—Avant-propos de Rodolphe Alexandre, Président de la Région Guyane —
Eugénie Tell naît à Cayenne le 23 novembre 1891. Elle est la fille d’Herménégilde Tell, fonctionnaire de l’administration pénitentiaire, qui a gravi tous les échelons des postes d’encadrement jusqu’à en devenir le tout puissant directeur en Guyane. Il est en outre franc-maçon, fréquente les hauts grades, et il est le vénérable de la loge La France Equinoxiale, de la Grande Loge de France à Cayenne.
Après des études secondaires au lycée de jeunes filles de Montauban, Eugénie Tell revient en Guyane, où son père lui assure un emploi d’institutrice à Saint-Laurent-du-Maroni.
Tout ainsi concourt à faire d’Eugénie une jeune fille en vue de la bonne bourgeoisie créole guyanaise, fréquentant les associations de bon goûts, les thés dansants et les bals de la loge, et pouvant espérer un mariage « aisé » avec un notable local, bien à l’écart de la misère du petit peuple de la colonie.
Les hasards de la vie vont lui faire rencontrer, de passage en Guyane, un jeune administrateur colonial en congé de son poste africain : Félix Eboué. Ce dernier est loin de représenter le « parti » idéal pour une jeune fille de l’époque : il est issu d’une famille très simple, voire pauvre et qui a connu la gêne : Félix Eboué, diplômé de l’Ecole coloniale, aurait pu prétendre à une colonie « prestigieuse », or il a choisi l’Afrique, où il exerce dans des postes de brousse en Oubangui-Chari. De plus, Eboué est déjà père de deux enfants, conçus avec deux mères africaines, et dont il assure l’éducation.
Toutefois, Eugénie est déjà âgée de plus de trente ans lorsqu’elle se marie avec Félix Eboué, ce qui est assez tardif dans son milieu social. C’est, sans conteste, son alliance avec Eboué qui va changer le cours de la vie d’Eugénie Tell.
Cette femme bourgeoise, habituée aux intérieurs proprets, à la musique classique pour piano, au théâtre du XVIIIe siècle, ayant jusque là connu une vie très protégée, va suivre son mari dans toutes ses affectations. En premier lieu, un long retour en Oubangui-Chari – l’actuelle Centrafrique – puis la Martinique, le premier poste antillais, un retour en Afrique au Soudan, puis l’arrivée en Guadeloupe comme gouverneur du Front Populaire. Plus encore que la Martinique, le séjour guadeloupéen avec son adhésion populaire tiendra un rôle important quelques années plus tard dans la nouvelle vie d’Eugénie.
Eugénie Tell-Eboué suit de nouveau son mari dans un poste africain supplémentaire, quand Georges Mandel lui demande de prendre les fonctions de gouverneur du Tchad, et d’y mettre en place le bientôt nécessaire effort de guerre de l’Empire. Dès août 1940, Félix Eboué rallie son territoire à la France libre du général de Gaulle, et l’Afrique équatoriale française tombe rapidement dans le camp gaulliste : il devient le 12 novembre 1940 gouverneur général de l’AEF, premier homme noir à obtenir un poste aussi important dans l’administration française. Il y consacre jusqu’en 1944 une énergie considérable, et au-delà il y perdra la vie, épuisé physiquement par tant d’années de labeur. Il s’éteint le 17 mai 1944 au Caire.
Cette histoire-là, Jean-Claude Degras la connaît bien, lui qui nous a livré un important Félix Eboué, le gouverneur nègre de la République en 2004. Mais, il nous offre ici la première biographie complète d’Eugénie Tell-Eboué. Et il n’est rien de dire que la vie de notre compatriote cayennaise connaît après 1944 une inflexion toute différente.
Veuve d’un des hauts personnages de l’Etat, héros de la France libre, belle-mère et mère de quatre enfants engagés dans la lutte contre l’occupant et la France de Vichy, elle-même engagée volontaire des FFL, Eugénie aurait pu se retirer, vivre de la pension de son défunt mari, et s’adonner à du bénévolat associatif ou des œuvres caritatives. Mais, elle décide de se tourner vers une carrière politique, et vient se réimplanter en Guadeloupe en 1945, au Conseil municipal de Marie-Galante, puis comme députée SFIO de la Guadeloupe aux côtés de Paul Valentino lors des 1ère et 2e Assemblées constituantes de 1946, avant de perdre les légisaltives face au tandem Rosan Girard – Gerty Archimède.
Première femme députée de l’Outre-mer, son parcours politique est ensuite moins facile à décrypter : femme de gauche, elle doit quitter la SFIO suite à sa double appartenance avec le RPF, qui est là un gaullisme de cœur. Elue au Conseil de la République en 1946, les Guadeloupéens ont un peu de mal à comprendre son alliance en 1948 avec Maurice Satineau, adversaire acharné de Félix Eboué qui avait demandé son départ de la Guadeloupe, député SFIO pétainiste en 1940, et homme à la moralité douteuse.
Eugénie n’est pas en situation de pouvoir se représenter en Guadeloupe pour le Conseil de la République en 1952, et vient tenter sa chance en Guyane, où sa défaite contre Auguste Boudinot, maire de Cayenne et président du Conseil général de la Guyane, est sans appel et signe la fin de sa carrière ultramarine.
Le reste de la vie est consacrée à des actions dans le cadre de mandats ou d’institutions hexagonales. Et le grand mérite de l’ouvrage de Jean-Claude Degras, le premier consacré au parcours singulier d’une femme hors du commun, est de nous faire découvrir, par d’importantes recherches dans les documents d’archives, les différentes facettes d’une Guyanaise encore aujourd’hui largement méconnue, même dans son pays d’origine.
Rodolphe Alexandre
Président de la Région Guyane
Eugenie Tell-Eboué : Histoire d’une passion
Jean-Claude DEGRAS (Auteur du texte)
Éditeur : LES EDITIONS RYMANAY
Prix de vente au public (TTC) : 20 €
21 x 14,8 cm ; broché
ISBN 978-2-9549387-3-8
EAN 9782954938738
Jean-Calue Degras, passionné d’Histoire a déjà publié :
- « Félix EBOUE, le Gouverneur nègre de la République » Editions Le Manuscrit 2004
- « Camille Motenol, le capitaine des vents », Editions le Manuscrit 2008 – Ce livre retrace l’histoire authentique de Camille Mortenol, fils d’esclave né en 1859 à Pointe-à-Pitre qui après avoir réussi le concours de l’Ecole Polytechnique, fut admis dans la ROYALE (marine de guerre) Il terminera sa carrière comme capitaine de vaisseau et fut choisi par le général Gallieni en 1915 pour assurer la défense anti-aérienne de la capitale pendant la première guerre mondiale. Véritable artilleur, sa mission fut pleinement réussie protégeant les parisiens de l’aviation allemande menée par Manfred Von Richtofen, dit le Baron Rouge et considéré par tous les pilotes comme l’As des AS ayant 80 victoires à son actif. Promu commandeur de la Légion d ‘honneur en 1920. N’obtiendra jamais le grade de vice-amiral ou d’amiral en raison du racisme de l’époque dans ce corps militaire.Meurt en 1930.
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