— Par Gary Klang —
« La chair est triste, hélas! et j’ai lu tous les livres.
Fuir! Là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres » (Mallarmé)
Comme beaucoup d’hommes et de femmes de ma génération, j’ai dû quitter une île devenue folle, Haïti, bateau ivre conduit par un médecin qui ne prescrivait qu’un seul remède : la mort ! Je partis donc, désespéré de devoir rompre à jamais avec une enfance heureuse que je croyais éternelle. Je nommai cela l’ex-île et en fis un recueil de poèmes. Mais il m’était impossible alors de voir le bon côté des choses.
Je traînai donc ma nostalgie pendant des années jusqu’au jour où je compris que du négatif on peut toujours extraire du positif.
Ma poésie a évolué parallèlement à cette prise de conscience et j’ai pris de plus en plus goût aux voyages en me disant que la seule bonne action qu’avait accomplie le médecin diabolique, c’était précisément de m’avoir forcé à partir. Car, resté en Haïti, aurais-je écrit ? Du moins, aurais-je écrit les mêmes livres ? Certainement pas. Mes camarades écrivains non plus, puisque leurs œuvres sont imprégnées de la dictature et de ses méfaits. La littérature, on le sait, ne fait pas bon ménage avec les bons sentiments, et si les tragédies sont mauvaises pour les hommes, elles sont au contraire excellentes pour la littérature.
De ce premier voyage involontaire date mon goût pour les déplacements volontaires. Si j’aime partir, c’est que j’ai soif de nouveauté et que je ne suis à l’aise nulle part. Ni d’ici ni d’ailleurs, disais-je dans Ex-île.
Rien ne me fait plus plaisir que de participer à une rencontre littéraire, comme ce fut le cas au Mali dans le cadre du festival des Étonnants Voyageurs. Idem, en 2009, au Salon International des Poètes Francophones au Bénin, ou encore en Chine, au Venezuela, en Colombie et au Mexique.
Ce qui m’a tout de suite frappé au Bénin, ce sont les ressemblances avec mon île natale. Faut dire qu’un grand nombre d’esclaves en provenaient. Je revoyais les mêmes gestes, la même manière de parler fort comme si l’interlocuteur était sourd, le tout accompagné de grands gestes qui peuvent faire croire au non-initié que les individus sont prêts à en venir aux mains, alors qu’il s’agit là tout simplement d’un comportement habituel. (Combien de fois à La Brûlerie, un café où je rencontrais des copains le vendredi soir à Montréal, ne fut-on pas obligé de demander aux amis de baisser le ton.) Au Bénin, j’ai eu tout de suite une impression de déjà vu.
La route des esclaves m’a communiqué un profond sentiment de tristesse et de malaise. Voilà un pays, la France, qui produit le grand siècle des Lumières avec Diderot, Voltaire, Rousseau… et qui, en même temps, trouve normal d’aller capturer en Afrique des êtres humains que le grand Louis XIV considérait comme des meubles dans son Code noir. De simples meubles, et ça se dit chrétien ! Cette route des esclaves où ces malheureux voyaient leur terre natale pour la dernière fois et passaient par la porte bien nommée du non-retour. Mais avant d’embarquer dans les navires où ils étaient tous enchaînés, ils devaient faire sept fois le tour de l’Arbre du Souvenir qui existe encore. Comble du sadisme d’une civilisation (syphilisation, dirait Henry Miller) qui donnait alors des leçons au monde entier et qui a gardé jusqu’à aujourd’hui ce sentiment de fausse supériorité morale qui permet de dire aux autres en toute bonne conscience ce qu’ils doivent faire ou ne pas faire au nom de principes qu’on ne respecte pas soi-même. Mais n’insistons pas.
Je n’oublierai jamais l’émotion de mon ami, le photographe martiniquais Philippe Bourgade qui m’accompagnait ce jour-là au Bénin.
Ce qui me rapprochait d’Haïti, c’était aussi la présence du vaudou, religion qui imprègne toute la vie de mon île. J’ai eu la joie de visiter le temple du Python sacré et de mettre une de ces jolies bestioles autour de mon cou parce que le maître des lieux m’avait dit que ça portait bonheur. Jamais je n’aurais cru qu’un jour j’aurais eu un tel contact avec un python et dois-je vous avouer que j’ai ressenti une certaine affection de la part de cette bête et une chaleur, j’allais dire humaine ? Mais j’oubliais que les humains sont bien souvent moins affectueux que les bêtes.
