Exilés et droits fondamentaux, trois ans après le rapport Calais

Pour le Défenseur des droits, le respect des droits des étrangers et des étrangères constitue un marqueur essentiel du degré de protection et d’effectivité des droits et libertés dans un pays. Dans ce cadre, il s’est attaché, depuis plusieurs années, à observer le traitement réservé aux personnes exilées sur le territoire national, notamment dans les campements de fortune et à proximité, et à dénoncer les atteintes aux droits fondamentaux auxquelles il donne lieu.

Le Défenseur des droits publiait le 6 octobre 2015, un rapport intitulé Exilés et droits fondamentaux : la situation sur le territoire de Calais , dans lequel il faisait état des atteintes préoccupantes aux droits fondamentaux des personnes exilées à la frontière franco- britannique, contraintes de vivre dans des conditions indignes au sein d’un bidonville. Depuis cette date, le contexte a sensiblement évolué. Si des améliorations ont pu être imposées notamment par la juridiction administrative, la situation s’est en réalité nettement dégradée.

Trois ans après son rapport de 2015, le Défenseur des droits estime opportun de dresser un nouveau bilan en élargissant ses observations à d’autres terrains tels que Grande- Synthe, Ouistreham ou Paris.

En trois ans, le Défenseur des droits est intervenu à de multiples reprises par le biais de décisions – observations devant les juridictions ou recommandations -, d’avis au Parlement ou de prises de position publiques.

Ces interventions s’inscrivent toujours dans le cadre des pouvoirs qui lui sont conférés par la loi organique n°2011-333 du 29 mars 2011, et dans le respect du principe du contradictoire :

• Echanges de courriers avec les autorités publiques à l’occasion de l’instruction contradictoire des réclamations individuelles adressées à l’institution (préfectures, mairies, conseils départementaux, et forces de l’ordre) ;

• Visites sur place et missions d’observations – près d’une quinzaine – sur les conditions de vie et les démantèlements des lieux d’habitation à l’occasion desquelles ont eu lieu autant de rencontres avec les autorités locales, les représentantes et représentants de l’Etat, les personnes exilées et les associations leur venant en aide.

Le Défenseur des droits, chargé de veiller au respect des droits et libertés par l’article 71 de la Constitution , tire de ces nombreux échanges et observations des constats préoccupants et émet des recommandations auprès des pouvoirs publics.

Des atteintes inédites aux droits fondamentaux des personnes exilées — En dépit de l’adoption fréquente de solutions jurisprudentielles autorisant à déroger à la lettre de la loi, le Défenseur des droits entend rappeler le caractère inconditionnel du droit à l’hébergement .

Les opérations d’évacuation sont présentées par les autorités publiques comme des opérations de mises à l’abri visant à offrir aux personnes exilées vivant dans des campements insalubres et soumises à la pression des filières de passeurs, des conditions d’accueil dignes. Or, dans la mesure où ces mises à l’abri sont souvent non durables et constituent un cadre où peut s’opérer un contrôle de la situation administrative, elles contribuent en réalité à la création de nouveaux campements. A défaut de remplir pleinement leurs obligations en matière d’hébergement, les autorités publiques demeurent à tout le moins tenues, y compris à l’égard d’occupants sans droit ni titre, de garantir des conditions de vie matérielles décentes. Or, les exilés que les services du Défenseur des droits ont rencontrés en différents lieux se retrouvent dans un état de dénuement extrême , dépourvus de tout abri et ayant comme première préoccupation celle de subvenir à leurs besoins vitaux : boire, se nourrir, se laver. Ces difficultés ont pu être qualifiées par le Conseil d’Etat, en 2016 et 2017, de traitements inhumains ou dégradants .

Le Défenseur des droits rappelle aux autorités publiques leurs obligations en matière d’hébergement des personnes exilées et recommande que soit garanti aux demandeurs d’asile un accès effectif au dispositif national d’accueil conformément aux engagements pris par la France. Dans l’attente de solution d’hébergement pérenne, le Défenseur des droits recommande que soit garanti l’accès à la nourriture, l’eau et l’assainissement.

De telles conditions de vie conduisent à une détérioration sans précédent de la santé des exilés. Outre la persistance de pathologies spécifiques à la précarité sociale, le Défenseur des droits constate un développement inquiétant des troubles psychiques liés à la fois au parcours d’exil particulièrement dur et au traitement qui est réservé aux exilés à leur arrivée sur le territoire national.

Le Défenseur des droits recommande notamment la mise en place d’une véritable politique publique de prise en charge des troubles psychologiques et psychiatriques des personnes exilées.

Une vive inquiétude pour le respect des enfants — Si la généralisation et l’aggravation des atteintes aux droits fondamentaux frappent indistinctement tous les exilés, elles affectent de manière plus dure encore les plus vulnérables d’entre eux, les enfants, qu’ils soient en famille ou non accompagnés .

Ces mineurs seraient de plus en plus nombreux, de plus en plus jeunes et fragilisés, éprouvés par de longs parcours à l’étranger – parfois via la Libye – et sur le territoire français. Après avoir rencontré beaucoup de ces mineurs, des associations leur venant en aide et les autorités publiques en charge de leur protection, le Défenseur des droits considère que ses préconisations émises dans le passé demeurent d’actualité : ces jeunes sont laissés à leur sort en raison du caractère largement inadapté et sous-dimensionné des dispositifs prévus en leur faveur, qu’il s’agisse de leur mise à l’abri, de leur évaluation et de leur prise en charge pérenne. Les procédures d’asile et de réunification familiale restent quant à elles bien trop complexes pour être effectives. Ces obstacles exposent les mineurs, encore plus que les adultes, à des violences dégradant leur état de santé.

