— Par Laurent Carpentier —
La barrière a commencé à vaciller. Franco – alias le Pacificateur dans l’ancien groupe de rap La Brigade –, a grimpé sur la première marche le mégaphone à la main. « Mon corps n’est pas à vendre ! », « Décolonisons l’imaginaire ! », disaient les sages banderoles. « Salopards ! » a hurlé une pasionaria petite et baraquée. Et c’est alors que tout est parti en vrille : les barrières se sont effondrées, les grands costauds – tee-shirts noirs fraîchement endossés – de la Brigade antinégrophobie ont ouvert la voie et jeudi 27 novembre la foule galvanisée s’est ruée sur le Théâtre Gérard-Philipe (TGP) à Saint-Denis en banlieue parisienne. Une vitre brisée d’une frappe de marteau, quelques coups donnés, un début d’envahissement rapidement repoussé par la sécurité et des policiers arrivés en courant qui n’avaient visiblement rien vu venir.
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Tout ça pour quoi ? Exhibit B, une déambulation-spectacle du Sud-Africain Brett Bailey, antiraciste convaincu, cherchant à montrer au travers d’une série de tableaux vivants la souffrance infligée aux Noirs, depuis la Vénus Hottentote exhibée dans les foires au XIXe siècle jusqu’aux immigrés attachés et bâillonnés à des sièges d’avion pour être renvoyés chez eux. Paradoxalement, c’est au nom même de l’antiracisme qu’un collectif d’associations demande aujourd’hui son interdiction.
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« Des Noirs, à demi dénudés, silencieux, immobiles, esthétisés sous une lumière décorative ! Un spectacle fait par un Blanc pour des Blancs qui vont voir le Noir humilié, et repartent avec un frisson d’horreur et de culpabilité… Et tout ça avec de l’argent public ! » John Mullen s’en étrangle. Mais il est ravi. A 54 ans, ce militant du Front de gauche, Blanc (lui aussi), antiraciste (lui aussi), sorti en 1986 des brumes d’Accrington, une bourgade ouvrière au nord de Manchester pour devenir professeur d’histoire au département d’anglais de l’université de Créteil, s’est trouvé une cause : faire interdire Exhibit B : « 70 000 personnes ont lu mon blog, de ma vie entière de militant cela ne m’est jamais arrivé… »
Tournée de quatre ans
Tout est parti de Birmingham, d’où une militante noire, Sara Myers, a lancé la mobilisation contre le spectacle qui était proposé cet été au Barbican Center de Londres après avoir tourné dans toute l’Europe depuis quatre ans sans qu’on y ait trouvé à redire. La mobilisation coup de poing aura cette fois raison d’Exhibit B… En découvrant ça sur la toile, le sang de John Mullen n’a fait qu’un tour : « Un zoo humain ! » Quid de La Vénus noire d’Abdellatif Kechiche (2010), sur le même thème ? « On m’en a parlé. » Et Macbeth, proposé la semaine dernière à Montreuil où il habite, par le même metteur en scène qu’Exhibit B ? Haussement d’épaules : « On ne peut pas s’occuper de tout à la fois… Les arbres de Noël de forme bizarre je m’en fous complètement, ajoute ce petit personnage sincère et agité en évoquant l’œuvre de Paul McCarthy, en forme de plug anal, sur la place Vendôme. Mais si moi – un homme – je faisais des tableaux vivants avec des femmes à moitié nues, elles me chasseraient à coups de pied et elles auraient raison. D’ailleurs, ici aussi on montre des femmes avec les seins nus ! Va savoir pourquoi les gens viennent ? »
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Affiche ©Serge Bloch
Quelques éléments du débats
Contribution pour le maintien nécessaire d’Exhibit B dans la programmation du TGP de Saint-Denis et du 104…