Quand j’écrivis à mon ami Guy Sauvin, mon maître de karaté à Paris dans les années 60, pour lui parler de mon expérience, vu que lui-même avait passé quelque temps au Burkina Faso à protéger les éléphants, il m’a dit qu’il pourrait m’expliquer toutes les différences qu’il y a entre le vaudou haïtien et le vaudou béninois. Il faudrait qu’un jour je lui demande de m’éclairer.
Cela dit, contrairement aux gens trop rationnels que je rencontre en Occident, j’adore le mystère et c’est ce qui explique que j’aime tant l’Afrique et la Bretagne avec la forêt de Brocéliande et les alignements de Carnac.
En visitant la forêt sacrée de Ouidah, j’y ai senti des vibrations que j’avais perçues à Brocéliande. Les gens très rationnels, ceux pour qui rien n’est mystérieux, tous ceux qui ont réponse à tout, me traiteront j’en suis sûr d’illuminé. Avec en plus l’histoire du python sacré, mon compte est bon. Mais je m’en moque et je les plains, car la croyance au mystère rend la vie bien plus intéressante, comme l’ont si bien compris les écrivains du fantastique et du réalisme merveilleux.
Et c’est peut-être ce qui manque à nos littératures occidentales d’aujourd’hui : un peu de mystère. Mais, une fois de plus, n’insistons pas.
Ce voyage au Bénin m’a apporté de grandes joies et des rencontres inoubliables. J’en ai ramené de nouveaux amis : des poètes du Burkina Faso, du Togo et du Bénin, bien sûr, mais aussi du Québec, de France, de Suisse, du Luxembourg et même de Chine. Merci au Bénin de nous avoir reçus avec l’amicale participation des ambassades de France et de Chine.
Et parlant du pays de Confucius, nous avons tous été invités à l’Ambassade de Chine, où j’ai lu, en plus de mes poèmes, la traduction française de ceux de mon ami Cai Tianxin.
Sans oublier nos visites dans les écoles pour aller dire des poèmes, et ces enfants tellement heureux de nous voir, avec leurs sourires si beaux, si spontanés, que l’on oubliait pendant quelques heures la méchanceté des hommes. Au Mali, avec les Étonnants Voyageurs, j’avais eu les mêmes expériences et ressenti le même bonheur.
Au Bénin, j’ai aussi eu le plaisir de visiter le musée de l’Esclavage à Porto-Novo avec toutefois quelques points d’interrogation. En consultant une liste des grandes dates de la traite des Noirs, je fus plus que surpris de ne pas trouver 1804, qui comme chacun sait en est l’une des plus importantes, celle où, pour la seule fois sans doute dans toute l’histoire de l’humanité, des esclaves se sont libérés pour fonder un pays. Là où Spartacus avait échoué, Dessalines, Pétion et Toussaint Louverture avaient réussi.
Comment dès lors expliquer qu’on ne connaisse pas Dessalines au Bénin (pas plus qu’en France) ? Il y a pourtant un parc dédié à Toussaint Louverture à Allada, la ville natale de son grand-père.
En outre, je ne comprends pas qu’il n’y ait pas plus de relations entre l’Afrique et Haïti et qu’on n’enseigne guère à l’école et dans les universités les liens historiques qui les rattachent. Pour dire les choses crûment, j’ai l’impression – tout en souhaitant me tromper – que l’Afrique et Haïti s’ignorent, et c’est dommage. D’autant que des historiens français trouvent le moyen de raconter la vie de Napoléon jusqu’aux moindres détails, sans jamais mentionner le nom des libérateurs d’Haïti, à l’exception de Toussaint Louverture, comme si cette épopée n’avait aucune importance ou plutôt qu’il ne fallait pas entacher l’épopée napoléonienne en rappelant une défaite qui fit perdre à la France Saint-Domingue, laquelle avait fait la fortune de villes comme Nantes, entre autres.
Il est plus que temps, je pense, de rallumer les étoiles et de donner à Haïti toute son importance dans l’Histoire universelle.
Gary Klang