—Par Jean-Michel Salmon(*) —
A la suite d’une décision par les instances de l’Université des Antilles d’appliquer aux étudiants de Licence la réforme Macron dite des « droits différenciés », les étudiants de nationalité extra-communautaire (ne relevant pas de l’Union Européenne), avec dérogation pour « la grande Caraïbe et l’Inde »(1) , soit, pour la seule Faculté de Droit et d’Économie de la Martinique, une centaine d’étudiants pour la quasi-totalité Africains, sont depuis cette rentrée universitaire 2024-25 sommés de payer des droits d’inscription de l’ordre de 3 000 euros, environ dix fois plus élevés que ceux que doivent donc payer les étudiants antillais, européens, caribéens et indiens.
Ces droits sont particulièrement exorbitants pour ces étudiants africains qui ont déjà dû faire face au coût de leur voyage et doivent en sus bien entendu assumer aussi le coût global de leur résidence en Martinique (logement, alimentation, transport…). Pour pouvoir eux aussi échapper à l’application de ces droits différenciés, ils sont signé une pétition qu’ils ont adressé aux différentes instances de l’Université des Antilles.
Leur demande en exonération de ces droits différenciés – novlangue pour dire que le coût est dix fois plus élevé – doit être soutenue par les enseignants-chercheurs du pôle Martinique, pour les motifs suivants :
1. sur le plan individuel, ces étudiants méritent tout autant que ceux des pays de la Caraïbe, ou encore de l’Inde et de l’Union Européenne, de bénéficier de la non-application de ces droits différenciés, d’autant qu’ils ont montré depuis quelques années qu’ils sont très motivés et que le plus souvent ils réussissent très bien, parfois même mieux que les autres ;
2. sur le plan collectif, ils sont tous issus bien sûr de pays qui sont le plus souvent plus pauvres que ceux de la Caraïbe, à l’exception d’Haïti. Le principe d’une préférence en termes de TSD (traitement spécial et différencié), pour reprendre le jargon des règles de l’OMC (organisation mondiale du commerce) et de l’aide au développement, apparait donc comme le bienvenu ;
3. dans le contexte de la chute libre de la démographie martiniquaise (baisse de 1% par an de la population depuis 10 ans, soit 50 000 personnes au total, la plupart des jeunes), l’apport de ces étudiants est plus qu’important, il est vital pour ouvrir des formations/parcours en Licence et en Master : le Département d’Économie-Gestion de la Faculté de Droit et d’Économie de la Martinique semble particulièrement concerné à ce niveau. Par exemple, sans ces étudiants, l’année dernière et cette année, le M1 Économie Appliquée n’aurait pas pu ouvrir, faute d’effectifs suffisants. L’année prochaine, il risque à nouveau de ne pas ouvrir, si les effectifs de L3 chutent cette année à cause de la non-exonération des droits différenciés. Ainsi donc, à vouloir imposer des droits exorbitants à ces étudiants africains, nous pourrions priver définitivement des étudiants martiniquais d’un accès à notre offre de formation complète, dont l’effectivité serait réduite. En d’autres termes, nous nous tirerions une balle dans le pied ;
4. Nous ignorons quelles seront les conséquences du refus de leur octroyer cette exonération : si finalement ils quittent la Martinique pour un bon nombre d’entre eux, ce sera un scénario « perdant – perdant », y compris pour la trésorerie de l’Université. Seconde balle dans le pied que nous nous tirerions ;
5. Nos territoires sont en train de développer une « diplomatie territoriale » dans la grande Caraïbe et au-delà : ce serait un très mauvais signal à donner au Sud Global que de s’entêter à vouloir imposer des droits d’inscription pleins à ces étudiants issus du monde en développement, avec discrimination entre pays d’origine de surcroît, et contre les pays africains… ;
6. Last, but not least, nous sommes au pays de Césaire, du chantre de la négritude. Ne n’oublions surtout pas !! Il doit se retourner dans sa tombe. Je crois que certains de nos élus locaux ne cautionneraient pas un tel avatar du « nèg kont nèg », s’ils en avaient vent. La promotion de l’afro-descendance est aujourd’hui dans tous les discours, jusqu’au nom du mouvement ad hoc contre la vie chère, le RPRAC, qui évoque les ressources « afro-caribéennes ». L’Université des Antilles est à un moment important de son histoire : les Caribéens vont-ils tourner le dos à leur frères Africains ? Dans le hall de l’ancienne aérogare de l’aéroport Aimé Césaire, justement lui, où sont désormais organisées des conférences internationales, la dernière en date sur l’aérien dans la Grande Caraïbe le 5 octobre dernier, on peut voir trôner la sculpture du « Nègre Fondamental » (voir ci-dessous).
Quel symbole ! Allons-nous tomber en ces temps post-Césairiens dans le syndrome du « Nègre Paradoxal » ? – les connaisseurs de la pensée de Frantz Fanon, dont l’amphi principal de notre Faculté de Droit et d’Économie porte le nom, auraient dit « retomber »…
7. Sur un sujet d’une telle importance, l’Université devrait montrer l’exemple d’une gouvernance participative et collégiale, ce pour quoi elle est faite – LE lieu du débat contradictoire. A minima, un tel débat public dans les composantes me paraissait indispensable pour que les membres de notre « communauté » prennent mieux conscience des enjeux et choisissent une position en conséquence, de sorte que la décision finale ne revienne pas à quelques-uns seulement, dans un conseil, voire à un seul d’entre eux, quel que soient les pouvoirs omnipotents qui ont pu être confiés aux Présidents d’Université depuis Sarkozy et sa loi SRU.
8. J’invite dès lors tous les collègues enseignants-chercheurs du Pôle Universitaire de la Martinique qui souhaiteraient soutenir la démarche des étudiants concernés, en appuyant le présent texte, à le me faire savoir : si le nombre de ces collègues est substantiel, nous pourrions en faire une missive à nos instances.
Bien sincèrement,
(*)Jean-Michel Salmon, Maître de conférences en Économie, Directeur du Master Économie Appliquée, Faculté de Droit et d’Economie de la Martinique
Fort de France, le 5 octobre 2024