) ». De quel « programme » s’agit-il ? Le titre de l’entrevue est trompeur car la présumée « nouvelle politique haïtienne d’enseignement en Kreyòl » est une chimère : de la promulgation de la Constitution de 1987 jusqu’à l’année 2024, l’État haïtien ne s’est toujours pas doté de sa première politique linguistique éducative ni de sa première Loi d’aménagement de nos deux langues officielles dans le système éducatif national.

L’on cherchera en vain, sur le site du ministère de l’Éducation nationale, sur celui de l’Académie créole et sur celui du MIT Haiti Initiative le moindre bilan analytique attestant de manière mesurable la traduction dans les faits –au plan législatif, administratif et réglementaire–, de la présumée « volonté politique extraordinaire [du ministre de l’Éducation nationale Nesmy Manigat] pour promouvoir le kreyòl ». Aucun document officiel n’atteste à l’échelle nationale, dans toutes nos écoles, publiques et privées, que cette « volonté politique extraordinaire pour promouvoir le kreyòl » a été traduite dans des programmes identifiables, mesurables et menés à terme. Aucun document officiel n’atteste à l’échelle nationale, dans toutes nos écoles, publiques et privées, que l’État haïtien aurait normalisé la didactique du créole langue d’apprentissage scolaire, que cette normalisation aurait été juridiquement encadrée et qu’elle aurait été précédée de l’obligatoire certification des enseignants de créole.

L’appui public de Michel DeGraff au cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste est consigné dans deux documents accessibles en ligne : (1) dans son article « La langue maternelle comme fondement du savoir : L’Initiative MIT-Haïti : vers une éducation en créole efficace et inclusive » paru dans la Revue transatlantique d’études suisses, 6/7, 2016/2017 ; et (2) dans la vidéo qu’il diffuse sur Youtube depuis le 5 juin 2014 et dans laquelle il prétend frauduleusement que « Gras a pwogram PSUGO a 88% timoun ale lekòl ann Ayiti » (« Grâce au PSUGO 88% des écoliers haïtiens sont scolarisés en Haïti »).

Mis en route par les deux caïds-en-chef du PHTK néo-duvaliériste Michel Martelly et Laurent Lamothe, le PSUGO (Programme de scolarisation universelle gratuite et obligatoire), a été très largement dénoncé en Haïti par les enseignants et les associations d’enseignants. Il s’est révélé être une vaste entreprise de corruption et de dilapidation des ressources financières de l’État haïtien (voir les remarquables enquêtes de terrain d’AlterPresse diffusées en Haïti en juillet 2014, « Le Psugo, une menace à l’enseignement en Haïti ? (I – IV) / Un processus d’affaiblissement du système éducatif… » ; voir aussi le rigoureux article de Charles Tardieu, enseignant-chercheur, ancien ministre de l’Éducation nationale d’Haïti, « Le Psugo, une des plus grandes arnaques de l’histoire de l’éducation en Haïti », Port-au-Prince, 30 juin 2016).

En réalité et contrairement aux allégations frauduleuses de Michel DeGraff, l’aménagement du créole dans l’École haïtienne a été un slogan propagandiste durant la mandature de la « vedette médiatique » du PHTK néo-duvaliériste, Nesmy Manigat, à la direction de l’Éducation nationale.

Sur le registre des slogans propagandistes qui ont fleuri abondamment sur les réseaux sociaux durant la mandature à l’Éducation nationale de Nesmy Manigat, la « vedette médiatique » du PHTK néo-duvaliériste, l’on observe que la saga du LIV INIK EN KREYÒL occupe une place de choix (voir notre article « Le LIV INIK AN KREYÒL, version numérique, ou la permanence du bluff cosmétique au ministère de l’Éducation nationale d’Haïti » , Rezonòdwès, 24 février 2024). Le mort-né LIV INIK AN KREYÒL, élaboré en sept versions différentes par sept différents éditeurs de manuels scolaires, est ainsi présenté par Nesmy Manigat : « C’est une véritable révolution sur le chemin de l’équité et de l’inclusion en Haïti qui permettra à des milliers d’élèves défavorisés d’avoir accès à des contenus multimédias riches dans toutes les disciplines obligatoires du cadre d’orientation curriculaire actuel », a jugé Nesmy Manigat. Pour le ministre de l’Éducation nationale, la version numérique du livre unique est signe « d’un nouvel effort pour offrir une éducation de qualité, à travers des programmes d’étude renouvelés et modernisés à toutes les catégories d’enfants ». (…) « Conçu selon la pédagogie basée sur l’approche par compétence, ce nouvel outil a été mis au point par l’Unité de technologie de l’information et de la communication en éducation (UTICE) » (voir l’article « Le ministre de l’Éducation nationale visite Le Nouvelliste et présente la version numérique du livre unique », Le Nouvelliste, 21 février 2024).