Le Défenseur des droits considère comme impératif que les pouvoirs publics adoptent en urgence des mesures appropriées à la situation de ces enfants afin d’assurer leur protection et leur permettre d’évoluer selon leur âge et leurs besoins, dans le respect des engagements internationaux et du droit interne. Des aidants se substituant aux pouvoirs publics —  

À défaut d’une politique étatique assurant un véritable accueil des primo-arrivants et proposant des solutions pérennes de prise en charge, deux autres types d’acteurs se retrouvent contraints d’agir : les collectivités locales d’une part, lesquelles tâtonnent au prix de très grandes disparités sur le territoire, les associations d’aide aux migrants d’autre part. Alors que ces dernières se substituent de plus en plus fréquemment aux pouvoirs publics, elles sont de plus en plus empêchées d’agir. L’interdiction de distribution de repas à Calais, que le juge a dû annuler pour que les associations puissent poursuivre leur action, en est une illustration marquante. Elles doivent par ailleurs faire face à une pénalisation croissante de leurs actes de solidarité .

Le Défenseur des droits réitère ses recommandations visant notamment à élargir l’immunité pénale à tous les actes apportés dans un but humanitaire, ainsi qu’à sanctionner uniquement les actes accomplis sciemment et dans un but lucratif s’agissant de l’aide au séjour et à la circulation.

Dans le même sens, une réflexion se fondant sur les possibilités ouvertes par le droit européen devrait être menée pour que l’aide à l’entrée irrégulière en France ne soit pas punie si elle est réalisée dans un but non lucratif et qu’elle tend à préserver les droits fondamentaux.

Des stratégies de dissuasion et d’invisibilisation sur le territoire national —

La lutte contre les « points de fixation », explicitement définie comme une priorité des pouvoirs publics, vise à dissuader les exilés de toute installation sur le territoire. Pour ce faire, le renforcement de la présence policière lors des évacuations des campements, dès qu’ils se forment, se fait parfois dans un cadre juridique flou et souvent de manière peu respectueuse des effets personnels des exilés. Dans plusieurs décisions, le Défenseur des droits a relevé que l’usage du gaz lacrymogène pouvait se faire à des fins répulsives et de manière parfois inadaptée ou non nécessaire.

Il a en outre constaté que des contrôles d’identité étaient détournés de leur objet et utilisés aux fins de dissuader l’accès des exilés aux lieux d’aide ou d’évacuer les lieux de vie, et a recommandé que ces contrôles soient encadrés par le biais d’une nouvelle circulaire.

Au niveau national, les entraves persistantes à l’entrée dans la procédure d’asile – saturation des dispositifs d’accueil, défaut d’information – viennent également grossir les rangs des exilés contraints de vivre dans la clandestinité, subissant des conditions de vie particulièrement indignes.

À l’origine de la constitution des camps, la politique migratoire de l’Union européenne et le règlement « Dublin III » —

L’externalisation de la frontière britannique en France demeure l’une des principales causes de la reconstitution des campements de fortune à Calais, Grande-Synthe ou Ouistreham, puisqu’elle empêche les exilés qui le souhaitent d’atteindre la Grande-Bretagne.

L’ensemble des accords liant les deux pays aggrave les effets de la politique migratoire de l’Union européenne . Reposant sur plusieurs piliers – dont, notamment, le renforcement de la coopération avec les pays tiers -, cette politique contribue à réduire de manière drastique les voies légales d’immigration en Europe , en contradiction avec le droit de quitter n’importe quel pays y compris le sien, consacré par la Convention européenne des droits de l’Homme et la Déclaration universelle des droits de l’Homme.

Cette volonté d’« endiguement » ne dissuade pourtant pas les départs dans la mesure où ceux-ci, qu’il s’agisse de fuir des persécutions ou une situation de précarité économique insoutenable, répondent toujours à une impérieuse nécessité. Elle conduit en revanche les étrangers qui fuient leur pays à emprunter des voies d’immigration toujours plus périlleuses, souvent avec l’aide de passeurs.

Lorsque, malgré la mise en œuvre d’une telle politique, les exilés parviennent à atteindre le territoire européen, le règlement Dublin prend le relais pour permettre à chaque État de renvoyer une partie des exilés, demandeurs d’asile, vers un autre pays européen, quand il ne dissuade tout simplement pas le dépôt des demandes d’asile en France, craignant parfois de subir des violences ou de ne pas être entendues. Loin de faire renoncer les exilés à leur projet migratoire, ce dispositif les incite à vivre dissimulés, parfois dans des conditions d’extrême dénuement et livrés aux pires exploitations. Sans perspective, sans examen réel de leur situation, ils sont voués à une errance perpétuelle .

Aujourd’hui, le lien entre l’application du règlement Dublin et la reconstitution des campements est fait par de nombreux acteurs, notamment par des maires de grandes villes ou encore le directeur général de l’OFPRA.

Le Défenseur des droits réitère sa recommandation de 2015, tendant à suspendre l’application de ce règlement qui s’avère de surcroît inefficace puisque seulement 10 à 15% de décisions de transferts sont effectivement exécutées.

Renouvelant les constats faits en octobre 2015 quant aux effets pervers de l’externalisation des frontières britanniques en France et ne cachant pas ses inquiétudes dans un contexte où le Royaume-Uni affiche clairement sa volonté de restreindre l’immigration après le « Brexit », le Défenseur des droits recommande au gouvernement français de dénoncer les traités et accords du Touquet.

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Décembre 2018 Synthèse