Tel que nous l’avons rappelé durant la conférence que nous avons donnée via Zoom au PEN CLUB des Gonaïves le 21 février 2024, « Dwa lengwistik tout Ayisyen, dwa pou sèvi ak lang matènèl kreyòl nan tout lekòl ann Ayiti : ki sa Konstitisyon 1987 la di lan sa ? », Haïti est le seul pays au monde à vouloir implanter dans son système éducatif national SEPT VERSIONS DIFFÉRENTES d’un LIVRE UNIQUE EN CRÉOLE élaboré par SEPT ÉDITEURS DIFFÉRENTS. Haïti est le seul pays au monde à vouloir instituer « une véritable révolution sur le chemin de l’équité et de l’inclusion en Haïti », selon Nesmy Manigat, quitte à emprisonner et à ratatiner toutes les matières scolaires dans l’étroitesse d’un livre unique de 300 pages tandis que les élèves du Sénégal, de l’Afrique du Sud, du Canada, de la Martinique, de l’Algérie, de l’Argentine, de la Finlande ou de la Suisse ont à leur disposition des milliers de livres couvrant diverses matières et accessibles dans les bibliothèques scolaires, municipales ou nationales.

Au départ du projet, le ministère de l’Éducation nationale avait annoncé la distribution dès juin 2023 d’environ 1,5 millions exemplaires du « LIV INIK AN KREYÒL » dans les écoles du pays. Des sources concordantes, depuis la province et également à Port-au-Prince, estiment qu’un nombre peu élevé mais indéterminé d’exemplaires aurait été effectivement distribué, certaines écoles n’ayant reçu que deux, trois ou quatre exemplaires du « LIV INIK AN KREYÒL ». Des « hauts gradés » du MENFP ont également suggéré à quelques directeurs d’écoles de… photocopier le « LIV INIK AN KREYÒLÉ » et il semble que le réseau des bouquinistes aurait déjà entrepris de vendre des photocopies du « LIV INIK AN KREYÒL ». Dans de nombreux cas et surtout en province la distribution est lacunaire ou anarchique, et il est peu vraisemblable que le ministère de l’Éducation soit en mesure de contrôler la chaîne logistique de distribution partout au pays.

En définitive, l’un des effets directs du soutien public de Michel DeGraff au cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste est de décrédibiliser l’obligation qu’a l’État d’aménager le créole dans le système éducatif national. Également, sur le plan jurilinguistique, un tel soutien public de Michel DeGraff au cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste, à travers son appui au PSUGO, décrédibilise le droit à la langue maternelle créole dans l’École haïtienne : plutôt que d’être promu en raison de son caractère constitutionnel, ce droit est enfermé dans la « technicité » de l’idée de l’apprentissage en langue maternelle créole, il est réduit à la répétition exponentielle d’une homélie « militante » sur la nécessité de l’apprentissage scolaire en langue maternelle créole et il évacue la vision constitutionnelle et rassembleuse du partenariat entre nos deux langues officielles, le créole et le français (voir l’article « Partenariat créole/français – Plaidoyer pour un bilinguisme de l’équité des droits linguistiques en Haïti », par Robert Berrouët-Oriol, Le National, 7 novembre 2019).

Existe-t-il une « nouvelle politique haïtienne d’enseignement en kreyòl » ? Au terme de l’analyse consignée dans le présent article, il ressort que la réponse à cette question est clairement « non ». L’État haïtien demeure démissionnaire en matière d’aménagement linguistique et il investit peu dans l’éducation qui est administrée et financée à 80% par le secteur privé. Depuis la promulgation de la Constitution de 1987 qui a accordé le statut de langues co-officielles au créole et au français, l’État haïtien ne s’est toujours pas doté de son premier énoncé de politique linguistique éducative ni de sa première Loi d’aménagement de nos deux langues officielles dans le système éducatif national.

Montréal, le 2 novembre 2024